Après le succès de La Vraie Vie en 2018 (Prix du roman Fnac, prix Renaudot des lycéens), ou de Kérozène en 2021, Adeline Dieudonné continue d’explorer toutes les potentialités de la fiction. En témoigne son nouveau roman, Reste, récit tempêtueux d’une femme qui se retrouve avec le corps de son amant.
La couverture du livre est à elle seule une invitation à l’apaisement. Des montagnes, un lac, le décor parfait pour un week-end en amoureux. C’est dans ce cadre presque hors du temps que la narratrice et son amant, M., sont venus s’isoler. C’est le matin, M. va nager dans ce lac dont on prétend qu’il aurait été « formé par les larmes du diable ». Elle reste encore un peu au lit, puis se lève et prépare le petit-déjeuner. Sans se douter de quoi que ce soit, elle lève les yeux, observe le lac, et observe une forme à la surface. C’est le dos de M. Et la vie bascule.
Si M. est mort, l’histoire peut désormais naître. Incapable d’appeler les secours, la narratrice décide de rester avec le corps. Sa réaction paraît étrange et elle en a parfaitement conscience : « J’ai fait ce que je pouvais, comme la plupart des gens. » Elle le sait, on va lui prendre celui avec qui elle se sent si bien. Elle ne dispose d’aucune autre légitimité que celle d’être l’amante : « Je sais qu’il ne manquera à personne chez moi. »
Un fond et une forme
Alors oui, la narratrice reste, elle ne dit rien, et elle écrit à la femme de M. Mais pourquoi lui écrire ? Son but a plusieurs formes : lui expliquer, se justifier, passer outre la douleur, comprendre elle-même ? Grâce à la forme épistolaire, toutes ces ambivalences peuvent se déployer.
Les lettres permettent de saisir les contours d’une telle démarche, mais elles rendent également possible l’exploration du personnage de la narratrice. Sa beauté dans ses bigarrures. Elle sait que son amant est mort, mais une espèce de folie la tient, plus forte que tout, qu’elle accompagne d’un peu de vin.
Que peut-on voir des obsessions d’Adeline Dieudonné dans cette histoire ? La musique – qui accompagne l’évolution du récit – en fait probablement partie. En témoigne la bande-son, présentée à la fin du livre, qui donne une très bonne image de l’atmosphère du roman au moment de son écriture. De Cat Power à Nina Simone, en passant par Dominique A et Sufjan Stevens, toutes les voix se réunissent autour de cette histoire portée par une forme d’universel.
M. et les autres
La narratrice a 40 ans. Quarante années durant lesquelles, en toute logique, des rencontres ont eu lieu. Le lecteur est ici complice de l’indiscrétion, alors que le livre balaie certains pans du passé de la narratrice. Très vite, on comprend qu’avec les hommes, différentes formes de liens – parfois proches de la domination – ont été mises en place, jusqu’à la rencontre avec M.
Alors on réfléchit avec elle, à ces représentations que l’on peut vouloir reproduire, à l’amour hétérosexuel parfois très normatif auquel elle a pu se soumettre, et à la solitude, qu’elle semblait vouloir éviter à tout prix. Le célibat n’étant à l’époque, pour elle, « qu’une période transitoire entre deux relations ».
« Aujourd’hui, pour la première fois, je n’ai plus d’homme. »
Adeline DieudonnéReste
Comme n’importe quelle vie, tous les souvenirs d’amour ne sont pas bons. Reste construit cet enchaînement à travers des moments, comme cette scène éprouvante avec Hugo, l’homme « sanglier » face à la narratrice qui n’est pas une « biche ». Une scène où cette dernière se demande à quel moment le viol peut survenir, alors qu’il est déjà en train d’advenir. Au milieu de toutes ces réminiscences, M. permet de révéler quelque chose de la voix d’une femme, alors que son corps à lui, peu à peu, réagit à la mort.
Il y a mille et une vignettes sur lesquelles on pourrait se concentrer. Car Reste est un livre kaléidoscopique, qui permet de parler à quiconque aime le romanesque dans tout ce qu’il a de plus varié, de plus beau. De plus proche de la vie.
Reste, d’Adeline Dieudonné, L’Iconoclaste, 2023, 282 p., 20 €.