Décryptage

Petite histoire du rap au féminin

20 juin 2022
Par Mathieu M.
Petite histoire du rap au féminin

Mi-juillet, la rappeuse Lizzo sortira son deuxième album, Special. Elle est une nouvelle voix dans le petit monde du rap au féminin. Depuis sa naissance, et souvent dans l’ombre, les femmes ont en effet trouvé une place dans ce genre souvent associé à la virilité. Depuis quelques années, des artistes comme Nicki Minaj ou Cardi B parviennent même à dépasser leurs homologues masculins. Retour sur l’histoire des femmes dans la musique rap.

Le rap au féminin, une histoire de collectifs

Mahogany SoulC’est l’apparition du label Sugarhill Records qui lance la machine hip-hop. Le groupe Sugarhill Gang en émane. Réunion de trois MC du New Jersey, ce groupe produit le premier single de l’histoire du rap : Rapper’s Delight. Le deuxième 45-tours à sortir au même catalogue, Funk You Up, reprend un concept similaire, basé sur le flow et un rythme funk. Sauf que ce sont trois femmes qui marquent leur temps : The Sequence démontre, dès 1979, que les femmes peuvent être les égales des hommes dans cette discipline naissante. L’une de ses membres réémergera vingt ans plus tard, en solo : Angie Stone figure parmi les plus importantes chanteuses de la soul moderne.

20th century masters millennimillennium collectionL’autre formation qui parvient, dès les années 1980, à concurrencer les hommes sur le terrain du rap se nomme Salt’n Pepa. Face au succès de Public Enemy et de Run DMC, elles apportent, dès leur premier album Hot, Cool and Vicious, une vraie réponse à la virtuosité des MC de cette époque, en se targuant d’un niveau technique au moins équivalent à celui de leurs homologues.

rap-féminin-histoire-fnac-queen-latifah-all-hail-the-queenDe manière générale, le rap s’impose au public, par le biais des femmes grâce au caractère tentaculaire du hip-hop et de ses disciplines, à l’époque. Ainsi, à New York, la chanteuse de Blondie, Debbie Harry, s’avère particulièrement intéressée par ce style, au point de pousser elle-même son flow, sur le titre Rapture. Et c’est une ancienne « beatboxeuse », Queen Latifah, qui sera l’une des premières artistes solo à cartonner dans les charts. À la fin des années 1980, sur son premier album All Hail the Queen, elle donne une idée du caractère revendicatif et plein « d’empowerment » que recèle le genre, comme l’atteste son titre Ladies First, véritable manifeste féministe du rap.

Les années 1990, et l’émergence des femmes rappeuses

Hard Core IexDans les années 1990, le rap obtient un grand succès, gagnant un large public. Ses plus grandes stars restent alors des hommes : les Californiens de N.W.A. (Ice Cube, Dr Dre, Eazy-E) Snoop Dogg ou Tupac cartonnent dans les charts, avant que la côte Est ne réponde avec les Wu-Tang Clan, Mobb Deep, Nas et autre Notorious BIG. Il faut attendre le milieu de la décennie pour qu’émergent des voix féminines, susceptibles d’amener autre chose que l’ultra-virilité et le matérialisme propre au genre, des deux côtés de l’Amérique. C’est la rappeuse Lil’ Kim qui va en quelques sortes inventer l’un des canons du rap féminin, avec son disque Hard Core. Portée sur la sexualité, voire la sexualisation du corps, la MC, ancienne amante de Biggie, affirme la libération du désir féminin et l’égalité des sexes avec beaucoup d’efficacité. Plus ancrée dans les sonorités East-Coast (elle a travaillé avec Nas et Jay-Z), Foxy Brown tient un discours à peu près similaire sur son magnum opus, Ill Na Na.

Supa Dupa FlyEn 1997, un an après les albums de Lil’ Kim et Foxy Brown, la première superstar du rap au féminin sort enfin son disque solo, Supa Dupa Fly. Missy Elliott a d’abord chanté dans un groupe de R&B avant de connaître le succès en tant que productrice, partageant certains crédits avec Timbaland, figure montante des studios de l’époque. Également rappeuse, elle se distingue par sa polyvalence et l’efficacité de ses titres. De 1998 à 2006, en créant six autres disques, elle s’imposera en tant que MC multiplatinée, remportant plusieurs Grammy Awards. À la même période, la MC Eve, et l’ex-Fugees Lauryn Hill, à la charnière du rap et du R&B, parviendront aussi à se faire remarquer, respectivement avec les albums Let There Be Eve et The Miseducation of Lauryn Hill.

Le rap au féminin, une spécialité francophone

rap-féminin-histoire-fnac-diams-dans-ma-bulleAu début des années 2000, une femme révolutionne le rap français, dominé jusqu’ici par des figures masculines, de NTM à Lunatic, en passant par IAM et MC Solaar. Diam’s, révélée à l’occasion de son second album Brut de femme, conquiert un large public, par son mélange musical assez réussi entre sons à la Missy Elliott et rap conscient typiquement français. Après une carrière au sommet (et notamment le disque Dans ma bulle), la jeune femme se retire, en proie à des problèmes personnels (qu’elle raconte dans le récent documentaire présenté à Cannes à son sujet). Mais la petite histoire hexagonale du rap au féminin ne s’arrête pas là. Pléthore de très bons artistes vont émerger à la suite. Keny Arkana, venue de Marseille, a fait la part belle à un rap engagé, très à gauche, le temps de disques enragés comme L’Esquisse ou Entre ciment et belle étoile. Venue de Rouen, Casey a donné une version féminine du rap érudit et politiquement brûlant créé par La Rumeur dans l’Hexagone. En atteste son parcours sans faute et son disque Tragédie d’une trajectoire.

MunPlus récemment, Chilla, avec son album Mun ou la belge Shay, avec un disque comme Antidote, ont réussi à se positionner dans le rap mainstream des années 2010, devenant des figures incontournables d’un hip-hop francophone qui, s’il n’est pas paritaire, ménage depuis vingt ans une place importante aux femmes.

Les années 2010-2020 : les rappeuses prennent le pouvoir

Grey AreaDans la sphère anglophone, la domination féminine sur le rap est un phénomène récent, mais remarquable. Ainsi, du côté du Royaume-Uni, à une ère ou le hip-hop a pris une importance fondamentale, l’apport de Little Simz, autrice du désormais classique Grey Area, est prépondérant, tant elle renouvelle l’esthétique du rap outre-Manche.

Invasion Of PrivacyAux États-Unis, la rappeuse Nicki Minaj a révolutionné l’univers du rap avec sa musique, inspiré du son du Sud des États-Unis et son personnage, incarnation de la femme gironde sûre d’elle et de son désir. Ses trois albums Pink Friday, Pinkprint et Queen ont marqué les années 2010, de même que ses clips et ses multiples collaborations. Elle a eu tôt fait d’affronter la concurrence d’artistes se revendiquant parfois de son influence, comme Cardi B, et son Invasion of Privacy, ou Megan Thee Stallion.

Special Édition Limitée Exclusivité Fnac Vinyle VioletÀ côté de ces phénomènes, les rappeuses ont aussi été vectrices du changement de société auquel on assiste ces dernières années. Après la rappeuse queer Princess Nokia, une artiste comme Lizzo a profondément renouvelé l’approche de l’esthétique proposée par les clips, en se targuant d’un discours inclusif sur le corps féminin, comme l’atteste son album Cuz I Love You, qui sera complété en juillet par Special, son second opus.

Article rédigé par
Mathieu M.
Mathieu M.
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