Décryptage

Sexe et jeux vidéo : pourquoi tant de haine ?

20 août 2023
Par Vincent Oms
"The Last Of Us : Part II" reste à ce jour le plus brillant dans sa représentation de la sexualité en jeu vidéo.
"The Last Of Us : Part II" reste à ce jour le plus brillant dans sa représentation de la sexualité en jeu vidéo. ©Naughty Dog / PlayStation

Très tôt, le jeu vidéo s’est penché sur la question de la sexualité. Mais le média n’a pas tiré toutes les leçons de sa maladresse initiale.

« Sex sells » : le sexe fait vendre. Cette célèbre maxime publicitaire anglo-saxonne s’est toujours appliquée aux médias. Les plus anciens vecteurs culturels ont eu tout le temps de digérer leur puberté dans ce domaine. Au cinéma, les premiers films amateurs exposant des corps nus, qui s’échangeaient sous le manteau au début du XXe siècle, ont fait place à nombre de chefs-d’œuvre s’emparant du sujet avec force.

L’Empire des Sens ou Le Dernier Tango à Paris portent cependant toujours un parfum de scandale. Plus tôt encore dans la littérature, des ouvrages ont exploré la sexualité avec intelligence, avec sensualité et avec un questionnement profond tendu vers autant d’horizons que possible. Dans l’industrie vidéoludique, les choses paraissent tristement différentes.

Immaturité précoce

L’âge du média compte, à l’évidence. Face aux arts majeurs, le jeu vidéo n’est encore qu’un adolescent. Et en tant que tel, ses premières expériences ont été maladroites, marquées par une volonté primaire de transgression, le plus souvent pathétique.

L’ignoble Custer’s Revenge est régulièrement pointé comme le pire jeu vidéo jamais sorti. ©American Multiple Industries

Parmi celles-ci, impossible de ne pas citer Custer’s Revenge, régulièrement nommé comme l’un des pires jeux vidéo de l’histoire. On y incarnait le Général Custer, en pleine érection, affrontant des pluies de flèches pour pouvoir violer une Indienne ligotée à un poteau.

Femmes objets

À ses débuts, le jeu a ciblé de jeunes garçons, sans aucune considération pour le public féminin. Pire encore, il a régulièrement affiché un sexisme méprisant, tant dans les nombreuses publicités suggestives que dans la représentation des femmes, réifiées, ramenées au rang d’objet, dans nombre de titres.

Duke Nukem, comme nombre de licences mettant en scène un héros viriliste, ne brille pas par sa subtilité©2K Games

Les strip-teaseuses de Duke Nukem (1996) en sont l’un des exemples les plus marquants, faisant presque partie du décor. En parallèle de cette image peu valorisante, les premières tentatives érotiques se sont montrées, sans surprise, souvent très limitées.

Du sexe triste

Avec une somme de titres offrant des représentations graphiques oscillant entre érotisme et pornographie, le résultat présentait régulièrement moins d’intérêt ludique que lubrique. Des puzzles games révélant des femmes nues (Gals Panic), des strip-pokers mettant parfois en scène des célébrités (Samantha Fox Strip Poker), des jeux essayant de présenter des rapports sexuels de façon interactive comme seul projet… La liste est aussi interminable que minable. L’un des rares rescapés de ces naufrages reste la tentative humoristique proposée par Leisure Suit Larry, dans un « point’n’click » du développeur mythique Sierra.

Leisure Suit Larry désamorce le malaise souvent créé par son personnage principal avec un humour bienvenu.©Sierra

Et Dieu créa Lara

1996 marque un tournant immense dans la représentation des femmes au sein du média. Le triomphe de Tomb Raider consacre Lara Croft comme l’une des premières héroïnes marquantes du paysage vidéoludique. Pourtant, l’archéologue britannique porte encore les stigmates d’une industrie empreinte de masculinité. Short et T-shirt moulants, formes généreuses restent encore trop proches de l’archétype propre au média.

En short dans la neige, vraiment ? Étrangement, Nathan Drake d’Uncharted garde son pantalon.

Pire encore, des magazines de charme ont eu la riche idée de proposer à leurs lecteurs des photos suggestives de modèles habillées en Lara. Et du côté des joueurs, la rumeur persistante d’un code permettant de voir le personnage nu a fait fantasmer toute une génération de gameurs, alors que l’héroïne offrait enfin une figure féminine majeure aux joueuses. Paradoxe.

Voyous voyeurs

Comme une réponse indirecte à la montée en puissance de l’égérie de Core Design, nombre de jeux d’action vont, avec l’exploration d’univers en 3D, proposer des parenthèses sexuelles à leur public. Habitué des scandales depuis ses débuts, Grand Theft Auto explore ainsi de nouvelles limites avec GTA III, en 2001.

Le personnage principal peut en effet faire monter des prostituées dans sa voiture, s’arrêter dans un coin sombre et échanger quelques dollars contre des points de vie, dans un rapport tarifé évident. Très vite, des joueurs découvriront qu’il suffit de tuer la prostituée pour récupérer son argent. La simple existence de cette « mécanique » est, évidemment, problématique.

La saga GTA a longtemps utilisé les clichés sur le sexe et les personnages féminins issus des films dont elle s’inspire.©Rockstar Games

GTA gardera toujours une forme de fascination pour le sexe, de façon plus cadrée dans ses jeux suivants, contextualisée par les rapports entre les personnages, les lieux ou événements. À l’exception marquante toutefois d’un énorme dérapage qui a fait scandale : le fameux mode Hot Coffe de GTA San Andreas (2004).

Oublié dans le code du programme et mis à jour par des pirates, ce minijeu permettait de jouer des scènes de sexe dans la peau du héros, CJ. Pourtant habitué aux polémiques, Rockstar a fait amende honorable en retirant les exemplaires du commerce, évitant ainsi un classement du titre à destination des adultes, commercialement très pénalisant. Aujourd’hui, le développeur a parcouru bien du chemin sur sa vision des personnages féminins, notamment avec ceux, inoubliables, de Red Dead Redemption (de retour cette année), et de son héros, John Marston, d’une fidélité étonnante.

Jeunesse se passe

Dans un autre registre, God of War sur PlayStation 2 (2005) met en scène Kratos, guerrier spartiate vengeur loin d’être le père assagi des derniers volets, dans des scènes d’orgies interactives. De l’aveu même de Cory Barlog, responsable du dernier Ragnarök (2022), ces éléments font désormais partie d’un autre temps.

Avant de devenir un bon père de famille, Kratos, dans la saga God of War, aura souvent « fauté ».©Santa Monica Studios / PlayStation

L’évolution du personnage, des développeurs et des créateurs autour du sujet donnent du crédit à la thèse d’un média qui manquait de maturité et comprend peu à peu ses erreurs, en essayant de ne plus les reproduire. Un chemin malgré tout laborieux, puisque ces scènes ont existé jusque dans God of War III, en 2010.

Du mieux, enfin

Finalement, il a fallu attendre les jeux les plus riches en termes d’immersion et de dialogues, qu’ils soient des action-RPG ou des aventures à choix interactifs, pour assister aux premières approches pertinentes sur le sujet, dans l’ensemble. De Mass Effect à Dragon Age en passant par Heavy Rain, le sexe devient une option découlant des choix du joueur, non plus un but, mais une conséquence des rapports tissés entre les personnages.

Sur le plan narratif, on notera que The Last of Us Part II évoque sans détour la bisexualité, l’homosexualité, et montre même une scène de sexe particulièrement crue, chose assez étonnante dans une production aussi importante et destinée au grand public. Mais l’impact de la représentativité du jeu de Naughty Dog et la façon naturelle dont la sexualité s’invite dans la narration démontrent là encore un progrès immense.

Mais du pire, encore

Enfin un début de lumière, donc, au bout d’un très long tunnel crapuleux, qui n’exclut pas des rechutes, comme des titres polémiques l’ont tristement démontré. Rape Day, en 2019, a défrayé la chronique par son scénario à peine croyable : dans la peau d’un serial killer, il s’agissait de violer et tuer des femmes, sur fond d’apocalypse zombie… Une abomination qui se verra annulée après une levée de boucliers internationale.

Rape Day, une ignoble production fort heureusement annulée avant sa sortie.©Desk Plant

La sexualité reste donc un énorme chantier à investir pour le jeu vidéo. Étant devenu l’un des médias majeurs à destination des adultes, loin de son public enfantin initial, il ne peut plus faire l’impasse sur cette composante omniprésente chez l’humain. Reste à l’apprivoiser et en donner une lecture intéressante, à l’image des autres arts majeurs, pour enfin rattraper tout ce temps perdu.

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Article rédigé par
Vincent Oms
Vincent Oms
Journaliste