Critique

Parisiennes citoyennes ! : les femmes en lutte au musée Carnavalet

03 novembre 2022
Par Clara Authiat
Parisiennes citoyennes ! : les femmes en lutte au musée Carnavalet
©Carnavalet

Avec Parisiennes Citoyennes !, le musée Carnavalet met en lumière deux siècles de combats menés par les femmes pour leur émancipation. Une exposition en immersion.

On n’avait encore jamais rassemblé dans une même pièce les saint-simoniennes de la Révolution française, les suffragettes déterminées du début du XXe siècle ou encore les fougueuses militantes du Mouvement de libération des femmes (MLF) des années 1970. Le musée Carnavalet s’y attèle justement avec Parisiennes citoyennes ! Engagements pour l’émancipation des femmes (1789-2000).

Il était temps ; et ce musée spécialisé sur l’histoire de la vie parisienne a toute sa légitimité : « Paris est à la fois l’épicentre et la vitrine des changements culturels », explique Valérie Guillaume, la commissaire de l’exposition. Pour résumer cet esprit, l’exposition met d’ailleurs en exergue une belle citation de la peintre Louise Breslau, qui se remémore à propos de Paris : « Une femme artiste n’y était pas un monstre, pas une folle, pas une aventurière qui se montait la tête ou une ambitieuse. Au contraire, elle était comprise, fêtée. »

Il était donc naturel que le musée Carnavalet propose cette ambitieuse traversée chronologique de la Révolution française jusqu’à l’an 2000, en passant par le Second Empire, la Première Guerre mondiale, la Résistance ou encore les années post-68. Soit cinq salles thématiques, autour d’époques qui furent des temps forts pour les femmes qui ont su exiger et obtenir de nouveaux droits.

©TDR

Une invitation à la révolte

La scénographie propose de nous immerger dans ces luttes. Ainsi, l’exposition s’ouvre sur un sas où sont suspendues des banderoles affichant des prénoms dont certains résonnent tout de suite (Simone, Olympe ou Gisèle). Cette toute première salle est pensée comme la promesse d’une plongée dans l’histoire de ces femmes engagées, connues ou anonymes.

Et la banderole donne le ton : ici, on revendique ! D’ailleurs, le point d’exclamation du titre de l’exposition ne laisse aucun doute sur cette intention. Puis, c’est à travers de nombreuses affiches, prospectus, peintures, livres, photographies et archives sonores et filmées que l’on (re)découvre ces combats.

Lors de cette déambulation, les découvertes sont nombreuses et parfois insolites. On peut ainsi admirer un éventail de suffragettes qui lorsqu’il s’ouvre réclame le droit de vote ou encore la première revue féministe, parue en 1832, La Femme libre, qui clame déjà : « Nous naissons libres comme l’homme, et la moitié du genre humain ne peut être, sans injustice, asservie à l’autre. »

L’exposition est dense, et il faut donc savoir prendre son temps pour en découvrir les secrets et les subtilités. Moyennant quoi, on est littéralement happé pour mieux se retrouver aux côtés de ces femmes combatives.

L’histoire du côté des femmes

On croise alors les destins d’Olympe de Gouge, qui a rédigé la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne en 1791, de la suffragiste Hubertine Auclert, la première à avoir formulé la notion de féminisme en 1882, ou encore de l’institutrice Louise Michel, qui a défendu l’accès au Certificat d’étude pour les filles en 1868…

Mais qui se souvient de Séverine, la toute première journaliste professionnelle française, qui représentait une nouvelle manière de vivre pour les femmes ? Ou encore de la militante communiste Rose Zehner qui n’hésitait pas à lever son poing en l’air lors des grèves dans les usines ? Qui se rappelle, enfin, que trois femmes entraient au gouvernement, en 1936, alors même qu’elles n’avaient pas le droit de vote ?

Vient un moment où l’on est bluffé par autant d’énergie déployée. Et l’intérêt de l’exposition réside justement dans sa capacité à changer la représentation qu’on se fait des femmes et de leur rôle dans la société. Ici, on voit des femmes actives et non pas passives. Et c’est presque révolutionnaire en soi, puisque les historiens ont la fâcheuse tendance à raconter l’histoire de façon « neutre », donc du point de vue masculin.

Cette dimension, on la doit sans doute à l’implication de l’historienne Christine Bard, pionnière de l’histoire des féminismes, qui œuvre ici comme conseillère scientifique.

L’exposition est d’autant plus fine qu’elle n’oublie pas les « heures sombres » pour les femmes. Ces moments de backlash où les droits leur sont retirés. Ainsi, le Code civil napoléonien, en 1804, prive les Françaises de tout droit sur elles-mêmes et leurs enfants, aboutit en 1810 à restreindre le droit au divorce et considère « le meurtre commis par l’époux sur son épouse infidèle jugé excusable »… Les exemples sont pléthores et récurrents.

Si cette exposition met fin à des siècles d’invisibilisation et d’injustice envers les femmes et leurs luttes, elle rappelle donc aussi que l’histoire est faite de mouvements de balancier. Avec Parisiennes Citoyennes !, le message est clair : il faut rester vigilant·e.

Parisiennes Citoyennes !, au musée Carnavalet (Paris 3e), jusqu’au 29 janvier 2023. Du mardi au dimanche de 10h à 18h. 11 €/9 €.

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