Critique

Novembre de Cédric Jimenez : un tour de force puissant et humain

05 octobre 2022
Par Lisa Muratore
Jean Dujardin dans Novembre.
Jean Dujardin dans Novembre. ©Recifilms/Chi-Fou-Mi Productions/Studio Canal/France 2 Cinéma/Umedia

Cédric Jimenez est de retour dans les salles obscures avec son cinquième long-métrage, sobrement intitulé Novembre. Ici, le réalisateur marseillais nous entraîne dans une chasse à l’homme après les attaques parisiennes de 2015, aux côtés de la brigade antiterroriste. Un thriller policier assumé, efficace et puissant.

Bac Nord (2020) filmait la bataille entre une brigade de terrain et l’un des quartiers au taux de criminalité le plus élevé de Marseille. Un long-métrage coup de poing, à l’image du nouveau projet de Cédric Jimenez, Novembre, présenté hors compétition au Festival de Cannes cette année.

Le film s’intéresse aux attaques de 2015 qui ont frappé la capitale, à travers les yeux de la brigade antiterroriste ainsi que la chasse à l’homme entamée durant les cinq jours suivants. Le voyeurisme et le sensationnel étaient des travers dans lesquels le cinéaste aurait pu tomber avec un sujet aussi sensible. Grâce au scénario d’Olivier Demangel, Cédric Jimenez est parvenu à réaliser un film humble, efficace, au parti pris narratif assumé.

Zero Dark Thirty à la française

Anaïs Demoustier dans Novembre.©StudioCanal

Contrairement à Revoir Paris (2022), dans lequel Alice Winocour dresse le portrait d’une survivante (Virginie Efira), Novembre se définit comme un thriller policier. Le genre apporte du rythme à l’histoire, ce qui permet de dépasser le drame larmoyant pour se concentrer sur l’urgence de la situation.

Celle-ci nous frappe dès la scène introductive. Les sonneries de téléphone inarrêtables, le trouble de Jérémie Renier seul face à ce bruit sourd, nous plongent dans l’incompréhension générale déclenchée par l’horreur. Plus tard, la fatigue des agents, la pression de leurs responsabilités, ou encore une scène d’interrogatoire sous haute tension viendront appuyer ce sentiment d’oppression, avant une scène d’assaut finale presque libératrice. Ces séquences puissantes sont mises au service de la contextualisation du chaos. Pour autant, Cédric Jimenez offre un film sobre. Il ne fait aucun compromis de mise en scène pour céder à l’instrumentalisation des attentats. Par pudeur, ces derniers se déroulent hors-champ et, à l’image de Kathryn Bigelow dans Zero Dark Thirty (2012), ce qui intéresse le cinéaste, c’est la traque des responsables, cette résolution à travers le polar, que peut, ou non, apporter la fiction.

Le cinéma de Cédric Jimenez

Jean Dujardin et Sandrine Kiberlain dans Novembre.©Recifilms/Chi-Fou-Mi Productions/Studio Canal/France 2 Cinéma/Umedia

Ce schéma narratif et la sobriété avec laquelle Cédric Jimenez aborde son sujet s’inscrivent dans la continuité de sa filmographie. La photographie froide rappelle Bac Nord et l’aspect percutant de certaines scènes, contrebalancé par l’apaisement des autres, fait écho à La French (2014).

Cependant, Novembre se distingue sur plusieurs points de ses prédécesseurs. Tout d’abord, en termes de gestion des espaces. Là où La French filmait les calanques de Marseille et où Bac Nord survolait les quartiers nord et la Méditerranée, le focus de Novembre est plus resserré. Les bureaux, les voitures, les conseils de défense, les appartements, sont autant de décors dans lesquels les personnages sont confinés.

On ne retrouve pas non plus l’incarnation d’une dualité. Le juge Michel face à Gaëtan Zampa, la police face aux délinquants… Les camps ennemis ont toujours été personnifiés sur grand écran. Ici, la menace est invisible. On ne sait pas qui elle est, ni d’où elle vient. Un argument métaphorique qui plonge les spectateurs, à l’image des enquêteurs, dans la confusion et la colère.

Lyna Khoudri dans Novembre.©Recifilms/Chi-Fou-Mi Productions/Studio Canal/France 2 Cinéma/Umedia

Novembre n’en reste pas moins un film accessible, un drame étonnement fédérateur de par la fragilité de son sujet, mais aussi son casting choral. Pour l’occasion, Cédric Jimenez s’est entouré des talents français les plus en vue du septième-art.

Cette distribution cinq étoiles réunit Jean Dujardin – qu’il retrouve après La French –, Anaïs Demoustier, Sandrine Kiberlain, Jérémie Renier ou encore Lyna Khoudri. Novembre fait le choix du collectif. Il ne personnifie pas le service antiterroriste. Ceci permet d’insuffler de l’humanité dans un film bousculé par la douleur. Par moments, ces agents de l’ombre laissent aussi entrevoir leur inertie face à un tel drame. C’est le cas du personnage d’Anaïs Demoustier, dont l’interprétation se démarque. L’actrice française, apparue récemment dans Incroyable mais vrai (2022), catalyse la réaction d’identification la plus importante du long-métrage et dépasse son statut de femme-fonction.

C’est aussi à travers les protagonistes féminins – à qui Cédric Jimenez laisse une place inédite dans son cinéma – que les émotions les plus fortes passent. On pense évidemment au personnage de Lyna Khoudri, dont la dualité bouleverse autant que son sort final.

Finalement, Novembre représente une proposition de cinéma intéressante. Le regard de Cédric Jimenez épouse avec humanité un sujet complexe. Le réalisateur évite les écueils du voyeurisme ou de la récupération pour offrir un thriller policier rempli de force et de pudeur. Un équilibre brillamment trouvé qui nous laisse penser que lui seul avait les épaules pour s’attaquer à ce projet et réaliser un film cathartique.

Novembre de Cédric Jimenez, 1h47, avec Jean Dujardin, Anaïs Demoustier, Sandrine Kiberlain, Jérémie Renier et Lyna Khoudri, le 5 octobre 2022 au cinéma.

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Article rédigé par
Lisa Muratore
Lisa Muratore
Journaliste
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