Entretien

Karin Smirnoff : “Je voulais redonner à Millenium son caractère politique”

18 novembre 2023
Par Léonard Desbrières
Karin Smirnoff reprend la saga “Millenium”.
Karin Smirnoff reprend la saga “Millenium”. ©Thron Ullberg pour Actes Sud

Après une trilogie un peu fade signée David Lagercrantz, Karin Smirnoff assure l’héritage glorieux de Stieg Larsson et fait revivre avec talent la saga Millenium. Rencontre avec une romancière sûre de sa force.

Comment l’aventure Millenium a-t-elle commencé pour vous ?

Ça a commencé de la plus simple des manières. Par un coup de fil de mon éditeur m’annonçant : “J’ai un job à te proposer, est-ce que tu te sentirais capable d’assurer la relève de David Lagercrantz et d’écrire les trois prochains tomes de la saga Millenium ?” J’ai tout de suite dit oui, sans hésiter. Je sentais que je pouvais le faire. J’avais lu les livres, aimé la première trilogie de Stieg Larsson, un peu moins la suivante. Je savais dans quelle direction je voulais aller.

Avez-vous ressenti une pression particulière ?

Bizarrement, non. En tout cas, pas au début. Je me suis dit que c’était une bonne opportunité et surtout que c’était une chance de pouvoir continuer l’histoire de Lisbeth Salander. C’est pour elle que j’ai accepté de prendre la relève. Il faut aussi avouer que j’avais moins de pression que David Lagercrantz, qui assurait l’héritage direct de Stieg Larsson. Aujourd’hui, Millenium est moins attendu qu’avant. C’est un défi de faire revivre la saga, pas un impératif.

Couverture du livre La Fille dans les serres de l’aigle de Karin Smirnoff. ©Actes Sud

En tant qu’autrice, la saga Millenium, avec son personnage emblématique Lisbeth Salander, a-t-elle une saveur particulière ?

Millenium, c’est une saga avec beaucoup de strates différentes. C’est d’abord une série de thrillers, de romans d’action avec de la violence, qui interroge le Mal. C’est une manière de parler de la Suède et de ses dérives. Et c’est aussi une œuvre féministe. C’est un tout. Mais il est vrai que Millenium, c’est d’abord pour moi l’histoire de Lisbeth Salander. Elle est la véritable héroïne et Mickael Blomkvist n’arrive qu’après. Son personnage m’ennuie, il ne fait que courir après les femmes et écrire. J’ai justement eu envie de twister cela au fil des romans.

Qu’est-ce qui vous plaît tant dans le personnage de Lisbeth Salander ?

Je me souviens encore du sentiment qui m’a traversée quand j’ai lu la première trilogie. Au départ, elle est une victime, mais elle change de statut de manière flamboyante, en s’attaquant frontalement à son agresseur. Elle incarne une libération. Elle montre la voie pour s’émanciper, se libérer du joug des monstres. En même temps, elle a des réflexes de petite fille. Cette complexité et cette richesse sont passionnantes pour un écrivain. Je voulais continuer son histoire, la faire évoluer sans jamais la changer.

Bande-annonce du film Millenium : les hommes qui n’aimaient pas les femmes (2011).

Est-ce pour cela que vous avez placé Svala sur sa route ?

J’ai voulu lui offrir une nouvelle acolyte qui fonctionnerait un peu comme un miroir. J’aurais pu faire d’elle une mère, mais Lisbeth doit rester Lisbeth, une héroïne qui se bat et qui fuit les responsabilités. Elle ne pouvait pas avoir un bébé dans les pattes. L’idée d’une adolescente intrépide, ingérable m’est alors apparue. C’était un bon moyen de confronter Lisbeth et en même temps de lui laisser sa liberté. J’aimais aussi l’idée que les deux personnages historiques continuent à être au centre du récit, bien sûr, mais au second plan, comme si on leur volait la vedette. Place à la nouvelle génération !

Avez-vous éprouvé le besoin de relire les tomes précédents avant d’écrire ?

Au contraire ! J’avais un bon souvenir de la série et j’avais l’impression qu’en me replongeant dans les livres, j’allais être influencée ou déterminée à faire les choses d’une certaine manière. Je voulais repartir de zéro en quelque sorte.

« Ça va peut-être vous paraître fou, mais quand je me glisse dans la peau d’un personnage, j’ai l’impression qu’il a une volonté propre, qu’il veut m’emmener quelque part. »

Karin Smirnoff

Écrire le premier tome d’une trilogie, est-ce un exercice spécial ?

Bien sûr ! C’est une bénédiction, quelque chose d’excitant. On commence une relation au long cours avec des personnages. J’aime ce format de la trilogie, ça ouvre tellement de portes. J’aime cette liberté. À tel point que j’ai presque réussi à oublier que je faisais partie d’une histoire plus globale, à m’affranchir des présupposés pour me jeter dans le vide.

Je ne fais jamais de plan, sinon je m’ennuie. Je me laisse surprendre par mes personnages. Ça va peut-être vous paraître fou, mais quand je me glisse dans la peau d’un personnage, j’ai l’impression qu’il a une volonté propre, qu’il veut m’emmener quelque part. C’est là que ça devient intéressant.

Pourquoi avoir décidé de déplacer le lieu du récit ?

Je voulais plonger Lisbeth et Mikael dans un endroit qu’ils ne connaissent pas, dont ils ne maîtrisent pas les codes. Les deux héros quittent Stockholm pour entreprendre un voyage vers le nord du pays. C’est la région où j’habite, c’est la région où est né Stieg Larsson, une région dont on ne parle pas beaucoup et pourtant il y a beaucoup de choses qui méritent d’être écrites à son sujet !

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Beaucoup de drames et de tensions s’y jouent en ce moment même. Les Samis (peuple autochtone du nord de la Scandinavie) sont maltraités, discriminés, expulsés de leur terre à cause d’une course industrielle qui détruit toute la nature environnante. La criminalité augmente, la violence aussi. C’est l’endroit parfait pour une intrigue de Millenium.

Pour la première fois, Millenium porte un message écologique. Que pouvez nous dire de ce parti pris ?

Il y a une hypocrisie générale en Suède autour de la lutte écologique. Le greenwashing est partout. Tous les investissements qui sont faits au nord de la Suède sont décrits comme vitaux, bons pour notre planète, mais en réalité il y a beaucoup de mensonges et des gens qui s’enrichissent en utilisant l’écologie comme un argument de façade. Il y a également une atmosphère politique nauséabonde. Une frange très puissante et très à droite de la classe politique manigance pour accaparer ces terres au mépris des habitants, de la faune et de la flore. Tout cela dans le but de faire des profits.

Plus généralement, je voulais redonner à Millenium son caractère politique. David Lagercrantz s’est beaucoup focalisé sur l’action, mais, en faisant cela, il a délaissé la force du message de Stieg Larsson. En tant que journaliste, il était un fin observateur de la société. J’ai voulu revenir à cette tradition, mais à ma façon. Pour moi, écrire est un geste politique. Quand je raconte la destruction de la nature, c’est un geste politique, quand je m’insurge du traitement des peuples autochtones, c’est politique, même quand j’écris la violence de manière crue, c’est un geste politique.

Millenium 7 – La Fille dans les serres de l’aigle, de Karin Smirnoff, Actes Sud, 432 p., en librairie depuis le 1er novembre 2023.

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