Pour la sortie de 365 jours pour être sage, l’album de chansons de Noël tiré du phénomène Mortelle Adèle (13 millions d’exemplaires écoulés !), l’auteur de bandes dessinées et romancier Antoine Dole, alias Mr Tan, a accepté de se confier sur le succès de son intrépide héroïne et sur les dessous de cet album musical tombant à pic pour les fêtes de fin d’année. Entretien.
Comment est née Adèle ?
Je l’ai dessinée pour la première fois en 1995, dans mes cahiers d’école. J’avais 14 ans. À l’époque, j’étais victime de harcèlement scolaire. Quand rien ne semblait fonctionner, j’ai eu envie de créer un personnage à l’inverse de moi. Adèle m’a aidé à affronter les violences dont j’étais victime, de par son caractère, sa façon de réagir aux choses, son humour. J’ai pu observer la situation d’une autre manière. C’est pour ça qu’elle s’est construite avec ce caractère très affirmé qu’on lui connaît aujourd’hui. Je vois Adèle comme le cri d’un enfant qui avait besoin d’exister et de traverser la violence des autres. C’est ce qu’elle incarne pour moi.
Que pouvez-vous nous dire de votre collaboration avec la dessinatrice Diane Le Feyer ?
Mortelle Adèle est née en librairie en 2012 avec Miss Prickly à l’illustration. On a partagé cette aventure sur les sept premiers tomes. Puis elle a souhaité explorer d’autres choses, car c’est une série qui demande beaucoup de temps et d’investissement. L’éditeur m’a proposé de discuter du projet avec Diane Le Feyer. Je ne la connaissais pas encore et on est rapidement devenus très proches. On l’a su assez vite, il y avait comme une forme d’évidence. Diane et moi avons le même âge, on a suivi les mêmes dessins animés, on a regardé les mêmes programmes. L’émulation qui existe autour de Mortelle Adèle est aussi due à cette proximité que l’on partage.
Le succès exponentiel de la série a-t-il changé votre vision du personnage?
Ça n’a pas tellement changé notre façon de travailler, car la sincérité est un point important de l’ADN d’Adèle. C’est ce que j’essaie de préserver au maximum. Le but du jeu, c’est de ne pas vraiment écouter les gens qui ont un avis très arrêté sur ce que devrait être un livre ou un succès pour les enfants. L’essentiel de notre travail avec Diane [Le Feyer] est de préserver cette intégrité. On a très à cœur d’être au point de départ de toute la création : la musique, les produits dérivés, le dessin animé, etc. C’est une grosse responsabilité de s’adresser à 13 millions d’enfants, alors on travaille énormément. On reçoit une centaine de courriers par semaine et on se fait un point d’honneur à répondre à tout le monde, car on reçoit des lettres vraiment bouleversantes. Ce n’est pas si facile d’être un enfant et Adèle nous le rappelle quotidiennement.
D’un point de vue narratif, vous avez un peu conçu cet album de chansons comme un hors-série ?
Oui, c’est un vrai conte de Noël à la sauce Mortelle Adèle. Les chansons font partie de l’histoire qu’elle raconte. La musique permet de partager des émotions très rapidement avec les autres. Ça se rapproche beaucoup de l’illustration ; avec les couleurs, les images, les traits, on parvient très vite à capter les gens. La musique a ce même pouvoir, c’était donc assez évident pour nous d’emmener Adèle sur ce terrain-là, car elle a cette énergie très immédiate envers ses lecteurs.
Quel(s) message(s) vouliez-vous transmettre avec cet album ?
Chaque support étant le lieu d’une création inédite, il était question de savoir ce qu’Adèle avait envie de raconter et de défendre. Il fallait en quelque sorte penser Adèle par le prisme de la revendication, tout en restant drôle. Elle arrive à fédérer les enfants par sa malice autour de sujets importants. Cet album est une façon, sous un angle ludique, de sensibiliser les enfants sur le fait qu’il s’agit d’une fête qui célèbre beaucoup les enfants sages : or, on tenait à leur montrer que la désobéissance est aussi autorisée et que les enfants “pas sages” ont aussi le droit d’être célébrés.
Vous évoquez aussi l’injustice autour de la Mère Noël…
Oui, c’était important de montrer qu’elle n’est pas juste là pour prendre soin des lutins, qu’elle a aussi un rôle important à jouer dans cette aventure. Ce qui est intéressant avec cette série, c’est que les parents qu’on touche sont des parents qui se souviennent qu’ils ont un jour été des enfants. “J’aurais aimé avoir Adèle quand j’étais petit” : on reçoit beaucoup de témoignages de ce genre. On se rend compte qu’il y a beaucoup d’adultes qui ont grandi en oubliant qu’ils ont eu cet âge-là. Or, c’est dans l’enfance que se logent la plupart de nos évidences. C’est primordial de s’adresser aux enfants, quel que soit leur âge.
Comment avez-vous choisi Dorothée Pousséo (voix française, entre autres, de Margot Robbie) pour incarner votre héroïne ?
On a commencé à chercher sa voix il y a quelques années pour des essais d’animation. Dans ma tête, elle a toujours eu une petite voix rauque, comme une petite Jeanne Moreau ! Une vieille âme dans un petit corps, en quelque sorte. La voix de Dorothée m’a toujours fascinée, je trouvais qu’elle traduisait bien ce grain. On a fait connaissance et on a tout de suite ressenti une espèce d’évidence. Mon souhait, c’est de m’entourer de gens qui font partie de ma vie de tous les jours et que j’aime autant professionnellement qu’humainement. C’est comme ça que l’on conçoit les choses avec Diane, ça donne encore plus de valeur à ce qu’incarne Adèle.
Vous avez d’ailleurs vous-même poussé la chansonnette, comme sur le précédent album.
Quand j’étais petit, je voulais d’abord devenir parolier. Chez moi, on ne lisait pas de livres, mais on écoutait beaucoup de musique. J’ai mué très tard et j’avais une voix très aiguë dont on se moquait beaucoup à l’école. J’avais appris à détester ma voix au fil des années, je ne la supportais pas. Aujourd’hui, on encourage les enfants à célébrer leurs différences, leur part de bizarrerie, à s’assumer et à être fiers. Je me suis dit qu’il était aussi important de leur montrer que nous, adultes, avons aussi des choses à accepter de nous-mêmes et des différences à célébrer. Le fait de chanter sur cet album était une façon de leur montrer qu’on ne fait pas que manipuler de jolis messages, on les applique aussi à nous-mêmes. Ça m’a réellement aidé à me réconcilier avec ma voix. Dorothée m’a appris à l’utiliser comme un instrument, à la manipuler différemment pour qu’elle ne soit pas juste un mauvais souvenir. Finalement, c’était très thérapeutique comme exercice !
D’un point de vue musical, les instrumentations sont encore une fois très variées…
C’était encore plus flagrant sur Show Bizarre, car chaque chanson incarnait un genre différent. Ici, on essaye de garder un fil conducteur et une sorte de rythmique 8-Bit. Adèle est dans un univers très vidéoludique : on avait en tête cette sonorité de jeu vidéo, tout en essayant de conserver une énergie un peu rock et revendicatrice. C’était important qu’elle conserve cette couleur musicale tout en restant dans quelque chose de joyeux. C’est Noël après tout, donc il fallait aussi se plier à certaines contraintes musicales. Mais ça reste un Noël à la façon d’Adèle !
En juin dernier, on apprenait le lancement à venir de votre propre “maison de création”. Qu’est-ce que cette nouvelle aventure va changer pour Adèle ?
Pour elle, je ne pense pas que ça va changer grand-chose. Après tout, ses “parents” ont toujours été Diane et moi ! En revanche, pour nous, ça va être chouette, car on aura plus de liberté. Ça nous ouvre tout un champ de possibles : c’est une maison qui va vraiment être à 360 degrés dans ses développements (bande dessinée, musique, animation, etc.) et qui va permettre d’être à la fois en production, en coproduction, en édition et en coédition de tous les projets Mortelle Adèle. C’est la garantie de pouvoir préserver cette intégrité à laquelle on tient. À un moment donné, on avait besoin d’avoir plus de poids dans les limites qu’on pouvait poser à ce qui était fait autour d’Adèle. À un moment donné, ça passait donc forcément par dire : “Elle habite chez nous et si vous voulez l’approcher, vous venez chez nous !”
365 jours pour être sage par Mortelle Adèle, Load Records, paru le 25 novembre 2022, 14,99 €.