Où, quand et comment écrire quand ce n’est pas notre métier ? Nous avons retracé le parcours de trois primo-romanciers de la rentrée littéraire et on vous emmène avec nous dans les coulisses de leur écriture.
Cette année, sur les 321 romancières et romanciers de la rentrée littéraire, 74 étaient primo-romanciers. Soixante-quatorze auteurs et autrices qui n’avaient jamais publié de livre. Moment de grâce, cet instant consacre souvent plusieurs années de travail réalisées dans le doute et l’incertitude de faire un jour de son texte un ouvrage publié. « Il faut développer une espèce de pensée magique quand on écrit son premier roman« , explique Mokhtar Amoudi, auteur des Conditions idéales et lauréat du prix Envoyé par La Poste 2023.
Mais, entre notoriété naissante, besoins économiques et nécessité viscérale de sortir une histoire de son esprit, comment se diriger quand on est nouvelle ou nouveau dans un métier aussi particulier ? Pour mieux comprendre, on vous embarque dans l’intimité des parcours d’écriture de trois primo-romanciers de talent.
Voir le temps d’écriture comme un travail à temps complet
« Le plus grand défi, quand on commence à écrire, c’est de se trouver du temps, insiste Mokhtar Amoudi. J’écris depuis mes 25 ans, mais c’est véritablement quand je me suis sacrifié pour mon livre que j’ai pu aller au bout. Cela faisait cinq ans que je travaillais dans une banque, j’ai arrêté ; je n’avais plus de revenus. Le but, c’était de tenir et de finir Les Conditions idéales. »
Publié chez Gallimard en septembre dernier, Mokhtar Amoudi raconte ce temps qu’il a dompté jusqu’à trouver une routine d’écriture. Le matin, quatre à cinq heures à sa table, stylo en main. L’après-midi, allongé sur son lit pour faire revenir ses souvenirs, matière première de son ouvrage. « Je suis venu à l’écriture par la lecture. Balzac, Stendhal, les grands auteurs russes… Quand je les ai découverts, eux et le parcours chaotique de leurs personnages, je me suis dit que je voulais aussi en être », précise-t-il.
L’écriture pourrait même être perçue comme un métier que l’on apprend à l’école. Eden Levin, auteur d’un premier roman intitulé Jeudi (Noir sur blanc) est passé par un master de création littéraire avant d’être publié. Il n’est pas le seul à avoir fait un tour par l’université de Paris VIII. David Lopez, Fatima Daas ou encore Diadié Dembélé l’ont précédé. « C’est par ce master que j’ai rencontré une agente littéraire qui m’a ensuite aidé à trouver mon éditrice chez Notabilia », ajoute Eden Levin. Comme Mokhtar Amoudi, il a décidé, en sortant de son école, de se consacrer entièrement à l’écriture. Deux années qui lui ont permis de finaliser un roman hybride, mêlant narration classique, tracts politiques et récits sous forme théâtrale.
Faire exister son œuvre
« Quand mon éditrice a lu mon texte, j’ai eu cette vive impression que je laissais rentrer de la lumière dans mon récit », se souvient Éric Chacour dont le premier roman Ce que je sais de toi (Philippe Rey) a atteint en France les 20 000 exemplaires vendus. À l’origine, pourtant, rien ne prédestinait ce banquier de 40 ans à être publié.
« Écrire, c’est ce qui me défoulait, ce qui faisait battre mon cœur, mais je n’avais jamais pensé en faire une carrière. C’est sûr que maintenant, si je ne veux pas mettre 15 ans à écrire le prochain, il va me falloir plus de rigueur ! », lance-t-il.
Si son envie de publication n’est née que lorsqu’un point final a ponctué son texte, sa ligne directrice d’écriture n’a jamais changé : « Ce que je voulais raconter a toujours été très clair. Je voulais écrire une histoire que les gens croient, qui se tienne de bout à bout et que l’on comprenne mes personnages. »
Le livre terminé, il envoie son texte à un éditeur québécois en vue. Bingo, Alto accepte ! Ému, il se souvient de la première fois où son éditrice prononce le nom de ses personnages. « N’étant pas native d’Égypte, elle a prononcé les noms avec un accent que je n’avais jamais entendu. C’était troublant, car les personnages commençaient à ne plus m’appartenir. Je me suis lentement habitué à la douceur de ce deuil. »
À lire aussi
Trouver le bon passeur
Son « passeur », Mokhtar Amoudi l’a trouvé dans un café parisien. Alors qu’il parlait à un ami de son livre, une femme l’interpelle et lui propose de lui envoyer quand ce dernier sera fini. Sur la carte de visite qu’elle lui tend, son contact et un intitulé de poste : secrétaire générale de Gallimard. « Je lui ai envoyé mon livre. Trois mois plus tard, elle me rappelait, c’était le plus grand moment de ma vie », se rappelle-t-il.
De primo-romanciers, les trois auteurs souhaitent passer du côté de ceux des confirmés. Mokhtar Amoudi et Éric Chacour continuent à écrire. Eden Levin planche déjà sur un second titre. Il y a quelque temps, il est lui-même devenu passeur : alors qu’il était en signature, une femme s’est approchée du stand pour lui confier qu’elle écrivait en secret des poésies. Le lendemain, elle est revenue et lui a offert son recueil.