Dire que l’on craignait Sonic Frontiers et que les premiers retours incitaient plutôt à la prudence est un euphémisme. Malgré quelques errements notables, l’éternelle mascotte de SEGA a finalement réussi à nous convaincre par la générosité de sa proposition.
Incontournable dans les années 1990, Sonic semblait en bout de course depuis un bon moment. Un jeu de fans qui se transforme en énorme succès ludique et commercial (Sonic Mania), des runners efficaces qui empilent les millions de téléchargements sur mobile et deux films de cinéma qui font fureur chez les plus jeunes ont heureusement propulsé une nouvelle fois le hérisson bleu sur le devant de la scène. Il manquait toujours une production vidéoludique d’envergure pour que le retour en grâce soit total, et que la légendaire Sonic Team reprenne confiance après des années de marasme. La mission est en partie réussie avec Sonic Frontiers.
Le diamant d’une île
Le derrière entre deux chaises depuis trop longtemps, SEGA a finalement décidé de trancher avec une proposition radicale : Sonic Frontiers est un jeu de plateforme et d’action en trois dimensions qui offre un espace de jeu ouvert, que l’on peut explorer librement. Et, contre toute attente, c’est là sa plus grande force. En adossant une construction d’espace tout à la fois dense et aérée à des mécaniques de gameplay simples et efficaces, le dernier Sonic offre des sensations grisantes, voire hypnotiques. L’idée-force du titre est de conjuguer vitesse et liberté, et c’est un vrai bonheur d’enchaîner les loopings, les grinds vertigineux et les envolées puissantes pour passer d’un assemblage de plateformes à un autre sans jamais lever le pied.
À la manière de Breath of the Wild ou Elden Ring, Sonic Frontiers nous incite fortement à naviguer à vue pour voyager aux quatre coins de ses vastes aires de jeu. Il nous appartient donc de choisir dans quel ordre compléter les minijeux, quêtes annexes et objectifs en tout genre qui constellent les quatre îles principales de l’aventure, où sont disséminées les sempiternelles Chaos Emeralds que le facétieux hérisson doit réunir pour se transformer en Super Sonic.
La jouabilité est globalement précise et l’action très lisible, grâce à la maestria avec laquelle la Team Sonic est parvenue à dompter la caméra. La vue virevolte autant que le hérisson aux baskets rouges, offrant un écot non négligeable aux excellentes sensations procurées par les cavalcades effrénées de l’insectivore bipède.
Bien sûr, passer en un clin d’œil de la vue fixe d’un affichage de côté à une caméra et un déplacement totalement libres ne va pas sans quelques heurts, mais Frontiers a le bon goût de ne pas trop nous pénaliser en cas de sortie de route. Les puristes regretteront sans doute cet affront à l’exigence caractéristique des meilleurs épisodes de la licence, mais la nouvelle cible du hérisson bleu (les plus jeunes, principalement) y trouvera largement de quoi étancher sa soif de sensations tout en évitant les frustrations inutiles.
Masaka… Nigerou !
Pour varier un peu sa recette, la Team Sonic a placé des ennemis en petit nombre en travers de la route de notre héros. Libre à lui de les affronter ou de fuir, mais de nombreux outils sont à sa disposition si l’envie lui prend d’en découdre. La palette de coups disponibles va de pair avec la diversité des ennemis, qui disposent chacun d’un point faible à exposer à l’aide des pouvoirs que l’on débloque au fil de l’aventure.
Pas forcément passionnants, les affrontements tournent heureusement souvent court une fois le comportement redondant des adversaires correctement intégré, et virent même au spectaculaire une fois l’arbre de compétence entièrement ouvert.
Des ennemis plus massifs et retors viennent quand même relever le niveau, nécessitant un peu plus de maîtrise et de précision pour être définitivement mis hors d’état de nuire. Mieux encore, les gigantesques boss qui concluent chaque île, réminiscences de Shadow of the Colossus auquel s’attaquerait un super saiyan de Dragon Ball Z, offrent de grands moments d’action dignes des meilleurs shonens, entre démonstration de puissance, musique énervée et angles de caméra valorisants.
Le trop est (aussi) l’ennemi du bien
Mais avant cela, il faudra tout de même mettre la main sur ces fichues émeraudes, qui nécessitent des clés en nombre suffisant. Sur sa route, Sonic devra également récolter une foultitude d’autres ressources pour nourrir son évolution, clarifier la carte des lieux, libérer ses alliés de toujours ou augmenter encore un peu sa vélocité. Trop complexe pour son propre bien, avec une dimension RPG dont on aurait largement pu se passer, la progression se révèle même sacrément redondante : la Team Sonic recycle sa formule d’une île à l’autre, et c’est toujours avec un peu moins d’entrain que l’on se lance dans l’exploration d’une nouvelle zone une fois la précédente vidée de sa substance.
On passe largement l’éponge sur les petites énigmes qui jalonnent ces vastes environnements. La facilité et la vitesse avec laquelle on s’en débarrasse n’en font pas un obstacle consistant au plaisir de fouler les contrées de Frontiers. Les minijeux liés à Amy, Knuckles et Tails sont déjà plus problématiques : ils traînent souvent en longueur, en plus de souffrir de pics de difficulté absurdes. Dans la même veine, les niveaux « cybernétiques », obligatoires pour avancer, pourront poser quelques problèmes.
Pensés comme des hommages à la licence, ces stages indépendants exposent au grand jour les limites de la jouabilité du titre, si bien masquées dans le monde ouvert. Retourner à Green Hill ou Chemical Plant ravivera sans doute la flamme de la nostalgie, mais aussi la frustration de tomber inexplicablement dans un trou ou de rater un embranchement à la suite d’une collision hasardeuse. Parfois brillantes et jouissives, ces respirations cloisonnées sont trop souvent épuisantes et difficiles à lire, en plus d’être particulièrement exigeantes en termes d’objectifs à remplir pour les boucler complètement.
Hérisson et lumière
Bourrés de petits clins d’œil sympathiques et de détails visuels et sonores saisissants – même si un filtre numérique grossier vient en ternir la beauté et la clarté – ces niveaux restent largement au-dessus de ce que propose le reste du jeu. Graphiquement plutôt terne et artistiquement timide (la forêt, le désert, la lave), Sonic Frontiers se targue malgré tout d’une fluidité impeccable (en 1080p sur PS5, tout du moins) et de quelques panoramas magnifiques de surréalisme, que l’on prendra le temps d’admirer quelques secondes avant de repartir enchaîner les loopings à mille à l’heure.
Pour le reste, on frôle la catastrophe technique. L’affichage tardif des éléments du décor fait particulièrement tache, surtout dans un monde aussi vide et peu détaillé, tandis que les jeux de lumière plutôt réussis sont complètement étouffés par les changements inopinés de météo, qui viennent vomir leurs nuances de gris et gâcher les beaux tableaux que l’on évoquait plus haut.
Sonic Frontiers agrémente heureusement nos cabrioles de bruitages emblématiques de la licence, qu’on ramasse un anneau ou qu’on heurte un bumper. La Team Sonic a été moins conservatrice du côté de la bande-son, qui alterne les petites ballades folk reposantes et les pistes rock énervées en fonction des situations de jeu. C’est inégal, mais toujours plus coloré que l’esthétique moribonde qui nous est proposée d’un bout à l’autre de l’aventure.
Conclusion : on achète ou on passe son chemin ?
D’un strict point de vue comptable, il est difficile de recommander Sonic Frontiers. Impossible de faire abstraction de sa progression redondante et inutilement complexe, de son esthétique tristoune et de sa technique vacillante. Heureusement, un jeu est toujours plus que la somme de ses parties : maladroite, mais généreuse et accessible, cette nouvelle proposition se voit portée par les excellentes sensations qu’elle procure manette en main.
Ivre de vitesse et de liberté, on souhaiterait que ces boucles, ces tremplins et ces structures surréalistes s’enchaînent à l’infini. Le pari audacieux de Sonic Frontiers est donc réussi, à condition que l’on consente au sacrifice opéré par cette licence trentenaire.