Décryptage

Comment le manga Frieren a changé le monde de la fantasy japonaise

01 octobre 2023
Par Samuel Leveque
L’anime “Frieren” sort ce 29 septembre.
L’anime “Frieren” sort ce 29 septembre. ©Kanehito Yamada, Tsukasa Abe/Shogakukan/“Frieren” Project

Diffusé à partir du 29 septembre sur Crunchyroll, l’anime Frieren est l’une des séries les plus attendues de cet automne. Elle est adaptée d’un superbe manga qui participe au renouveau d’un genre fascinant.

Depuis quelques années, le célèbre magazine Shonen Sunday a entrepris un grand programme de formation interne pour trouver de nouveaux talents. Un système de mentorat a été mis en place pour que des artistes confirmé·e·s accompagnent de jeunes plumes dans leurs premières publications. L’un des résultats les plus spectaculaires de cette initiative a été la naissance de Frieren, un manga magnifique signé en 2021 par Kanehito Yamada et Tsukasa Abe.

Cette œuvre a immédiatement reçu de nombreux prix, dont un Tezuka Award et un Manga Taishô Award, les distinctions les plus prestigieuses en la matière. Face à ce succès, le manga a été adapté en série animée particulièrement ambitieuse, qui arrive ce 29 septembre sur Crunchyroll.

Un regard mélancolique sur le passage du temps

Frieren a la particularité de se dérouler après ce qui constitue la fin d’une histoire de récit héroïque classique : les héros ont déjà vaincu le seigneur des démons et rentrent chez eux, accueillis de manière triomphale dans un monde en paix. Dans leur groupe, la magicienne elfe Frieren décide de partir en voyage « quelque temps » avant de revenir prendre des nouvelles de ses compagnons d’armes avec lesquels elle vient de vivre une décennie d’aventures.

Problème : Frieren, quasiment immortelle et déjà âgée de plusieurs centaines d’années, réalise un peu tard que ses ami·e·s sont sujets au vieillissement. Quand elle les retrouve, un demi-siècle est passé, et certain·e·s sont désormais à l’article de la mort. Leur grande épopée héroïque semble déjà presque oubliée. Réalisant qu’elle n’a pas du tout le même rapport à l’espace et au temps que ses compagnons, la sorcière s’engage dans un long périple dans lequel elle va lentement retracer la mémoire de cette quête, et tenter de mieux comprendre le monde qui l’entoure.

©Kanehito Yamada, Tsukasa Abe/Shogakukan/ ”Frieren”Project

C’est donc sous la forme d’un road trip sur le thème du temps, de l’héritage et de la mémoire que se déroule cette aventure, dont neuf tomes sont déjà parus chez l’éditeur français Ki-Oon. Un manga désormais adapté en anime, dans une production à gros budget signée par le studio Madhouse et dont les premiers épisodes dépassent largement nos attentes.

Un anime qui reprend à la lettre les points forts du manga

Réalisé d’une main de maître par Keiichiro Saito (déjà réalisateur de la superbe série musicale Bocchi the Rock !), Frieren: Beyond Journey’s End saisit à la perfection l’ambiance à la fois joyeuse et pleine de spleen de la bande dessinée. On suit avec plaisir les péripéties tranquilles de cette magicienne toujours en quête de savoir et de nouveauté, légèrement distraite, dans un monde pacifié qui l’a en grande partie reléguée au rang de légende.

©Kanehito Yamada, Tsukasa Abe/Shogakukan/ ”Frieren”Project

Le thème des souvenirs et des traces laissées par les batailles du passé est, lui aussi, bien présent, de même que la subtilité et la douceur des liens que l’héroïne va lentement tisser avec ses nouveaux compagnons rencontrés au fil de ce second voyage. On a d’ores et déjà très hâte de découvrir la suite de ce show qui sera diffusé tout au long de l’automne, et qui souligne à quel point Frieren est une étape importante dans l’arrivée d’une nouvelle vague d’auteurs de fantasy nippone.

Quand la fantasy japonaise se cherchait encore

La fantasy classique a toujours été un genre prolifique au Japon (on pense à Bastard !!, Les Chroniques de la Guerre de Lodoss, Final Fantasy ou encore Berserk), mais elle n’avait pas vraiment brillé ces dernières années par la vitalité de ses nouvelles franchises, qui peinaient à renouveler des clichés un peu éculés ou à nous raconter autre chose que des histoires de jeunes Japonais réincarnés en demi-dieu superpuissant dans ce qui ressemble parfois à une mauvaise partie de jeu de rôle.

L’Ère des cristaux©Ichikawa Haruko, Kodansha

Il y a bien sûr quelques exceptions à ce constat de récits peinant à raconter de nouvelles histoires : on pense au tragique et formidable Made in Abyss et son expédition sans retour, ou au très étrange et mystique L’Ère des cristaux, et ses aventures de minéraux humanoïdes luttant contre des créatures venues de la Lune. Mais difficile de trouver un récit de fantasy à la fois original, grand public et très inventif dans la création récente.

Des récits de l’imaginaire tournés vers l’introspection et la philosophie

Cependant, depuis quelques années, un sous-genre très particulier commence à faire son trou dans le paysage éditorial nippon : les histoires de fantasy plus douces et tranquilles, axées autour de la vie quotidienne, de réflexions plus intimistes ou des joies du quotidien.

C’est par exemple le cas de récits comme Minuscule et ses Lilliputiens découvrant la vie en forêt, de Gloutons et Dragons, qui centre son récit sur des cours de cuisine, ou encore de l’Atelier des Sorciers qui mélange le genre du merveilleux avec l’apprentissage de la pratique de la calligraphie.

Gloutons et Dragons verra sa version animée débarquer début 2024.©Kui Ryoko, Enterbrain

Ces récits sans grande quête épique, qui s’intéressent à des personnages au quotidien moins bouleversés et explorant des aventures plus personnelles, sont souvent rassemblés sous le terme de « Slow Life Fantasy », et permettent d’explorer des facettes plus psychologiques et plus profondes de leur personnage. Il manquait cependant encore une œuvre déterminante et fondatrice dans ce type d’histoire très particulière.

Si Frieren a obtenu un tel succès lors de sa publication japonaise (avec près de dix millions de volumes écoulés en deux ans, tout de même) et a suscité une telle hype lors de l’annonce de sa version animée, c’est précisément parce qu’il encapsule tout ce qui fait le sel de la « Slow Life Fantasy », tout en proposant bien davantage.

Le tour de force de la bande dessinée d’Abe et Yamada réside dans la manière dont elle articule ce récit quotidien très introspectif et philosophique avec une aventure plus grande et assez haletante consistant à retracer à l’envers tout le chemin parcouru par l’héroïne des décennies plus tôt.

Ce faisant, les auteurs livrent une réflexion passionnante sur la manière dont évoluent les légendes, les souvenirs et la mémoire au fil des générations. En plaçant sa petite aventure dans une perspective plus grande, cette œuvre touche quelque chose d’universel et d’assez sublime, qui en fera probablement l’un des mangas de fantasy les plus suivis et discutés de ces prochaines années.

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