Entretien

Sylvain Duthu : rencontre avec le chanteur de Boulevard des Airs pour son premier album solo

09 septembre 2024
Par Manue
Sylvain Duthu : rencontre avec le chanteur de Boulevard des Airs pour son premier album solo
©Juliette Denis

Il est le frontman et chanteur de Boulevard des Airs. Après des années à parcourir les routes avec sa bande, c’est en solo que Sylvain Duthu revient dans la lumière, avec un album intime qui ne pouvait exister que de cette manière. Que les fans de BDA se rassurent, 15:22 est une étape personnelle de Sylvain et ne marque pas la fin du groupe bigourdan. Sylvain Duthu nous explique ce premier album…

25 juin 2021. Boulevard des Airs rentre d’un concert à Bordeaux. A un feu rouge, la voiture se fait percuter de plein fouet par un chauffard ivre qui tente de fuir la police. Résultat des courses : une très très grosse frayeur et un très long moment pour se remettre de ce choc tant physique (sa compagne a le bras pulvérisé) que psychologique. Sylvain Duthu décide de tout quitter : Paris, Tarbes… Direction l’océan et Biarritz pour revenir à l’essentiel et se retrouver. Commence alors un long moment d’introspection, de réflexion sur soi. Ecrire devient alors une nécessité, un acte vital pour ne pas sombrer. Naît un journal intime sous forme de multiples chansons. Celui qui devient en toute logique le premier album solo du chanteur de Boulevard des Airs : 15:22.

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L’album 15:22 est sorti le 6 septembre. Pouvez-vous nous expliquer son titre qui n’est pas le titre d’une chanson ?

En parallèle de mon métier, et pour le plaisir avant tout, je prends beaucoup de photos. Depuis qu’on m’a offert un appareil photo argentique il y a une dizaine d’années, je prends des photos. J’en ai fait quelques séries, j’ai eu la chance d’en faire quelques expos, quand bien même je ne me considère pas du tout comme photographe. Et un jour je me suis levé avec une idée, un peu étrange je l’admets, celle de prendre tous les jours à 15h22 ce qui se déroule devant moi, ce qu’il y a précisément sous mes yeux. Sans cadrer, sans réfléchir, je prends ce que j’ai devant moi avec mon téléphone. J’ai fait cela pendant quelques jours, quelques semaines, et puis quelques mois. Et finalement, je fais ça, chaque jour, depuis 5 ans ! 

Avec le recul, force est de constater que ce n’est pas forcément la qualité des photos qui est au centre de ce projet, mais la quantité. J’ai plus de 1800 photos et quand je les regarde, toutes en même temps, ou les unes après les autres, c’est ma vie qui défile. Sur une photographie, on voit une fille, que l’on voit de moins en moins, et puis une autre, un chien, un deuxième chien, un grand-père qu’on ne verra plus sur les photos suivantes, une nouvelle maison, de nouvelles rues… Toute une vie qui défile comme cela. C’est en fait le journal intime photo que j’ai entrepris il y a 5 ans. 

Et quand j’étais sur le point de terminer l’écriture de cet album, de mon premier album solo, il était évident qu’il prenait la forme d’un journal intime, lui aussi. Un journal intime sonore. Il m’a paru évident de faire correspondre les 2 projets, les 2 journaux intimes. Et d’appeler cet album « 15:22″.

Pour aller au bout de l’idée, j’ai décidé de tirer toutes ces photos à 1 seul exemplaire (unique, numéroté et signé) et d’en glisser un dans chaque précommande de mon album. Ce projet s’est arrêté le jour de la sortie de l’album : le 6 septembre 2024 à 15h22 ! 

En quoi n’aurait-il pas pu être un album de Boulevard des airs ?

Cet album n’aurait pas pu être un album de BDA car c’est justement un journal intime, mon journal intime.

Auteur des textes de BDA, je parlais souvent de moi, il est vrai, mais je dissimulais souvent, je généralisais, ce n’était pas mon projet, il était collectif et j’étais porte-parole. Aussi, je n’aurais jamais osé aller aussi loin dans l’intime avec le groupe, à l’exception de la chanson Mamie, qui annonce peut-être déjà à l’époque un virage plus personnel dans mon métier.

Dans cet album, je parle de mon grand-père, de Julie, de mes chiens, de mon père, du fait que je n’ai pas d’enfant, de notre accident de voiture à Julie et moi… C’est clairement l’album d’un individu, au coeur de son entourage, de son environnement. Le journal intime d’un trentenaire. Et clairement pas celui d’un groupe.

Dans La recette du bonheur, vous dites « j’ai laissé parler le coeur » :  qu’est-ce que votre coeur a eu envie de nous chanter ? 

Tout ce que j’avais sur le cœur, justement. Suite à l’accident de voiture, et à la rencontre avec Vincha notamment, j’ai ressenti le besoin d’écrire. Ecrire – et composer – redevenait une nécessité. J’ai redécouvert l’urgence d’écrire, que j’avais peut-être un peu perdu avec le temps, avec l’habitude. Tout cela a rebattu les cartes et a redonné une nécessité, une urgence, à mon métier d’auteur, à ma plume. D’un coup, je ne faisais plus simplement mon métier en écrivant des chansons, mais j’avais besoin de composer ces chansons précisément. L’écriture redevenait une thérapie, un exutoire. Exactement comme au tout début, quand on écrit les premiers morceaux. Et tout cela était très exaltant : salvateur d’un côté – dans le fond – et exaltant de l’autre, dans la forme.

Quelles couleurs avez-vous eu envie de donner à l’album ?

Avec ce premier album solo, je voulais trouver ma voie, mon style, et retrouver des couleurs justement. J’y ai longtemps réfléchi et puis, j’ai bien senti que ce n’était pas en réfléchissant que j’allais trouver, mais en laissant aller. En laissant couler les différentes inspirations et les coups de coeur de ces dernières années. Quand je me suis retrouvé en studio, avec Vincha dans un premier temps pour l’écriture, et avec Jules Jaconelli dans un second temps pour les arrangements et la réalisation de l’album, le style s’est tout de suite imposé à moi : un mélange de choses très organiques et de sons plus électroniques. Un long pont entre Zoufris Maracas et Odezenne, entre Alain Souchon et Stromae. Sur ce pont, je voulais des couleurs chaudes, des sonorités latines et nous en avons mis un peu partout, un peu dans chaque chanson.

Cet album commence par Prologue. Pourquoi cette chanson ?

Prologue est peut-être le déclic le plus important dans cette nouvelle aventure. Rien n’est prémédité avec ce projet : ni une carrière solo, ni l’écriture d’un album. Quand Prologue est né, quand j’ai posé ma voix sur ce titre et que je suis reparti de chez Vincha avec cette chanson dans les oreilles, j’ai su que j’allais faire un album, que j’allais le faire seul sous mon nom, et que Prologue allait l’inaugurer. C’était en quelque sorte la première pierre d’un édifice qui s’ignorait encore.

Vous avez vécu un accident au retour d’un concert. En quoi celui-ci a-t-il donné naissance à cet album ?

Indirectement, cet accident fait partie des raisons qui font que je vais me lancer en solitaire. Il remet beaucoup de choses en question dans ma vie. On le sait déjà, mais un accident aussi violent remet sur le devant la scène le fait que la vie est très courte, et que tout peut s’arrêter très vite, du jour au lendemain. Il fait donc se poser plein de questions et notamment : qu’est ce qu’on fera des jours qui restent ? Où est-ce qu’on rêve de vivre ? À quoi on veut passer ses journées ? De quelle manière on remplit le temps ? Comment on voit la notion de « travail » aussi, et avec qui on souhaite travailler ? Un accident aide à envisager les choses différemment certes, mais on se rapproche d’un coup des choses essentielles, mais des personnes surtout, celles qu’on aime. Alors on mélange tout ça, et puis on essaie de prendre les décisions qui vont avec. On essaie de faire ça avant d’être rattrapé par certaines habitudes et une inévitable routine. Déménager près de l’océan et enregistrer un album solo font partie de ces décisions-là.

Dans Le plissement de l’oeil, un fils parle à son père. Qu’est-ce que cette chanson dit de vous ?

Elle dit justement que rien n’est au-dessus du lien qui unit son fils à son père, du lien familial plus globalement. Aucune brouille, aucun désaccord, aussi profond soit-il, ne doit entacher durablement ce lien et encore moins le rompre. Il faut faire preuve de beaucoup d’efforts et parfois j’imagine même d’infinies compromissions, mais si ce lien résiste à tout cela. Il n’en est que plus fort, que plus beau. Je n’ai pas d’enfant mais je crois que je ne me remettrais jamais d’un enfant qui rompt le lien avec moi. Je suis toujours très touché, très attristé par les histoires de lien parental / familial rompu. Tout cela montre qu’il n’y a rien d’évident dans la transmission, et que d’ailleurs faire un enfant, pour moi, ce n’est pas donner naissance à un individu à qui il faudra transmettre coûte que coûte sa vision du monde. Evidemment, il y aura de la transmission, consciente ou inconsciente, mais l’idée c’est de l’accompagner au mieux dans tout ce bazar.

Pouvez-vous nous parler de Vincha ? 

Avant de faire cet album, Vincha était un copain et nous faisions parfois de la musique, des chansons. Depuis mon album, c’est mon ami. Pour commencer il m’a apporté beaucoup de bienveillance, il m’a donné confiance aussi et m’a aidé à me lancer en solitaire. 

Pour la petite histoire, je n’avais pas revu Vincha depuis La Recette du bonheur, en tout cas pas pour écrire des chansons, et quand je suis revenu chez lui quelques mois après, je lui ai demandé pour qui il avait envie qu’on écrive. Il m’a répondu : « pour toi, ça y est c’est parti » ! Et ce jour-là nous avons écrit Prologue.

Qu’est-ce que vous avez que l’on retienne de cet album ?

Un album me marque quand je termine de l’écouter en étant passé par plein d’émotions différentes, en étant un peu déboussolé, en ayant envie de couper le son et de laisser infuser tout ça dans le silence. Pour moi, c’est ça un bon album. C’est un album qui vous donne envie de ne rien écouter pendant quelques minutes ou quelques heures. 

Après cela, j’aime bien me dire, tiens je réécouterais bien la chanson qui parle de ceci, et celle qui parle de cela. Je réécouterais bien celle qui m’a faite pleurer. Celle à laquelle je ne m’attendais pas. 

J’ai pas forcément envie qu’on retienne quelque chose en particulier, je n’ai pas de leçon à donner. Mais si l’auditeur peut-être un peu déboussolé, questionné, et qu’il sort de là avec l’envie de l’écouter une autre fois plus fort dans la voiture, alors pour moi, ce sera gagné.

Avez-vous fait écouter vos chansons à vos amis de BDA ?

Pas du tout. Même aujourd’hui, jeudi 1er août, je n’ai pas fait écouter l’album à mes parents ou à mon frère ! Et je ne le ferai pas écouter avant d’ailleurs.

À part les gens avec qui j’ai travaillé – mon label bien sûr, Vincha, Jules, Julie et Cédric (MPL) et mon éditeur – je ne l’ai fait écouté à personne.

J’aime l’idée que tout le monde (ou presque) découvre les chansons en même temps. J’ai l’impression qu’en faisant écouter à droite à gauche, même à ses proches, je dilue un peu la chose. Pour moi, cet album est un immense évènement et je veux que l’on fasse la fête tous ensemble au même moment, pas chacun son tour.

Quel est le plus beau compliment qu’on pourrait vous faire ?

J’aime bien ce que vous faites, j’aime beaucoup ce que vous êtes.

Un mot à dire aux lecteurs, lectrices ?

Merci de m’avoir lu jusqu’au bout. J’espère que cet album vous touchera. J’espère que nous nous verrons sur la tournée. D’ici là, profitez de chaque moment, même le plus banal. Je vous souhaite de rire, beaucoup. Et de vous ennuyer, souvent. 

Article rédigé par
Manue
Manue
Disquaire à la Fnac Saint-Lazare
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