Critique

Un amour : le chant de Sara Mesa

29 juin 2022
Par Léonard Desbrières
Un amour : le chant de Sara Mesa
©Javier Dias

Peintre acerbe des rapports hommes-femmes, l’Espagnole Sara Mesa porte avec ce troisième roman un nouveau coup, poétique et déchirant, au patriarcat amoureux.

Pour célébrer son entrée surprise dans le catalogue Grasset et la prestigieuse collection étrangère « En lettres d’ancre », la romancière et poétesse espagnole de 46 ans Sara Mesa confirme tous les espoirs placés en elle.

Déjà, en 2017, dans le dérangeant Cicatrice (qui vient tout juste de sortir en poche) elle disséquait les relations amoureuses au temps des réseaux sociaux avec une lucidité cruelle et un rire âpre, pesant, qui rappelait par moment la magie noire du druide antimoderne Michel Houellebecq.

Avec Un amour, œuvre dévastatrice, l’une des plus grosses claques littéraires de l’année, elle affirme son statut de figure de proue d’une nouvelle génération d’écrivaines ibériques et marche cette fois dans les traces de Virginie Despentes.

Douloureuse étreinte

Dans des circonstances troubles et mystérieuses, parce qu’elle a commis une faute grave, Natalia a dû soudainement quitter la ville et fuir sa vie d’avant. Elle a trouvé refuge à La Escapa, un village perdu de la Rioja, à la merci d’une chaleur étouffante. Dans une maison en ruine qu’elle loue à un propriétaire abject, aux côtés d’un chien claudiquant et sauvage qu’elle nomme Chienlit, elle tente de se reconstruire et se jette à corps perdu dans son travail de traductrice.

Mais le climat est hostile, les gens sont durs et méfiants, la solitude ronge même les esprits les plus revêches. Alors, pour trouver un peu de chaleur humaine et de réconfort, pour se sentir exister dans ce pays qui broie et efface, Nat cède à une proposition aussi folle que nauséabonde.

Elle accepte les exigences d’un voisin, Andreas, qui lui demande, en échange de la réparation de son toit, de « le laisser entrer en elle un moment ». De cette étreinte inattendue et brutale naît alors une inexplicable attraction, une de ces passions dévorantes qui consume les êtres plutôt que de les sublimer ; comme si jusqu’à son âme il était parvenu à la pénétrer.

À chaque instant, elle l’observe et l’épie, à l’affut du moindre signal qu’elle pourrait interpréter. Page après page, ses certitudes se fissurent – comme la maison qu’elle occupe – et l’angoisse monte sans qu’elle parvienne à la maîtriser.

Le diable au corps

Le titre pouvait laisser supposer l’éclosion d’une douce romance et inviter au bonheur : il n’en est rien. On se croirait parfois dans un conte à la Perrault, sombre et magnétique, où une princesse sans défense, victime d’un odieux philtre d’amour, s’éprendrait du mauvais prince charmant. Pas mauvais parce qu’il est dangereux, mais simplement parce qu’il n’est pas celui qu’il lui faut, parce que, contrairement à elle, il demeure impénétrable.

Michel-Ange de la fange, la romancière s’épanouit dans le malaise et dans la crasse. Avec une écriture à l’os et des phrases sèches qui claquent et résonnent au loin dans ces terres désertiques, elle se sert de cette obscure matière pour pointer du doigt, avec une colère sourde, écrasante, la place des femmes dans la société.

Épuisée, en quête de sens, célibataire érotisée au cœur des commérages d’une communauté sordide, Nat signe avec ce passage à l’acte un douloureux pacte avec le diable. Jumelle maléfique de la romancière américaine Chris Kraus, Sara Mesa préfère à l’espièglerie satirique le roman noir et salissant. Un amour, c’est I love Dick (Chris Kraus, 1997) trempé dans l’arsenic, un drame rural poisseux qui interroge le poids de la sexualité et du rapport charnel dans la domination masculine, un western crépusculaire sans coups de feu, mais qui touche en plein cœur.

Un amour, de Sara Mesa. En librairie depuis le 4 mai 2022.

Un amour, de Sara Mesa, Grasset, 208 p., 19,50 €. En librairie depuis le 4 mai 2022.

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