Critique

Exposition Ron Mueck : des retrouvailles cauchemardesques et fascinantes

09 juin 2023
Par Benoît Gaboriaud
Installation de l'exposition de Ron Mueck à la Fondation Cartier, 1er juin 2023
Installation de l'exposition de Ron Mueck à la Fondation Cartier, 1er juin 2023 ©Michel Slomka/MYOP/Lumento

Un dédale de crânes, des chiens inquiétants, des nouveaux-nés mystiques, un homme nu dans une barque, une scène d’abattage bestiale… La Fondation Cartier pour l’art contemporain dévoile le côté obscur de l’artiste Ron Mueck, le temps d’une exposition éponyme aussi cauchemardesque que fascinante.

Jamais deux sans trois ! La Fondation Cartier pour l’art contemporain consacre une troisième exposition à l’artiste star Ron Mueck, baptisée sobrement Ron Mueck. En 2005, pour son premier coup de projecteur notable en France, l’Australien avait spécifiquement imaginé cinq œuvres, fait suffisamment rare pour être souligné, car il n’est pas très prolifique. De nombreux mois, voire des années, lui sont nécessaires pour concevoir ses sculptures. En 25 ans de carrière, il en a réalisé 48 seulement. En 2013, pour sa deuxième exposition dans ce bâtiment signé Jean Nouvel, il présente trois nouveaux ouvrages monumentaux salués par la critique. Alors, aujourd’hui, quoi de neuf ?

Le mystère Ron Mueck

Loin d’être une rétrospective, contrairement à ce que son nom évoque, cette nouvelle exposition Ron Mueck rassemble une toute petite poignée d’œuvres emblématiques de sa production des années 2000, deux nouvelles créations et une installation monumentale. Au total : sept œuvres. C’est très peu et, à juste titre, le visiteur pourrait en sortir frustré. Or, ce voyage dans son univers se révèle passionnant. Il commence par une traversée au milieu de monticules de crânes blancs gigantesques : une installation baptisée Mass (2017).

Certains y voient un charnier, d’autres un clin d’œil aux catacombes de Paris situées juste à côté. Il n’en est rien ; comme toujours, Ron Mueck ne donne aucune explication et laisse planer le mystère sur son art emprunté à l’hyperréalisme. Ce choix délibéré contribue à alimenter toute la poésie de son travail. Un geste facile ? Non. Mieux que de longs discours, l’artiste crée des atmosphères, invente des histoires ouvertes et suscite des émotions immédiates. Sa démarche est loin d’être vaine. Pour s’en rendre compte, il suffit de regarder les visages des visiteurs plein d’admiration, de dégoût ou de peur, au moment où ils découvrent son imaginaire. 

Installation de l’exposition Ron Mueck à la Fondation Cartier, 31 mai 2023.©Michel Slomka – MYOP / Lumento

Des crânes immaculés et baignés de lumière

Dans Mass, Ron Mueck s’attaque à une figure récurrente dans l’histoire de l’art et omniprésente dans la culture populaire : le crâne humain. D’après l’artiste, comme le rappelle le Guide visiteur, le crâne est « familier et étrange à la fois, il rebute autant qu’il intrigue ». Pour l’occasion, l’artiste en a réuni une centaine dans la première salle baignée de lumière.

Commandée par la National Gallery of Victoria en 2017 (Melbourne) et présentée pour la première fois en dehors de l’Australie, Mass est la plus grande œuvre qu’il ait jamais réalisée. Ces crânes étant dissociables et uniques, l’artiste conçoit, en chaque lieu où il les assemble, un nouveau dédale poétique et troublant.

Des souvenirs intimes, mais collectifs

Après un crochet par A girl (2006), la statue d’un nouveau-né gigantesque encore maculé de sang, la visite se poursuit au sous-sol. Dans la quasi pénombre, Ron Mueck nous positionne face à une horde de chiens noirs monumentaux, semblant surgir de l’obscurité. Restée dans un coin de sa tête durant une dizaine d’années, Untitled (Three Dogs) (2023) a été spécialement conçue pour être dévoilée au public français.

Exposition Ron Mueck à la Fondation Cartier – Untitled (Three Dogs) (2023) © Marc Domage

À travers elle, l’artiste nous plonge dans ses peurs enfantines, devant trois chiens de garde, domestiques ou errants. De trois mètres de haut, ils semblent intrigués par notre présence. Nous ne savons pas comment ils vont réagir. Flippant ! Dans la même salle, Ron Mueck nous gratifie d’une deuxième découverte. Pour la première fois, il présente un travail inachevé, This Little Piggy (2023). Cette sculpture de petite dimension lui a été inspirée d’un passage d’un roman de John Berger : l’abattage bestial d’un animal en milieu rural. De facture plus classique, trop même, elle suscite peu d’intérêt, l’essentiel se situant dans la dernière salle.

Installation de l’exposition Ron Mueck à la Fondation Cartier – This Little Piggy (2023). ©Michel Slomka – MYOP / Lumento

Après être passé devant un second nouveau-né, miniature cette fois-ci et dans une posture divine, le visiteur termine ce voyage sensationnel par une rencontre, celle d’un Man in a Boat (2002). Cette  œuvre emblématique de l’artiste a déjà été exposée dans ces murs en 2013, mais dans cet espace qui lui est totalement dédié et sublimé par un magnifique éclairage clair-obscur, elle prend toute sa dimension poétique. Nous ne pouvons avoir que de la compassion face à cet homme nu, dérivant vers l’inconnu à bord de cette barque trop grande pour lui. Son visage expressif, plein d’interrogations et de crainte, prend aux tripes.

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Constituée de sept œuvres hétéroclites, l’exposition Ron Mueck est très courte, mais elle balaie toute l’étendue du travail de l’artiste. Les espaces vides se justifient. Ils ont permis de mettre en scène au mieux ces statues pour en faire surgir des émotions, l’essence même de son œuvre. 

Exposition Ron Mueck à la Fondation Cartier, Paris, jusqu’au 5 novembre 2023.

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