Critique

Les Hommes ont peur de la lumière, de Douglas Kennedy : brillant brûlot

23 juin 2022
Par Léonard Desbrières
Les Hommes ont peur de la lumière, de Douglas Kennedy : brillant brûlot
©Joel Saget/AFP

Après La Symphonie du hasard, trilogie enlevée et follement romanesque, Douglas Kennedy renoue avec la noirceur de ses débuts et livre un thriller au cordeau qui tire à boulet rouge sur les errances puritaines de la société américaine.

Récits de voyage, drames amoureux, grandes fresques historiques… En plus de 20 ans de carrière et presque dix millions de lecteurs, Douglas Kennedy a déjà prouvé qu’il était à l’aise sur tous les terrains littéraires. Mais le romancier, Européen d’adoption, n’est jamais aussi bon que quand il brosse son Amérique natale à la paille de fer. Avec Les Hommes ont peur de la lumière – un titre emprunté à la République de Platon (« On peut aisément pardonner à l’enfant qui a peur de l’obscurité ; la vraie tragédie de la vie, c’est lorsque les hommes ont peur de la lumière ») – il revient à ses premières amours et convoque ses maîtres à penser Jim Thompson et Raymond Chandler pour façonner un roman noir et crépusculaire.

Les Hommes ont peur de la lumière, de Douglas Kennedy. En librairie depuis le 5 mai 2022.

Los Angeles au bord du gouffre

Dans un Los Angeles tentaculaire, soigné comme un véritable personnage, loin des villas de Malibu et des mansions de Beverly Hills, le romancier croque le portrait d’une classe moyenne américaine toujours en lutte, qui s’abime dans les bouchons et les petits boulots. Au volant de son Uber jours et – surtout – nuits, Brendan, ancien ingénieur victime de la crise, se démène pour sortir la tête de l’eau et échapper à cette vie précaire qui l’étouffe. Au détour d’une course, il fait la rencontre d’Élise, une professeure d’université qui consacre son temps libre à accompagner des femmes souhaitant interrompre leur grossesse.

Alors qu’il la dépose devant l’une des seules cliniques de la ville spécialisée dans les avortements, ils échappent de peu à un terrible attentat. Pris au piège d’une machination diabolique menée par un groupe extrémiste « pro-vie », ce duo inattendu se retrouve propulsé au cœur d’une affaire qui les dépasse, un affrontement idéologique qui va déchirer une ville prête à exploser.

Une “nouvelle guerre de Sécession”

Dans un style très cinématographique, entre le Sorry We Missed You (2019) de Ken Loach et Collatéral (2004) de Michael Mann, Douglas Kennedy dessine une chronique sociale au vitriol et un thriller au cordeau. Il fait le récit touchant d’une prise de conscience, celle d’un homme banal, d’un travailleur au bout du rouleau, qui réalise la fragilité de ses convictions. Bercé des douces illusions de sa femme, fervente catholique et militante « pro-vie », Brendan n’avait jamais pris la mesure du combat pour l’avortement. Et il faudra ce tragique événement pour qu’il s’autorise à penser autrement.

Avec Les Hommes ont peur de la lumière, Douglas Kennedy porte donc un nouveau coup littéraire au puritanisme religieux qui gangrène la société américaine. Il se mue en lanceur d’alerte et prévient, stylo à la main, contre cette nouvelle guerre qui vient, « une nouvelle guerre de Sécession » dont le moteur serait la religion. Un livre coup de poing d’une troublante actualité – au moment même où la légalisation de l’avortement est grandement menacée outre-Atlantique. Depuis Paris, Berlin ou Dublin, ces villes où il s’est établi, le romancier ne cessera donc jamais de surveiller son pays – et le lecteur français l’en remercie !

Les Hommes ont peur de la lumière, de Douglas Kennedy, trad. Chloé Royer, Belfond, 255 p., 22 €. En librairie depuis le 5 mai 2022.

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