Entretien

Alice Isaaz : “66-5 interroge ce que ça veut dire d’être la femme d’un homme accusé de viol”

15 septembre 2023
Par Thomas Laborde
Alice Isaaz dans la série “66-5”.
Alice Isaaz dans la série “66-5”. ©Denis Manin/Sortilèges Productions/Canal+

La comédienne joue une jeune avocate dans 66-5, la nouvelle série judiciaire (très réussie) de Canal+ qui sort ce 18 septembre. Un rôle dense qui a nécessité une certaine préparation et beaucoup de rigueur.

Dans 66-5, vous jouez Roxane, une jeune avocate contrainte de renouer avec ses origines. Qui est-elle vraiment ?

C’est une jeune femme d’une trentaine d’années qui a grandi dans la cité de l’Abreuvoir à Bobigny. Elle a vécu un drame dans sa jeunesse qui la pousse à s’émanciper et à partir, à quitter cette condition. Elle devient ensuite avocate en droit des affaires, intègre l’un des plus grands cabinets parisiens et se marie avec l’un des avocats du cabinet.

Le jour où celui-ci est accusé de viol par l’une des stagiaires, la vie de Roxane s’écroule. En parallèle, elle est rappelée par son passé quand sa meilleure amie d’enfance lui demande de défendre son mec qui est en prison, tombé pour stup. Elle remet un pied à Bobigny et notamment au tribunal, où elle commence à plaider et à faire du pénal. Finalement, c’est une jeune femme qui est rattrapée par son passé alors qu’elle a tout fait pour le laisser derrière elle.

Qu’est-ce qui vous a plus dans ce personnage ?

Je l’affectionne beaucoup. J’aime sa détermination, son ambition, son côté carriériste, sans l’employer de façon péjorative. Roxane, c’est juste une personne qui veut s’en sortir, se battre pour et elle s’en donne les moyens. C’est une jeune femme de 30 ans, forte, mais aussi dotée d’une grande sensibilité. C’est une fille vraie, entière. C’est l’image que j’ai envie de donner en tant que comédienne à l’écran.

Il y a quelques mois, vous avez confié dans une interview que vous aimiez les rôles éloignés de votre personnalité…

C’est effectivement plus challengeant pour un acteur ou une actrice d’essayer de trouver les clés pour interpréter un rôle au mieux et au plus près de sa vérité. Mais j’aime aussi me trouver des similitudes avec mes personnages et transposer des choses. Ça ne me déplaît pas de jouer des rôles proches de moi !

Que partagez-vous avec Roxane ?

On est de la même génération ! Une génération qui voit les choses évoluer, bouger. Ce n’est pas anodin. Je vais faire un parallèle qui n’est rien de plus qu’un parallèle ; je viens d’un milieu privilégié, mais j’ai grandi dans des petits villages en province. Quand j’ai débarqué à Paris, la capitale, quand je me suis mise à baigner dans le milieu du cinéma, le grand écart a été impressionnant.

©Denis Manin - Sortilèges Productions / Canal+

Il a fallu s’adapter et s’intégrer dans un environnement qui n’avait jamais été le mien. Comme Roxane. Ça, ça m’a plu. Me demander ce qu’elle ressent, ce qu’elle pense quand elle est dans ce cabinet de droit des affaires, quand elle retourne chez elle, dans une cité de banlieue parisienne. Son contexte est évidemment bien différent du mien, mais les mécanismes de pensées sont similaires.

Vous a-t-on rappelé vos origines provinciales à vos débuts à Paris ?

Dans le cinéma, pas tellement ! Les gens sont curieux de savoir d’où on vient, c’est tout. Mais j’ai le souvenir, à l’école, au Cours Florent, que mes amis parisiens nous voyaient comme des provinciaux – mais toujours avec bienveillance.

Roxane est dotée d’une sacrée poigne et d’une belle répartie. Et vous ?

C’est ça que j’aime, elle ne se laisse pas piétiner ! Je ne me laisse pas faire non plus, mais j’ai peut-être un peu plus de retenue.

Elle veut aussi intégrer l’équipe de défense de son mari accusé de viol… Comprenez-vous sa réaction ?

Je me suis raconté que Roxane n’était pas dupe. Elle a épousé cet homme en pensant que c’était un homme bien, incapable de ce dont on l’accuse. Dès lors que des preuves pourraient l’accabler, elle commence à avoir de sérieux doutes et la tendance s’inverse. Elle répond à un instinct de survie.

©Denis Manin - Sortilèges Productions / Canal+

Mais le propos, ce n’est pas son mari et ce dont il est accusé. Il s’agit plus de comprendre l’impact et la réaction d’une telle situation pour une jeune femme de 30 ans, alors qu’elle n’est pas la victime directe ni l’agresseur. C’est une victime collatérale. Qu’est-ce qu’être la femme d’un homme accusé de viol ? Ce qu’elle vit est terrible.

Dans 66-5, vous portez la robe et vous plaidez. Comment vous êtes-vous préparée ?

Des amis travaillent dans ce milieu, donc je leur ai posé plein de questions. Clarisse Serre, conseillère à l’écriture et avocate pénaliste, était parfois sur le plateau lors des plaidoiries, sinon tout le temps joignable. Elle a été d’un grand soutien. J’ai suis aussi allée assister à des comparutions immédiates au tribunal de Bobigny pour voir comment ça se passait.

Je me demandais si on allait croire à Roxane, 30 ans, avocate. Je fais jeune ! Dans les séries, on a tendance à voir les anciennes générations incarner ce genre de profession. Mais aux comparutions immédiates, j’ai été frappée par la jeunesse des avocats, des magistrats. J’ai ensuite appris qu’ils sont nombreux à faire leurs armes à Bobigny. Ça m’a rassurée pour la série.

Quelques scènes sont d’ailleurs tournées là-bas…

Oh oui, de nombreuses scènes ! Pendant les vacances judiciaires, l’été.

Que vous apporte un rôle principal dans une série ?

C’est hyper intense, c’est une épreuve d’endurance. J’ai tourné quasiment tous les jours pendant cinq mois. On filme de nombreuses minutes utiles par jour, c’est une série très bavarde. Il y a beaucoup de textes, c’est éreintant ! Mais aussi génial et excitant. Incarner un rôle durant huit épisodes de 50 minutes force à connaître les scripts par cœur et à toujours savoir où on en est. Il faut être au taquet. C’est une autre rigueur de travail.

©Denis Manin - Sortilèges Productions / Canal+

Est-ce une étape dans votre carrière ?

Ça l’a été pendant le tournage. J’espère que la série le sera à la diffusion. 66-5 a plein d’atouts. Les réalisateurs viennent du cinéma d’auteur et ça fait du bien. Le personnage de Roxane est un bel exemple de réussite sociale.

Quelles ont été les grandes étapes de votre carrière ? La Crème de la crème, peut-être ?

Oui ! Un premier premier rôle dans un film réalisé par Kim Chapiron, écrit par Noé Debré, ça a été un sacré tournant ! Il y en a eu plusieurs pour différentes raisons. Comme Elle de Paul Verhoeven. J’avais un rôle secondaire, mais on a été à Cannes en compétition officielle et Isabelle Huppert a eu le César de la meilleure actrice. C’est un film qui a voyagé de festival en festival. D’autres ont été des étapes personnelles. Je pense à Espèces menacées de Gilles Bourdos, à Mademoiselle de Joncquières d’Emmanuel Mouret…

J’ai lu dans un article que vous aviez aussi joué dans la série de Damien Chazelle, The Eddy

Mais non ! Les journalistes m’en parlent tout le temps. C’est sorti une fois, le journaliste ne l’a pas retiré et c’est souvent repris.

Je vais donc retranscrire l’échange tel quel pour participer à éradiquer l’erreur !

Merci !

©Denis Manin - Sortilèges Productions / Canal+

Quels films, séries et livres vous ont accompagnée durant votre carrière ?

Je pense qu’il y a un peu de tout. Je suis une personne très observatrice. Sans même en avoir pleinement conscience, tout ce que je lis, vois, tous ceux que je regarde jouer m’inspirent. Je n’ai jamais figé une idée sur un bouquin, un film ou une actrice.

C’est évolutif…

J’ai adoré certaines actrices dans certains rôles, mais elles m’ont moins touchée dans d’autres. Évidemment, il y a des réalisateurs avec lesquels j’adorerais travailler, même si c’est toujours réducteur de n’en citer que quelques-uns…

Alors lesquels, par exemple ?

J’adorerais jouer dans une comédie absurde, loufoque. Je pense au travail d’Albert Dupontel. Je suis fan de son cinéma et de son univers. C’est un registre que je n’ai pas encore eu l’occasion d’aborder jusqu’à présent.

©Denis Manin - Sortilèges Productions / Canal+

Et vos coups de cœur culturels récents ?

J’ai trouvé que le roman de Lilia Hassaine, Panorama, était brillant. Ça se passe en 2049 et c’est une satire de notre société. Ce livre serait intéressant à adapter au cinéma. J’ai aussi beaucoup aimé Il ne doit plus jamais rien m’arriver de Mathieu Persan, un roman autour du deuil. Ce ne sont jamais juste des livres, ce sont des moments de vie qui me marquent.

Et les séries ?

Succession ! C’est un peu redondant, mais c’est extrêmement bien écrit. J’adore aussi The Crown, Le Jeu de la dame et Peaky Blinders, même si ça s’essouffle un peu à la fin, à mon sens. Je vais aussi citer l’indétrônable Breaking Bad. Mais en tournage, j’ai plus de mal à lire ou regarder des productions. On est tellement immergé dans une histoire que je suis moins réceptive à celles des autres.

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Article rédigé par
Thomas Laborde
Thomas Laborde
Journaliste