Entretien

Hugh Coltman : “Les rencontres façonnent ma musique”

28 août 2024
Par Julien D.
Hugh Coltman : “Les rencontres façonnent ma musique”
©Bonze

À l’occasion de la sortie de son nouvel album, Good Grief, Hugh Coltman a accepté de répondre à nos questions. En juillet, à Montreuil, on a parlé inspirations, nouveaux supports et midlife crisis. En fait, on a surtout parlé musique !

Si on met de côté le fabuleux disque de reprises en hommage au Night Tripper de Dr John que vous avez sorti en 2022 avec Matthis Pascaud, pourquoi un si grand laps de temps entre Who’s Happy et ce Good Grief ?

Tout d’abord, l’album avec Matthis était une véritable collaboration, pas juste un disque avec lui en invité. L’écriture, l’enregistrement, les concerts qui ont accompagné ce projet ont pris pas mal de temps et cela m’a pas mal mobilisé. C’était plus qu’un disque de reprises et ce projet est arrivé à un moment particulier.

Cela a pris aussi du temps parce que j’avais pleins d’interrogations après Who’s Happy, mais surtout après la période du Covid, qui n’a pas été simple. J’ai perdu mon père juste avant la pandémie, un ami très proche juste après, et puis tout s’est arrêté pour nous, les musiciens. Je me suis demandé ce que j’allais faire. Faire un disque pour faire un disque, parce que c’est mon métier d’auteur-compositeur, me semblait soudainement dérisoire, futile. Ce truc entre questionnement existentiel et… midlife crisis [crise de la cinquantaine, en français, ndlr]. Pourquoi je fais ça ? Comment je fais ça ? Est-ce que le monde a besoin d’un nouveau disque de moi ?

Mais si, Hugh, le monde en a besoin… [Rires]

Vous voyez ce que je veux dire. Je crois que je ne m’étais jamais posé la question et pourtant, elle est de taille. Je sentais que j’avais des trucs à dire, mais je n’arrivais pas vraiment à cerner quoi, à faire le tri. Vraiment, ces 18 mois de Covid m’ont fait réfléchir à qui j’étais professionnellement. Quand tu commences à cogiter à tout ça, le réflexe n’est pas de prendre une guitare et de composer.

En plus, pour des raisons qui sont compréhensibles, le Covid a été une grosse période de nombrilisme chez les musiciens. Et tu finis malgré toi par être imprégné de cette forme de nombrilisme. Mais qui en a quelque chose à faire de ce qu’on dit ? De ce qu’on chante ? Le monde continuait de tourner, certes au ralenti, mais de tourner quand-même. Et sans musiciens, sans concerts, sans actualité du disque. Gros questionnement. Je crois que je ne me suis jamais autant questionné, d’ailleurs.

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Est-ce que, comme la pratique d’un instrument ou du chant, l’inspiration se travaille ? Ou bien cela ne se commande pas ?

C’est un peu ce que je disais : c’est le quotidien, les rencontres et les élans créatifs dont on finit par être témoin ou acteur qui nourrissent l’inspiration. Être entouré de Matthis ou de Raphaël, qui sont des musiciens qui travaillent constamment sur plusieurs projets comme sidemen (musiciens de studio), c’est aussi très important. Eux ont toujours cette fraîcheur musicale puisqu’ils gravitent dans plusieurs univers en même temps. Raphaël, avec qui je bosse depuis longtemps, travaille maintenant avec Eric Truffaz. Matthis a au moins quatre projets en route, sans compter son projet solo.

L’énergie appelle l’énergie. Parce que quand tu commences à douter de tes capacités à écrire de nouvelles chansons, tu peux vite t’enfermer là-dedans. J’avais un petit exercice qui fonctionnait bien quand j’étais au point mort : m’accaparer un morceau que j’aime et tester mes propres paroles dessus. Je l’ai fait avec un artiste que j’adore, Loudon Wainwright, le père de Rufus Wainwright : enlever le poids de ses textes qui sont très forts et lui emprunter ses mélodies pour tester les miens, alors que j’ai plutôt souvent fait l’inverse, travailler la musique puis y mettre des paroles.

Pour le processus d’écriture et d’enregistrement de Good Grief, quelles ont été tes sources d’inspiration ?

L’un des éléments déclencheurs pour ce disque a eu lieu avec Matthis. On devait se voir pour une promo pour Night Trippin’ et je lui ai dit que j’étais un peu “à sec” en termes d’idées pour la suite. Il avait un riff sympa et, en 40 minutes, on avait la chanson. Cela m’a remis dans le bain et, comme j’ai toujours des petits carnets de notes que j’écris au fil du temps sans trop savoir ce que ça deviendra, j’ai pu les ressortir et travailler dessus.

Un autre déclic moins drôle, qui a fait un peu électrochoc, est cette histoire horrible de l’enfant syrien migrant au pull rouge qu’on a retrouvé mort sur une plage. Cette image m’a bouleversé au point de m’empêcher de dormir et a été déclencheur pour l’écriture de Good Grief. J’ai écrit cette chanson, Red T.Shirt, et étrangement j’ai ressenti une sensation de soulagement malgré l’impuissance face à cette dramatique image du petit Aylan.

Vous vivez en France depuis plus de 20 ans. Ce changement de pays a-t-il façonné votre musique ou pensez-vous que vous auriez fait la même chose si vous étiez resté en Angleterre ou si vous aviez vécu en Sicile ou en Scandinavie, par exemple ?

Ce sont surtout les rencontres qui façonnent ma musique. De fil en aiguille, en vivant ici, j’ai fait des tas de rencontres et, chaque fois qu’elles ont matché, elles ont donné de l’élan à mes compositions, aux disques que j’ai choisi de faire.

Mais, il n’y a pas longtemps, j’ai travaillé avec Kyle Eastwood et ses musiciens qui sont tous anglais et le trompettiste m’a fait remarquer qu’on sentait bien, dans mes compositions, la filiation blues mais qu’il y avait un truc très français dans mon approche. Donc oui, sans que j’en sois véritablement conscient, j’imagine que le pays dans lequel j’ai posé mes valises depuis tout ce temps imprègne mon travail et ma musique. Comme je le disais, mon inspiration va de pair avec mes rencontres. Et les rencontres sont nourries par le lieu où tu vis.

Au fil de vos albums, vous portez un soin particulier au mixage, aux textures, au son. Vous semblez très attaché à cet aspect, à la différence d’autres artistes qui aiment enregistrer façon “live” en gardant à l’esprit une supposée spontanéité…

C’est marrant, parce que je n’aurais pas vraiment dit ça. On a enregistré à la façon du live justement, en essayant de faire le moins d’overdubs possible [des secondes prises de chant ou d’instrument, ndlr]. Mais ce ressenti, c’est sûrement le super boulot de l’ingénieur du son qui est très bon pour travailler la matière sonore et obtenir ce rendu final. J’aime bien l’idée d’écouter plusieurs fois un disque et d’y découvrir toujours de nouvelles choses, des notes planquées de guitare ou une discrète percussion qu’on n’avait pas entendue.

Et maintenant une question de cinquantenaire pour un cinquantenaire : vous avez enregistré des disques avant l’arrivée de la dématérialisation. Restez-vous attaché au support physique quel qu’il soit ou préférez-vous faire comme vos enfants, “tout dans le smartphone” ?

Un peu les deux. C’est vrai que la facilité d’accès offerte par les plateformes est fabuleuse ! On te parle d’un disque, d’un morceau, d’un chanteur et hop, en 30 secondes, tu peux l’écouter, le découvrir, te faire ton avis. On aurait quand même tort de ne pas être content. Et en même temps, je trouve que la musique s’est dévalorisée aussi avec ces nouveaux modes d’écoute et leur quasi gratuité. On écoute sûrement plus de musiques aujourd’hui qu’on en écoutait hier, avant le numérique. Il y a de la musique partout, tout le temps. Paradoxalement, on y fait peut-être moins attention.

Ma fille écoute beaucoup de musique. Ça ne me plaît pas toujours, mais quand parfois j’aime un morceau et que je lui demande ce que c’est, elle ne sait jamais. Même avec son papa dans “la partie”, elle ne semble pas avoir réalisé que derrière une chanson, il y a des gens et un travail potentiellement important. Ça fait un peu “vieux con”, mais c’est peut-être ça qui me dérange avec la dématérialisation. On perd en valeur humaine parfois. On veut de la musique et on n’a pas besoin de se poser de question : on l’a.

Mais vous, personnellement, vous êtes encore attaché au support physique ou vous vous dites que l’air du temps est ailleurs ? En même temps, le retour du vinyle interroge le “tout numérique”, non ?

Là aussi, je suis partagé. Il y a des moments où j’ai vraiment envie d’acheter le disque. Par exemple, j’ai été hyper content de recevoir en vinyle l’album de Blake Mills et Pino Palladino que j’ai tellement kiffé. Mais finalement, je crois que c’est un album que j’ai quand même beaucoup plus écouté sur mon smartphone que sur ma platine. Il y a ce côté ridiculement pratique. Et comme je suis souvent sur la route…

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C’est la réflexion de Hugh Coltman, l’auditeur. Mais Hugh Coltman le chanteur, le musicien, le producteur d’œuvres enregistrées, il en dit quoi ? C’est nécessaire ? C’est désuet ?

Aïe, la question qui tue [rires] ! Nécessaire, ce serait horrible de dire ça, mais comme je produis mes disques sur mon label (que Sony France a en licence), je suis bien obligé de reconnaître que oui, c’est important qu’il y ait encore du support physique. La France, le Japon et l’Allemagne représentent encore de gros marchés physiques, avec des enseignes qui vendent encore, heureusement, une large gamme de références. C’est chouette.

Récemment, j’ai fait un constat avec un musicien à la suite d’un concert. Pour être à cet endroit-là, sur scène, il y a un sacré long chemin à parcourir. Tu as écrit une chanson chez toi. Tu trouves les gens avec qui travailler sur cette chanson. Tu bosses sur les arrangements, tu analyses comment elle doit sonner. Tu trouves un studio, un ingénieur du son. Tu enregistres. Tu mixes. Tu travailles sur le visuel. Tu trouves un tourneur, des salles. Et enfin, pour être devant ce public, tu réalises qu’il y a eu un énorme chemin derrière.

Donc quand tu vas vendre ton disque directement, après le concert par exemple, au-delà de l’échange d’argent, il y a un échange direct qui est irremplaçable par le numérique. On aime tes chansons, ta musique. Tu “offres” quelque chose de palpable en retour. Imagine un plombier qui a refait toute ta maison et à la fin tu lui dis : “Super boulot, merci, je likerai ta page Facebook.” Cela pourrait devenir vraiment ingrat.

Mais il ne s’agit pas non plus de dire que c’était mieux avant, qu’il faudrait retourner au début de l’industrie du disque. Je fais avec ; j’essaie de trouver des solutions économiques et d’accompagner ce changement. C’est comme ça, je n’ai pas vraiment le choix si je veux continuer à faire mon métier.

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Article rédigé par
Julien D.
Julien D.
Disquaire à la Fnac Montparnasse
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