En résumé
Jeu testament de Fumito Ueda, The Last Guardian est une œuvre poignante qui laisse mélancolique et songeur de longs moments, même une fois la console éteinte. Là où certains en font des tonnes et n’hésitent pas à tomber dans le tire-larmes, lui se montre toujours digne et fier, préférant tisser avec une subtilité rare un lien extrêmement fort entre le héros et Trico – probablement l’animal le plus réussi jamais mis en scène dans un jeu vidéo. Un bijou comme on en voit malheureusement trop peu, même s’il faut souligner que des réels défauts de caméra et une imprécision permanente dans les contrôles le rendront insupportable aux yeux de certains.
Note technique
Les plus et les moins
- La relation entre le héros et Trico
- Trico, un animal au comportement tellement crédible
- L’architecture écrasante et vertigineuse de la citadelle
- Une direction artistique somptueuse
- Une lumière irradiante
- Une bande-son discrète mais qui sait se montrer puissante
- Des gros problèmes de caméra
- Des contrôles imprécis et frustrant
- Trico peut être vraiment têtu
- Les contrôles qui s’affichent à l’écran et qui brisent l’immersion
- Un framerate souvent bas sur les PS4 classiques
Notre test détaillé
Si le jeu vidéo d’auteur devait exister, Fumito Ueda serait à n’en pas douter son plus grand représentant. Papa des grandioses ICO et Shadow of the Colossus, ce Japonais a très vite su imposer son style raffiné auprès des initiés. Il faut dire que de sa narration minimaliste et de ses concepts jusqu’au-boutistes jaillit systématiquement une émotion, une empathie comme peu d’artistes sont capables d’en susciter. En passant près de dix ans de sa vie à plancher sur The Last Guardian, une gestation anormalement longue qui a fait passer le jeu de la PS3 à la PS4, Ueda a pourtant fini par faire naître de sérieux doutes quant aux qualités de son troisième projet. Au terme d’une douzaine d’heures aussi éreintantes que bouleversantes, nous pouvons heureusement affirmer que le maître n’a rien perdu de son savoir-faire.
(Ce test a été effectué sur une PlayStation 4.)
L’histoire de The Last Guardian débute par un réveil. Celui d’un jeune garçon, en l’occurrence. On ne connaît ni son nom ni son passé. Lui-même ne sait pas comment il a atterri là, au fond de cette grotte rongée par l’obscurité et l’humidité. Des tatouages inconnus lui lézardent désormais le corps. Mais le plus surprenant reste la présence à ses côtés d’une créature gigantesque qu’il finira très vite par appeler Trico. Sauvage et hostile, celle-ci ne se laisse pas approcher.
Pour gagner sa confiance, notre héros va devoir la nourrir, la soigner en retirant les pieux plantés dans sa chair, et enfin la débarrasser des chaînes qui la retiennent. Une fois délivrée, la bête, chimère qui semble issue du croisement d’un chat, d’un chien et d’un rapace, comprend qu’elle a tout intérêt à collaborer. Débute alors entre eux une relation forte, qui doit les conduire à s’échapper de la mystérieuse citadelle perchée dans laquelle ils ont été enfermés.
Une beauté envoûtante
The Last Guardian fait partie de ces jeux rares qui arrivent à hypnotiser instantanément le joueur. Avoir pratiqué les deux premiers Fumito Ueda renforce cet effet dans la mesure où l’on s’attend à quelque chose de marquant, sinon grandiose. Mais même sans ça, la qualité de la direction artistique est telle que l’on est vite étreint par l’envie de savoir où mène cette aventure. Les lieux, qui ne sont pas sans rappeler ceux traversés dans ICO, fascinent par la désolation et le mystère qu’ils inspirent. Ces bâtisses de pierre en ruine, ces ponts de bois délabrés, cette lumière saturée… tout participe à donner au jeu une atmosphère surnaturelle, presque mystique. Une esthétique singulière qui lui permet de figurer parmi les plus beaux jeux de ces dernières années, alors que ses graphismes sont loin de pouvoir rivaliser avec ceux d’un AAA même un peu lambda.
Le Garçon et la Bête
La dépendance mutuelle qui relie le jeune garçon à Trico évoque immanquablement celle qui existe entre Yorda et le héros de ICO. D’ailleurs, par son découpage et ses mécaniques, The Last Guardian ne manque pas de renvoyer à son estimé aîné. Comme lui, il prend la forme d’un jeu d’aventure où l’essentiel du temps sera partagé entre exploration et puzzles à résoudre. Mais s’il est vrai que la progression est jalonnée de leviers à tirer, de portes à déverrouiller, d’échelles à gravir et de chemin à dégager, la collaboration entre les deux protagonistes prend ici une tout autre forme.
Trico n’est pas une jeune fille vulnérable à qui il faut tenir la main comme l’était Yorda. Il est un animal sauvage et autonome dont l’aide se révèle extrêmement précieuse. Capable de défendre son partenaire lorsqu’il se trouve sous la menace d’armures habitées par on ne sait quelle force, de le porter pour lui permettre d’accéder à des zones situées en hauteur, d’user de son poids pour abaisser un pont-levis dont le mécanisme se serait retrouvé coincé, ou encore de pointer du bout de son bec ce qui semble être la route à suivre, il s’impose très vite comme un membre à part entière du binôme qu’il forme avec le héros.
Un roman d’amitié
Le lien qui unit les deux protagonistes ne cessera de s’épaissir au cours de l’aventure. C’est vrai que Trico n’est pas un toutou docile qui obéit à la moindre injonction de son maître. Parfois, il se montrera exagérément capricieux, nous obligeant à lui répéter encore et encore les mêmes ordres. D’autres fois, il se laissera carrément distraire et s’éloignera du chemin à suivre. Ceci dit, leur complicité ne cessera de croître, jusqu’à ce qu’une confiance réciproque finisse par s’établir. On ne voit pas comment qualifier autrement leur relation, surtout quand le seul espoir de survie après un saut dans le vide est d’être rattrapé au vol par un animal au comportement incertain.
C’est l’une des grandes forces de The Last Guardian, réussir par une succession de détails extrêmement subtils à nourrir certaines attentes à l’égard de l’animal. Une performance qui s’explique par l’attitude on ne peut plus crédible de Trico, créature de pixels qui semble bel et bien vivante. Par ses animations plus vraies que nature, par son comportement particulièrement expressif, par cette indépendance dont il fait preuve, il parvient à nous donner l’illusion du réel. Le soin dont il a bénéficié semble presque maladif. Mais sans lui, le jeu n’aurait pas été le même, son propos et son dénouement n’auraient pas été habités de la même force.
Un chef-d’œuvre qui se mérite
À n’en pas douter, The Last Guardian marquera durablement l’esprit des joueurs qui prendront la peine d’en voir le bout. « La peine », car c’est bien de cela qu’il s’agit. Aussi grand soit-il, on sent que le jeu a eu une gestation longue et douloureuse. Dans ses contrôles comme dans sa caméra, il affiche des lacunes indignes de son époque. Que des commandes de base se voient attribuées à des touches inhabituelles – le saut sur Triangle, notamment – est une chose. Que le jeu se montre régulièrement incapable de proposer les bons angles de vue (en intérieur comme en extérieur), que le héros refuse de s’accrocher à une corniche pourtant prévue pour ou que l’on est amené à se jeter plus que de raison au fond d’un précipice parce que la caméra aura pivoté au dernier moment en est une autre.
The Last Guardian est un jeu qui fait pester, qui épuise aussi par moments. Pour être irréprochable, il aurait fallu quelques mois supplémentaires aux développeurs afin qu’ils stabilisent une caméra qui s’accommode mal des espaces exigus et des mouvements brusques d’une créature gigantesque ; qu’ils optimisent un framerate particulièrement instable (surtout sur les PS4 normales, le modèle Pro ne connaissant pas de problème à ce niveau-là) ; et peut-être aussi pour qu’ils rendent l’I.A. de Trico un peu moins récalcitrante. Il s’agit peut-être d’une volonté délibérée. Mais dans un jeu qui mise sur la coopération, la coordination et l’apprivoisement d’une bête sauvage, se retrouver à devoir répéter inlassablement les mêmes ordres sans savoir si le partenaire a décidé de ne pas obéir ou si l’on fait fausse route peut se révéler extrêmement frustrant. The Last Guardian est donc un jeu qui requiert énormément de patience pour pouvoir être apprécié à sa juste valeur. À vous de juger si vous êtes ou non capables de surmonter ses défauts, car comme chacun sait, la patience est une vertu qui se fait rare à notre époque.
Conclusion
Jeu testament de Fumito Ueda, The Last Guardian est une œuvre poignante qui laisse mélancolique et songeur de longs moments, même une fois la console éteinte. Là où certains en font des tonnes et n’hésitent pas à tomber dans le tire-larmes, lui se montre toujours digne et fier, préférant tisser avec une subtilité rare un lien extrêmement fort entre le héros et Trico – probablement l’animal le plus réussi jamais mis en scène dans un jeu vidéo. Un bijou comme on en voit malheureusement trop peu, même s’il faut souligner que des réels défauts de caméra et une imprécision permanente dans les contrôles le rendront insupportable aux yeux de certains.