Elle ne compte plus le nombre de livres qu’elle dévore chaque semaine. Son objectif : trouver celui qui méritera une adaptation sur le petit écran.
Vous êtes scout littéraire, un métier très récent en France. En quoi consiste-t-il exactement ?
J’ai commencé ce job il y a sept ans. À ce moment-là, il était très installé aux États-Unis, mais personne ne le pratiquait en France. Un scout littéraire, c’est la tête chercheuse des producteurs (de la télévision, du cinéma, des plateformes…). Notre but est de dénicher un livre avant qu’il soit connu pour ensuite proposer une adaptation en film ou en série – qui est aujourd’hui le nerf de la guerre.
En réalité, ce métier existait déjà bien avant, dans le monde de l’édition. Les éditeurs de littérature étrangère ont un scout à Londres ou à New York, pour avoir une visibilité sur les milliers de textes qui sortent et qui pourraient être traduits en français.
Je fais exactement la même chose pour le petit et le grand écran. Cette activité demande une grande connaissance de l’édition. Il est nécessaire de comprendre ce milieu, d’avoir un réseau, de savoir où aller chercher… Et ça tombe bien, j’ai passé 20 ans dans cette industrie !
Quels sont vos critères de sélection ? Quels éléments vous laissent penser qu’un livre est le candidat idéal pour être adapté en série ?
Avant, on cherchait simplement une bonne histoire : de bons personnages, une intrigue qui nous donne envie de poursuivre l’aventure, du suspens… Mais ça ne suffit pas pour faire une bonne série ou minisérie (qui est notre plus gros besoin aujourd’hui). Avec la quantité de productions sur le marché, on doit trouver une originalité. Exit le énième commissaire bougon ; on en a marre !
Cette particularité peut se trouver au niveau de l’histoire, des caractéristiques des personnages, de l’association des genres (comme un thriller qui prend des allures de fantastique), ou d’un univers qu’on n’a jamais exploré (de nombreux shows se déroulent dans des hôpitaux, mais très peu sont dans des cirques, par exemple). Il faut que ça sorte du lot. Le livre peut être un très bon page-turner, mais ça ne suffit pas pour qu’on l’adapte. C’est du boulot et ça demande de l’argent, donc il faut que ça fonctionne.
Il y a aussi la question de la densité. On doit avoir beaucoup de matière pour tenir six à huit épisodes. On a besoin d’une intrigue principale, de récits secondaires, de nombreux personnages, d’enjeux différents… Il doit se passer beaucoup de choses. Le livre peut prendre le temps de décrire une situation durant 50 pages, mais ça ne durera que quelques secondes à l’écran.
Le dernier critère, c’est le marché. Je travaille pour des producteurs français, donc je dois trouver des adaptations qui leur correspondent et qui fonctionneront dans l’hexagone. Ça ne sert à rien de pitcher Game of Thrones, car personne ne le produirait ici. Le budget est trop conséquent.
Quel est votre plus gros coup, le meilleur livre que vous avez déniché ?
Il faut savoir que les temps sont très longs dans cette industrie. J’ai commencé ce métier il y a sept ans, et des projets sur lesquels j’ai participé au début commencent à peine à sortir. Entre le moment où je les propose et le moment où ils sont diffusés à la télé ou sur les plateformes, il se passe de deux à six ans.
C’est un processus très compliqué. Des mois, voire des années de travail peuvent tomber à l’eau parce qu’une chaîne décide au dernier moment de ne pas prendre la série. Parfois, on présente des centaines d’adaptations, mais il n’y en a qu’une qui sera sélectionnée. Je peux néanmoins vous citer trois textes que j’ai dénichés, et dont je suis particulièrement fière.
La première est tirée d’un manuscrit mexicain. C’est une non-fiction qui raconte l’affaire Florence Cassez à travers le regard d’un local. Elle s’intéresse au dossier judiciaire, mais va au-delà de l’affaire en parlant aussi du contexte politique au Mexique. Quand je l’ai lue, j’ai immédiatement pensé à une minisérie fiction, comme Narcos, mais avec un ancrage franco-mexicain. Finalement, le projet a donné lieu à une série documentaire. Après cinq ans de travail, Désignés coupables : l’affaire Florence Cassez est arrivé sur Netflix en novembre 2022.
La deuxième adaptation à laquelle je pense concerne le livre de Sarah Abitbol. Quand il est sorti, il a créé une véritable affaire d’État, car elle parle des abus de son entraîneur et de la complicité de la fédération. Les producteurs se sont disputé l’adaptation de l’œuvre, mais on a gagné les droits grâce à notre démarche artistique. Au départ, ça devait être une fiction, mais on a finalement décidé de le traiter sous la forme d’un documentaire qui a été diffusé en prime time sur France 2 l’année dernière.
Dans un autre registre, j’ai déniché un livre qui sera diffusé en 2023 sur Arte. Il s’agit de l’adaptation du roman de Tanguy Viel, La Fille qu’on appelle. J’ai adoré ce projet, car tout est allé très vite. Je l’ai lu, j’ai pensé à une productrice qui travaille souvent avec Arte – ça ne pouvait être diffusé que sur cette chaîne –, tout le monde était partant et tout a été écrit et filmé en un an. J’adorerais que ce soit comme ça tous les jours !
Game of Thrones, Orange is the New Black, Big Little Lies, À la croisée des mondes, The Handmaid’s Tale… De nombreux livres ont été adaptés en séries. Quels sont les avantages de ce format par rapport à une œuvre cinématographique ?
Tout dépend du livre. Quand il y a une densité suffisamment importante et que les personnages sont intéressants, le format de la série est nécessaire. Une adaptation de Game of Thrones en film est inenvisageable, il se passe beaucoup trop de choses ! Ce long format permet d’aller plus loin que des unitaires d’une heure trente ou de deux heures (à quelques rares exceptions près, comme Damien Chazelle et son Babylon qui en dure trois).
Il nous permet d’introduire de nouvelles situations qui font écho aux problématiques actuelles. Par exemple, Big Little Lies aborde de nombreux sujets, comme la maternité, la concurrence entre adultes, les abus, les apparences… Une histoire comme celle-là mérite d’être racontée sur plusieurs épisodes. Et une série nous donne l’opportunité de la développer sur plusieurs heures.
Avez-vous remarqué une différence dans la manière d’écrire des livres aujourd’hui ? Certains auteurs adaptent-ils leur style en imaginant une potentielle adaptation en série par la suite ?
Certains auteurs de la jeune génération peuvent être influencés par cette écriture, car ils regardent beaucoup de séries, mais je ne pense pas qu’ils rédigent leur histoire en pensant à l’adaptation. C’est un fantasme. Des genres se prêtent plus au petit écran, comme le thriller ou le polar, mais le romancier est un romancier. Il a sa patte, sa propre créativité et son imagination.
Les œuvres littéraires ayant reçu un prix sont majoritairement adaptées en film, mais L’Anomalie, Goncourt de 2020, va devenir une série. Les choses sont-elles en train de changer ? L’univers du petit écran est-il en train de s’anoblir ?
Oui, et on peut remercier les plateformes pour ça. Elles ont révolutionné cette industrie en donnant carte blanche à des acteurs et des réalisateurs pour qu’ils s’emparent du genre, avec les mêmes moyens qu’au cinéma – voire plus, quand on voit le budget accordé à Game of Thrones.
Avant, tout était cloisonné et les talents du grand écran ne voulaient pas travailler la télé, car ce n’était pas assez prestigieux. Le prestige était réservé au septième art. En l’espace de sept ans, j’ai vu ce marché évoluer. C’est le jour et la nuit. Aujourd’hui, on produit des séries d’une qualité exceptionnelle avec des acteurs de renom qui ont des rôles passionnants.
En 2022, beaucoup de BD et de mangas ont été adaptés en séries. Quelles seront les tendances de l’année à venir ? Quels types de récits ou de formats allez-vous rechercher ?
C’est très difficile d’anticiper les tendances. En revanche, j’en vois quelques-unes se dégager en me basant sur les livres qui sortent en ce moment. J’observe une multiplication de récits sur le féminisme, l’émancipation de personnages féminins, l’inclusion, les sujets LGBTQIA+ avec des histoires de coming-out, d’identité sexuelle ou de genre, les abus, l’inceste… Par exemple, La Familia grande de Camille Kouchner est en cours d’adaptation.
Il y a eu un mouvement social très fort ces dernières années et les œuvres de fiction sont impactées. J’ai aussi vu passer de nombreuses histoires sous fond d’angoisse écologique, mais je ne suis pas sûre que ces scénarios de survival et de catastrophe seront adaptés, car les diffuseurs fuient les histoires anxiogènes en ce moment. Mes prévisions seront-elles justes ? Réponse d’ici quelques mois, ou années !