Le mangaka, auteur de plusieurs séries, mais surtout de très nombreuses histoires courtes, se sert du genre de la tranche de vie pour ausculter la société japonaise et ses travers.
Lorsqu’on évoque le genre de la tranche de vie dans le manga, on pense généralement à des œuvres centrées sur des collégiens ou des lycéens, des histoires d’amour légères et de belles amitiés. Avec Inio Asano, on est bien loin de tout ça. L’ensemble de ses mangas sont traversés par la banalité du quotidien, sa tristesse et ses frustrations. Vous l’aurez deviné, ce n’est pas forcément le genre d’histoires à découvrir quand ça ne va pas. Pourtant, la poésie de ses œuvres est passionnante, et son regard sur la vie ne laisse absolument pas indifférent.
Pour mieux connaître son style, les histoires courtes sont une bonne porte d’entrée. Les recueils sont nombreux : Un monde formidable, Quartier de la lumière, La Fin du monde avant le lever du jour, Anthology… Toutes les œuvres d’Inio Asano sont publiées chez Kana et, dans chacune d’elles, on découvre l’absurdité du quotidien des jeunes Japonais qui, souvent, ne trouvent pas leur place dans la société.
Entre crises existentielles et illusions perdues
Ces jeunes gens dépeints par Inio Asano partagent de nombreux points communs au fil des histoires : ils sont idéalistes ou bien malheureux, mais surtout, ils ne vivent jamais la vie dont ils auraient rêvé. Beaucoup sont des travailleurs précaires, des « freeters » (le nom que les Japonais donnent à ceux qui vivent de petits boulots temporaires) ou des « salaryman » (les employés de bureau, le travail le plus banal dans le pays).
Tous ces métiers aliénants font le quotidien du Japon. On sent que l’auteur est révolté par ce fonctionnement absurde où chacun doit être dans une case. Ses personnages sont justement ceux qui ne parviennent à entrer dans aucune case ou qui deviennent malheureux en restant dans la leur. C’est également pour cette raison que le suicide et, plus généralement, l’obsession pour la mort sont aussi présents dans son œuvre.
La thématique de la fuite est aussi très importante, que ce soit par le fait de quitter son travail, sa ville ou ses proches, car les personnages d’Inio Asano ont souvent dû renoncer à un rêve pour rentrer dans le moule (comme dans Solanin, son manga culte adapté au cinéma). Mais pour eux, ce moule n’est pas à leur forme.
À la lecture de ces œuvres, on se retrouve devant des réflexions vertigineuses sur la vie. Les personnages ne cessent de se remettre en question, de faire des choix difficiles, souvent les mauvais d’ailleurs, à commencer par le mangaka lui-même. Ce n’est pas pour rien que dans beaucoup de ses histoires, notamment le one-shot Errance, il décrit le quotidien d’un auteur de mangas très acerbe vis-à-vis de son propre travail.
Bonne nuit Punpun, son chef-d’œuvre vertigineux
Toutes ces réflexions, Inio Asano les a explorées puis regroupées dans la série Bonne nuit Punpun, son œuvre phare, la plus connue à ce jour et la plus qualitative. Elle se penche sur la vie du jeune Punpun, de l’enfance au début de l’âge adulte. En 13 volumes, l’auteur parvient à conjuguer ses nombreuses analyses de la vie au Japon à cet âge-là. Surtout, il fait une chose qu’il a rarement eu l’occasion de faire dans ses histoires courtes : il laisse parler sa créativité et son dessin dans ce titre très particulier.
Il s’affranchit de certaines conventions, notamment pour son personnage principal et sa famille, dont le design rappelle vaguement un oiseau. Par là, il permet au lecteur d’y placer n’importe quel visage et de faciliter l’identification. De plus, son dessin y est absolument sublime, et on se surprend à admirer de nombreuses doubles pages.
Bonne nuit Punpun est une œuvre d’une profonde noirceur, dans laquelle Asano va en profondeur dans ses thèmes de prédilection, parfois même trop loin. Cela donne à l’arrivée une série vertigineuse de densité, de laquelle on ne sort pas indemne. C’est le genre d’œuvre matricielle qui peut marquer une vie.
Cette série a permis à Inio Asano d’ouvrir ses perspectives, ce dont il s’est servi pour sa dernière série, Dead Dead Demon’s Dededededestruction, une histoire de science-fiction en forme de métaphore du traumatisme qu’ont vécu les Japonais après la catastrophe de Fukushima, avec un réalisme social toujours aussi présent.