Son parcours personnel aux côtés de son frère Thibault a motivé l’écriture de son premier livre, Ensemble, on aboie en silence (2020). Depuis, le rappeur Gringe tente de libérer la parole, à travers diverses actions, autour de la schizophrénie et plus largement des maladies mentales. Rencontre.
On le connaît à travers sa carrière musicale, aux côtés d’Orelsan et leur groupe Les Casseurs Flowters. Pourtant, depuis plus de deux ans, le rappeur Gringe utilise aussi sa prose pour libérer la parole autour des maladies mentales. Avec Ensemble, on aboie en silence (2020), son premier roman, l’artiste était revenu sur la schizophrénie de son petit frère. Depuis, le chanteur, à travers divers projets et engagements, tente de dépoussiérer les idées reçues autour des troubles psychiques.
Il parraine et signe d’ailleurs ce mois-ci la préface d’un recueil de nouvelles intitulé Un peu, beaucoup… à la folie dans lequel dix auteurs brisent les tabous sur les maladies mentales. Il interviendra également dans le cadre du festival Pop & Psy (du 7 au 9 octobre à Paris), un événement qui vise à déconstruire nos préjugés autour de la psychiatrie et à proposer des solutions innovantes. Autant de manifestations qui font désormais écho au parcours personnel de Gringe, ainsi qu’à son investissement public, et sur lesquels l’artiste a accepté de revenir avec nous.
Pourquoi était-ce le bon moment d’écrire Ensemble, on aboie en silence ?
J’arrivais au terme de ma tournée afin de défendre mon album. J’étais épuisé, mais j’avais tout de même ce spleen d’après projet. C’est à ce moment-là que les éditions Harper Collins et Wagram Livres m’ont approché avec l’idée de parler de schizophrénie, étant donné le parcours de mon frère. J’ai eu carte blanche tant sur la forme que sur le fond.
J’ai eu l’idée d’incarner la parole du grand frère tout en incluant Thibault dans le projet d’écriture. J’y ai vu une possibilité de jeu, un nouveau style d’écriture. Il y avait aussi l’envie de travailler avec mon frère et de partager ses textes à la fois sarcastiques et poétiques sur le monde des hôpitaux psychiatriques. Plus largement, ce livre était nécessaire, car c’est une façon de démystifier les troubles psychiatriques et de s’opposer à la stigmatisation dont souffrent les malades.
Le Covid a aussi participé à sensibiliser l’opinion générale sur les conditions de vie de nos exclus.
Gringe
Vous parlez d’impact sociétal à plus grande échelle. La parole se libère-t-elle au sujet des maladies mentales ?
À titre personnel, depuis quelques années, je remarque dans les médias des prises de parole plus fréquentes. Bien que donner la parole soit tout aussi compliqué, j’ai le sentiment que le dialogue se libère vis-à-vis du peuple psychiatrique. La recherche sur les origines des maladies mentales et leur traitement évoluent, ce qui permet de faire bouger les lignes. On peut également citer l’impact du Covid, car on a tous été touchés de près ou de loin par l’isolement et la dépression qui peut en découler. Ça a aussi participé à sensibiliser l’opinion générale sur les conditions de vie de nos exclus. Le fait de subir un isolement forcé, ça a permis de déplacer le curseur. Tous ces paramètres favorisent le débat public autour de ces problématiques, ce qui permet de les rendre moins tabous et de combattre les fausses idées, d’où l’intérêt du festival Pop & Psy aussi.
Le festival Pop & Psy sera aussi l’occasion de discuter de l’influence du divertissement sur la représentation des maladies mentales…
Oui et de déconstruire les représentations classiques, parce que dans la culture populaire, que ce soit dans les films ou dans les séries, on associe beaucoup les troubles mentaux aux comportements des tueurs en série. Il y a toujours ces amalgames – dont les patients souffrent – entre une personne atteinte de troubles et un psychopathe finalement.
Quand il s’agit de mon engagement sur les maladies mentales, je prends tout ce qu’on me donne, parce que c’est trop important
Gringe
Justement, qu’attendez-vous des rencontres durant cette première édition ?
Je pense que toutes les occasions sont bonnes à saisir pour être dans l’échange. C’est notamment ce que m’a enseigné la parution de mon livre. Après sa publication, j’ai enchaîné deux ans de rencontres. J’ai fait des salons littéraires, je suis allé à la rencontre des personnes qui travaillent dans des instituts spécialisés, des associations, j’ai participé à des ateliers d’écriture. Finalement, j’ai rencontré des gens qui avaient un besoin d’écoute, de dialogue et de réparation. Je me suis rendu compte à quel point l’aspect inclusif était important tant pour les patients, leurs familles que le personnel médical. Il faut prendre la parole, leur donner, bien que je ne sois pas le haut-parleur de la cause, mais plus un relais, notamment dans ce genre d’événement.
Il y a quand même une forme de légitimité à ce que vous en parliez, du fait de votre quotidien, mais aussi en tant qu’artiste ?
Oui, mais je ne veux prendre la place de personne. Je suis plus un référent disons, à travers qui les gens s’identifient et avec qui je partage le même système de valeurs morales. Le fait qu’une personnalité publique, un artiste, prenne la parole, le fasse librement, en assumant, c’est magnifique. Après, je ne sais pas si je suis devenu une figure du combat. Là où je sélectionnais auparavant par rapport aux projets musicaux et cinématographiques, quand il s’agit de mon engagement sur les maladies mentales, je prends tout ce qu’on me donne, parce que c’est trop important. Je me rends compte que si je peux apporter ma pierre à l’édifice, il faut que je le fasse.
Les mots sont précieux, ils permettent de faire du bien à tout le monde.
Gringe
C’est aussi pour cela que vous parrainez le recueil sur la santé mentale Un peu, beaucoup… à la folie ? Vous avez aussi rédigé la préface. Qu’est-ce qui vous a marqué dans ce projet ?
J’ai été charmé par l’idée que des autrices et des auteurs qui ne sont pas issus de la maison d’édition viennent rassembler leurs forces et le fassent de manière littéraire : ce sont des nouvelles, pas des témoignages. Ils ont mis leur plume au service des questions sur la santé mentale. Le grand thème du recueil, c’est l’invisibilité. Bien que je connaisse ce sujet, j’ai été bouleversé, notamment par l’histoire de Violaine Huisman.
Quant à la préface, quand on me l’a proposée, j’arrivais à saturation sur le plan moral et émotionnel, mais le projet avait du sens et correspondait à ce que je fais depuis quelques années – notamment avec l’association La Maison perchée –, donc je suis très fier d’y avoir participé.
Cette préface fait-elle office de conclusion, deux ans après la parution de votre livre ?
On peut dire ça, oui. Disons que je n’ai plus spécialement envie d’y revenir par l’écriture d’un livre ou à travers la musique comme sur le morceau Scanner (2018). Ce sera sûrement autre chose à l’avenir. Et puis, j’ai senti que c’est quelque chose qui brasse vachement l’entourage. Il y a des retombées positives pour mon frère, pour ma famille, mais c’est aussi impudique quand on est dans l’écriture introspective. À commencer pour mon frère, qui craignait que je revienne à l’écriture d’un nouveau chapitre. Il est content de l’impact positif qu’a eu le livre sur les problématiques de santé publique, mais parler du bouquin, c’est parler de lui et ça, je crois que ce n’est pas dans sa nature. Donc oui, cette préface permet de boucler la boucle.
Est-il plus facile d’écrire sur les maladies mentales que d’en parler, pour vous ?
Absolument. L’écriture fonctionne comme un exutoire. De mon point de vue, j’ai trouvé ça plus simple de le faire par écrit, dans un livre, car l’écriture littéraire offre un espace d’expression tellement vaste qu’on peut aussi désamorcer avec des paragraphes et des chapitres un peu plus légers. Les mots sont précieux, ils permettent de faire du bien à tout le monde. Parfois, ils sont choisis avec émotion, sans être pour autant dans une vendetta. Finalement, c’est parler de l’ignorance de sa famille, mais surtout de l’ignorance générale, qui se répercute sur les conditions de vie d’une personne qui souffre. C’est plus simple aussi par écrit, car on arrive à toucher les gens, notamment à travers notre parole d’artiste.
Enfin, quels sont vos futurs engagements pour l’avenir ?
Je vais continuer de m’engager auprès de La Maison perchée, car c‘est là où je suis le plus légitime. Ça fait deux ou trois ans que je les ai rejoints, je connais tous les membres fondateurs et toutes les équipes. Ils vont d’ailleurs ouvrir un nouveau lieu dans les prochaines semaines, qui va proposer de l’accueil d’urgence et des accompagnements dans le temps, artistiques, thérapeutiques et inclusifs. Ce genre d’établissement – comme le Clubhouse également – permet de faire la jonction entre le lieu où se déclenche la maladie et les services médicalisés, les hôpitaux psychiatriques. Leur ouverture permet de dynamiter les angoisses liées aux troubles mentaux, de déconstruire les préjugés. Il y a de quoi être plus optimiste qu’auparavant grâce à ces structures émergentes, c’est certain.