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Coups d’essai, coups de maître

27 septembre 2023
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Juliette Oury.
Juliette Oury. ©Pascal Ito/Flammarion

[Rentrée littéraire 2023] Chaque année, parmi les quelque 500 écrivain·e·s présent·e·s sur la ligne de départ, des dizaines de primo-romancier·ère·s se confrontent pour la première fois au monde cruel de la rentrée littéraire. Des débutant·e·s qui espèrent se frayer un chemin jusque dans les colonnes de la presse et jusque dans le cœur des lecteurs et lectrices. Panorama.

Mais, plus que n’importe quelle autre, cette rentrée 2023 est placée sous le signe de la nouveauté et du passage de témoin. Des prises de risques, de l’audace, des plumes inventives et acérées, des histoires qui n’auront de cesse de vous envoûter : la relève a tout l’air d’être assurée. Ne serait-on pas en train d’assister à l’éclosion d’une nouvelle génération dorée du roman français ?

| Juliette Oury, Dès que sa bouche fut pleine

À ceux qui critiquaient, souvent à juste titre, le manque d’originalité et d’imagination de la création française : vous pouvez désormais vous réjouir, car, cet automne, une jeune génération d’artistes consacre un nouvel âge d’or du Genre à la française. Au cinéma, le réalisateur acclamé de La Nuée, Just Philippot, revient avec le film catastrophe Acide et Thomas Cailley s’apprête à éblouir le public avec Le Règne animal, une fable fantastique dans laquelle les humains se transforment peu à peu en animaux. Côté séries, le laboratoire créatif de la plateforme OCS s’apprête à diffuser l’ovni Rictus, une science-fiction signée Arnaud Malherbe et Marion Festraëts dans laquelle un régime totalitaire a définitivement banni le rire de la société.

Et, pour une fois, la jeune garde littéraire n’est pas en reste. On aurait pu citer Raphaël Zamochnikoff et sa Maison vénéneuse, qui revisite habilement le thème de la maison hantée, ou encore Lilia Hassaine qui s’essaie avec brio au polar futuriste dans Panorama, mais c’est sur la nouvelle venue Juliette Oury qu’on décide aujourd’hui de s’attarder. La primo-romancière de 34 ans donne à lire, avec Dès que sa bouche fut pleine, une des œuvres les plus inventives et les plus puissantes de la rentrée.

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Elle imagine, dans un futur proche, un monde dystopique dans lequel la place de la nourriture et celle du sexe sont inversées. Manger est devenu un acte obscène et tout ce qui se rapporte à l’alimentation doit être dissimulé. Le sexe, lui, s’expose partout, se partage, rythme notre quotidien et notre vie publique. Dans ce nouveau monde chaotique, Laetitia mène une vie bien rangée avec son compagnon Bertrand, un psychorigide un tantinet ennuyeux. Mais cette vie de baises intempestives et de nourriture sans goût lui pèse. Alors, un jour, elle décide de s’inscrire à un cours de cuisine clandestin pour enfin s’éveiller au goût et au plaisir du palais.

En partant d’une idée simple, mais diablement inventive, Juliette Oury élève le genre à son meilleur et évite le piège du roman programmatique. L’inversion entre sexe et nourriture n’est que le prétexte à une fiction féministe décapante. Dans un mélange de provocation et de fureur, elle interroge la place du plaisir dans une société où les femmes sont constamment écartelées entre leur soif de liberté, leurs désirs refoulés et la culpabilité que leur imposent des normes corsetées. Brillant.

| Julie Héraclès, Vous ne connaissez rien de moi

On peut dire que Julie Héraclès a réussi son entrée dans le grand monde. Deux semaines à peine après sa parution, Vous ne connaissez rien de moi attire déjà tous les regards. Salué par la presse, dévoré par le public, le livre vient d’être récompensé du premier prix majeur de la saison, le prix Stanislas du premier roman.

Les points de départ d’un récit peuvent être nombreux. Une sensation, un visage, un lieu, une légende ou une histoire vraie. Pour la Chartraine Julie Héraclès, l’écriture commence au moment où elle pose le regard sur une photo emblématique de Robert Capa, un cliché resté célèbre, celui de la « Tondue de Chartres », pris à la Libération le 16 août 1944. Une femme au crâne rasé, portant un bébé dans les bras, marche dans les rues bondées de sa ville sous les regards accusateurs des passant·e·s et des autorités.

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Cette femme s’appelle Simone et elle a subi, comme beaucoup d’autres, la punition réservée à celles qui ont collaboré. En partant de cette photo qui a marqué l’histoire, Julie Héraclès tente de percer les secrets de cette femme devenue l’emblème du mal.

Julie Héraclès mène alors de front deux récits en miroir. L’un débute le 16 août 1944, juste après la libération de la ville de Chartres. Simone a 23 ans et va subir les foudres de ses choix. Tondue et marquée au fer rouge pour avoir aimé un soldat allemand et avoir eu une petite fille de lui, elle se remémore son enfance et cette furieuse existence qui l’a amenée là.

©Robert Capa - International Center of Photography / MAGNUM PHOTOS

Des années lycée jusqu’à son entrée dans la vie active, on découvre une jeune femme surdouée, passionné de culture allemande et admiratrice de la langue de Goethe, qui va fuir son quotidien violent pour trouver refuge dans les bras d’un intellectuel proche du IIIe Reich. La suite n’est pas l’histoire terrible d’une adhésion aux idéaux du führer et d’une haine antisémite ou au contraire celle d’une femme piégée par un homme et son emprise. Loin de tout manichéisme, Julie Héraclès nous livre les confessions dérangeantes, bien plus étranges, d’une femme qui est passée à côté de la guerre à cause de son aveuglement pour ses petits combats personnels.

| Eden Levin, Jeudi

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C’en est enfin fini de cette ridicule grogne française contre les masters de création littéraire. De cette idée reçue archaïque selon laquelle la littérature ne s’apprend pas. Chaque année, de plus en plus de jeunes écrivain·e·s passé·e·s par les bancs de l’école découvrent le grand frisson de la parution. Et chaque année, ces étudiant·e·s du roman nous surprennent avec une maîtrise et une audace saisissante.

Passé par les rangs du master de création littéraire de Paris VIII, donc, Eden Levin est le dernier représentant en date de ces francs-tireurs prêt·e·s à bousculer les habitudes du roman. Il nous embarque dans une histoire délicieusement loufoque. En rogne contre leur milieu et le monde, Alex, Elena et Valencia fondent une troupe de théâtre révolutionnaire. Dans leurs pérégrinations à travers la France, le trio tombe sur une autre troupe plus virulente, plus militante, plus en colère. Impossible pour les deux formations de coexister, alors c’est la guerre.

Véritable exercice littéraire au fil duquel les styles et les genres s’entrechoquent, fable célébrant l’absurde et le nihilisme, Jeudi est un roman grinçant qui vante les mérites de nos rébellions adolescentes. Un réjouissant manuel d’insurrection pour débutant·e·s.

| Benoît Coquil, Petites choses

Dans un style presque incantatoire, comme un long trip halluciné qui s’adresse directement à ses personnages, Benoît Coquil écrit le roman vrai de la découverte du dernier psychotrope encore inconnu de l’Occident, le psilocybe, un champignon aux incroyables propriétés hallucinogènes. Il croque le portrait tendre et fascinant de celles et ceux qui ont œuvré toute leur vie pour en percer les mystères. Aux côtés de Gordon Wasson et de son épouse Valentina, deux scientifiques américains autodidactes devenu·e·s dans l’après-guerre des figures emblématiques de la mycologie moderne, on retrouve ainsi la poétesse et chaman Maria Sabina, le chimiste découvreur du LSD Albert Hoffman ou encore le botaniste Roger Heim. Les glorieux acteurs et actrices d’une aventure scientifique et humaine hors du commun, qui nous entraîne des laboratoires secrets de Sandoz jusque dans les montagnes brumeuses de la région d’Oaxaca, au Mexique.

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Mais Benoît Coquil raconte aussi les conséquences inattendues de cette cueillette miraculeuse sur le cours du monde. En 1957, Gordon Wasson signe dans le magazine américain Life un article retentissant intitulé Seeking the Magic Mushroom et la planète entière se prend de passion pour cette épopée. Les hippies déferlent en quête de vérité, les laboratoires pharmaceutiques viennent dégoter le nouveau médicament sacré et la CIA manœuvre pour faire de ce champignon magique une arme à utiliser. Morale de ce conte de fées désenchanté : les plus belles découvertes sont faites pour être piétinées par notre inépuisable avidité.

| Clément Camar-Mercier, Le Roman de Jeanne et Nathan

Dramaturge spécialiste du théâtre élisabéthain, Clément Camar-Mercier met en scène une tragédie aux accents très shakespeariens, un Roméo et Juliette sous amphétamine où les amours ne sont pas interdites, mais destructrices. Jeanne est une célèbre actrice porno qui anesthésie sa souffrance à coups de rails de coke et la déguise en plaisir. Nathan, lui, est un étudiant en cinéma raté qui se drogue pour justifier ses échecs.

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Ils se rencontrent en cure de désintoxication, nouveau temple sacré des victimes d’une société de consommation qui a muté et se noie désormais dans l’addiction. Débute alors une danse, furieuse et sublime, entre Éros et Thanatos, un long trip dont la fin est déjà gravée. Drame social au vitriol, complainte douloureuse et poétique d’une génération désenchantée, Le Roman de Jeanne et Nathan est le tube punk de la rentrée.

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