À l’occasion de la sortie du titre d’action-aventure Lies of P, dont les trailers ont été remarqués pour leur ton sombre et horrifique, retour sur un genre qui se porte à merveille dans l’univers vidéoludique.
Il y a plusieurs manières de susciter la terreur. La tension psychologique, la peur du noir, les apparitions brutales façon jump scare, ou tout simplement le fait de se confronter à des entités difformes et dégoulinantes, des déformations corporelles et des mutilations sanglantes. Depuis quelques années, les propositions allant chercher du côté gore de la Force font un énorme retour en grâce dans la sphère vidéoludique.
Aux origines du “body horror”
Du haut de ses 50 ans d’histoire, le jeu vidéo grand public n’a pas attendu 2023 pour nous faire trembler face à des représentations dérangeantes. Un des premiers exemples du genre est à trouver du côté du Haunted House, paru sur Atari 2600 en 1981.
Un jeu aux graphismes forcément ultraminimalistes, mais qui mettait en scène une visite cauchemardesque dans une maison hantée pleine de monstres difformes. Plus très impressionnante aujourd’hui, cette œuvre a néanmoins stupéfié les joueurs de l’époque par son côté perturbant et immersif.
À mesure que les progrès des ordinateurs et des consoles ont permis le développement de jeux plus ambitieux, le genre s’est étoffé avec des classiques comme le Mad Doctor de Thorn EMI Computer Software et ses scènes de découpe et de dissection de cadavres. Il a cependant fallu attendre les années 1990 pour que des apparitions véritablement insoutenables commencent à hanter nos écrans.
Parmi elles, on trouve le très éprouvant jeu d’aventure I Have no Mouth and I Must Scream, créé par The Dreamers Guild en 1995. Basé sur le roman éponyme, il mettait en scène des corps pendus à des crochets, des parois suintantes d’organes ou encore des humanoïdes grotesques aux organes hypertrophiés. Dans un registre plus connu, les zombies immondes hantant la ville de Raccoon City dans Resident Evil (1996) ou les sous-sols de Silent Hill (1999) et leurs monstres iconiques ont aussi traumatisé de nombreux joueurs.
Un renouveau dans les années 2010
Un peu tombé en désuétude au cours des années 2000 et 2010, le jeu horrifique délaisse le sous-genre du body horror, qui quitte en partie le mainstream pour se réfugier dans des jeux indépendants, à l’image de Penumbra (2007) et Amnesia: The Dark Descent (2010). Des œuvres choc qui remettent au goût du jour les déformations corporelles – toujours plus extrêmes.
Seul un certain Dead Space, riche en dépouilles gluantes et purulentes dans une station spatiale isolée, arrive à se frayer un chemin vers le grand public aux côtés de quelques rescapés comme la série Outlast et son asile rempli de mutants assoiffés de sang.
Le genre revient cependant sur le devant de la scène à mesure que les jeux vidéo indépendants gagnent en vigueur et en action, et que l’industrie japonaise se réapproprie (lentement, mais sûrement) le domaine. Citons par exemple le travail incroyable accompli par le studio From Software sur les jeux Dark Souls, Bloodborne et Elden Ring mettant en scène des corps brisés, déformés et malades inspirés des classiques de la dark fantasy japonaise. Comment ne pas repenser, aussi, aux terribles difformités physiques de la famille Baker dans Resident Evil 7 en 2017 ?
Du côté des petites pépites indés, on retrouve – dans des registres assez différents – des merveilles comme un Little Nightmares (2017) et son épouvantable scène de restaurant pleine d’ogres cannibales, Scorn (2022) et ses tourments inspirés du travail de Hans Ruedi Giger, ou encore The Mortuary Assistant (2022). Très graphique, ce dernier nous plonge en plein cœur d’une morgue dont les corps mutants semblent animés de leur propre volonté et se tordent et se désarticulent à l’envi.
La variété de propositions et d’approches du body horror s’explique en partie par les possibilités techniques de plus en plus abouties. En effet, les gros jeux produits par des éditeurs majeurs flirtent désormais avec un photoréalisme permettant de pousser les représentations dérangeantes beaucoup plus loin, et les développeurs indépendants ont accès à des outils plus simples pour assurer des productions plus ambitieuses.
2023, l’année du jeu horrifique
Soulignons néanmoins que si le jeu vidéo gore a largement regagné ses lettres de noblesse depuis quelques années, 2023 est un moment particulièrement intense de cette dynamique. En décembre 2022, le très (très) graphique The Callisto Protocol avait fait pris soin d’axer une bonne partie de sa communication sur la violence extrême subie par les personnages du jeu – avec à la clé une représentation extrêmement explicite de la mise en scène des blessures et des morts.
Les jeux qui lui ont emboîté le pas n’ont pas uniquement misé sur leur capacité à choquer. Ils commencent à développer un véritable discours esthétique sur cette tendance à afficher des organismes répugnants à l’écran. Decarnation, thriller psychologique français signé par le studio Atelier QDB, confronte ainsi son héroïne Carla à des représentations grotesques d’elle-même dans des séquences de cauchemars, la renvoyant à ses propres peurs internalisées.
World of Horror, prévu pour le 19 octobre prochain, utilise le dispositif pour réinterpréter le travail d’auteurs cultes du genre comme Junji Ito, tout en jouant sur un côté artistique tirant vers le minimalisme graphique. Lies of P s’inspire quant à lui de l’univers familier des contes pour enfants pour en retourner l’univers en le plongeant dans une version épouvante à couper le souffle.
La tendance semble loin de s’inverser, avec une rentrée extrêmement chargée en la matière : Somnipathy et ses rêves difformes, The Gray Man et ses monstres inspirés du courant surréaliste, ou encore le très attendu Alan Wake 2, qui confrontera en octobre un auteur d’histoires horrifiques à ses propres créations. Il n’a jamais été aussi simple de nourrir vos insomnies et de perturber vos nuits avec des apparitions vidéoludiques redoublant de gore.