Le marché de la littérature de romance a explosé en quelques années, jusqu’à représenter 7 à 10% des ventes de livres. Et depuis quelques années, ces livres d’amour se sont enrichis d’un sous-genre saisonnier : les romances ayant pour cadre les fêtes de fin d’année.
Pour Julie, la trentaine, c’est un rituel : chaque année, les chaînes de télévision et les plateformes de streaming – Netflix en tête – sortent des téléfilms de Noël par dizaines, et elle ne raterait ce moment pour rien au monde. Un style de récits très codifié, à l’esthétique mêlant neige, gros pulls et célébration des valeurs familiales le temps des fêtes. « Chaque année, à partir de novembre, on se fait des watch party en ligne sur Discord. On se réunit à plusieurs copines et on regarde ces films en rigolant et en discutant. » Louane, documentaliste de 28 ans, a la même tradition. « C’est vraiment super kitsch, mais on joue avec le fait que les clichés sont très ancrés, on fait des grilles de bingo à cocher… Et puis, c’est un type de films qui évoque les vacances, la famille, le repos, la fin d’année… C’est du feelgood facile, mais ça reste du feelgood. »
Un sentiment partagé par les participants à une étude universitaire de 2022, qui identifiaient trois facteurs de succès majeurs pour ce type de productions : un amour sincère pour l’hiver et la période des fêtes, une ambiance hors du temps et éloignée des soucis du quotidien, et le fait d’avoir une trame légère et stéréotypée, avec la garantie d’un happy ending réconfortant. De fait, le film de Noël est une industrie qui roule, avec des studios et même des chaînes de télévision spécialisées. Mais, depuis quelques années, cette tendance se décline également en librairie, avec l’apparition de rayonnages entiers liés à la Christmas Romance.
Une nouvelle niche éditoriale au sein de la romance
La fiction ayant pour cadre l’amour à Noël n’a bien entendu rien de récent, puisqu’on en retrouve des traces jusque dans la littérature et la poésie médiévales. Mais, pour Anna, libraire à Toulouse, le nombre de livres récents mettant en scène des histoires d’amour se déroulant au pied du sapin a explosé depuis 2022. « La New Romance, ça fait dix ans que ça prend de plus en plus de place. Et c’est vrai qu’avec l’explosion des parutions, les éditeurs spécialisés comme Juno Publishing ont dû commencer à segmenter le marché. Parce que les lectrices de New Romance, de Bit Lit ou de Dark Romance ne cherchent pas les mêmes choses. Dans ce contexte, l’apparition de collections entières consacrées à Noël et aux autres fêtes de fin d’année, c’est relativement nouveau, on a vraiment vu le phénomène s’accélérer après le Covid. Je ne sais pas si ça attire vraiment un nouveau public, mais en tout cas, il s’agit de collections visuellement très marquées, et de plus en plus nombreuses. »
Difficile de les rater, en effet : couvertures vert sapin ou rouge Père Noël, titres évoquant la neige, les cadeaux ou les retrouvailles familiales et illustrations parsemées de flocons de neige… Difficile de se tromper de rayon ! Pour Anne, une lectrice quadragénaire amatrice occasionnelle du genre, ce n’est pas forcément une littérature si nouvelle ou singulière que cela. « Ces collections regroupent souvent des livres d’autrices qui publient de la romance plus généraliste, mais qui surfent sur la popularité de l’imagerie véhiculée par les films de Noël. Et d’ailleurs, je viens y trouver la même chose que pour les films : des histoires douces, intemporelles, prévisibles. Par exemple, j’ai récemment lu Sweet Christmas Love, de Marie Rémond… Et c’est fou comme on dirait un film Hallmark, mais sous forme de roman ! »
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Une des singularités de ce marché éditorial, cependant, est sa périodicité. Là où les livres plus généralistes s’écoulent un peu tout au long de l’année, ceux consacrés à Noël fleurissent à partir d’octobre et ont une durée de vie en librairie qui ne dépasse pas les quelques semaines. Au point que certains éditeurs, comme Hugo Publishing, en ont fait un événement annuel, célébré sur leur site internet et sur les réseaux sociaux d’autrices et de booktubeuses célèbres. Une évolution rapide, calquée sur le rythme de l’édition américaine. Car, comme le remarquait la blogueuse À livre ouvert, il y a encore quelques années, le phénomène était très marginal dans les librairies françaises.
Les limites de la segmentation du marché ?
Cependant, les fans de littératures de romance ne sont pas tous et toutes particulièrement attirés par ces collections qui fleurissent en librairie. Certains se désintéressent même complètement du genre. C’est le cas d’Hélène, chef de projet web de 36 ans et co-animatrice du podcast Comics Outcast, pourtant grande fan des films de Noël. « Je regarde énormément de films de Noël depuis une dizaine d’années, à partir de début novembre. C’est l’idéal avec un plaid et un chocolat chaud, on peut le mettre en fond en faisant autre chose… Je ne leur demande même pas d’être originaux, je suis même souvent déçue quand ça s’écarte du canevas de base ! En revanche, en version roman, ça ne marche pas du tout pour moi. J’ai besoin d’avoir tout le côté visuel, la neige à l’écran, les poinsettias… »
Pour elle, l’apparition de ces collections dans les rayonnages des librairies vient d’une volonté de sur-segmentation de la part des éditeurs et agglomère surtout des romans qui existaient déjà auparavant sous une simple étiquette, celle de la « New Romance ».
Une remarque similaire est faite par Louane : « J’ai essayé plusieurs fois d’en lire, mais il y a quelque chose qui tire trop vers l’imitation des films de Noël, sans le côté musical, sonore et visuel. Peut-être que je devrais essayer les romances qui ajoutent un peu d’éléments nouveaux, avec du fantastique ou des histoires différentes, car je sais que certaines autrices essaient un peu de casser les codes. » Un équilibre difficile à trouver, tant la plupart des témoignages d’amatrices du genre insistent sur l’idée qu’il s’agit plutôt d’un genre filmique et littéraire dont les codes et les stéréotypes sont la force première.
Cela n’empêche pas certaines autrices et certaines maisons d’édition de tenter d’imposer leur différence dans un style souvent vu comme peu enclin à sortir des sentiers battus. Le roman autoédité La Magie de Yule de Charly Reinhardt transpose par exemple les codes du genre dans un monde féérique. Tandis que la petite maison d’édition Les Reines de cœur, elle, ouvre les romances de Noël aux histoires mettant en vedette des couples LGBTQIA+. D’autres s’aventurent également dans des ambiances plus érotiques, à rebours du côté habituellement assez chaste des romances de Noël.
Une tendance à une certaine forme de diversification qui ne surprend pas Marianne, bibliothécaire s’estimant « blasée » par ce type de romances très demandées par son public. « Pour les autrices de ces livres, il y a sans doute un côté frustrant à devoir se conformer à un cahier des charges extrêmement précis, où tous les livres finissent par se ressembler un peu. C’est un peu comme pour les films : on en voit de plus en plus qui essaient de raconter un peu autre chose, avec de l’animation, un peu d’horreur, un peu de fantastique, davantage de pure comédie… Pour les livres, c’est pareil. Des autrices qui en sont à leur quatrième livre de Noël en trois ans doivent avoir envie de sortir un peu du genre, même si ce n’est pas forcément ce qu’attend le public. » Il faudra donc suivre de près les évolutions de ce type de publications, qui pourraient encore réserver quelques surprises !