Je pense donc je suis, et si cette affirmation, fruit du doute cartésien, était battue en brèche ? Et si la caverne de Platon n’était pas un mythe mais une réalité ? L’atterrissage d’un avion de ligne d’Air France à l’aéroport JFK de New-York aura pour conséquence de remettre en cause quelques certitudes…
Les passagers du vol AF006
10 Mars 2021, l’avion d’Air France qui relie Paris à New York entre dans une zone de turbulences qui donne du fil à retordre au commandant Markle, et sème la panique chez les passagers. Mais tout rentre dans l’ordre, on arrive à bon port et chacun reprend le court de sa vie avec ses joies et ses vicissitudes.
On suit ainsi le commandant Markle, l’épouse et les enfants d’un GI, une jeune avocate afro-américaine à l’avenir prometteur, un musicien nigérian, et pour les français, un écrivain, un architecte, une monteuse de cinéma, un tueur à gages…
L’anomalie
L’histoire, bien sûr, ne s’arrête pas là, elle ne fait au contraire que commencer. Car trois mois plus tard, le même équipage à bord du même vol, transportant les mêmes passagers, demande une nouvelle fois à atterrir à New York. Pour le commandant Markle, nous sommes encore le 10 mars 2021 et il vient d’essuyer une tempête… Que faire sinon appliquer le mystérieux protocole 42, élaboré par des spécialistes en probabilités pour faire face à l’imprévu, voire à l’improbable… ?
Sous la supervision d’un président américain qui pourrait bien être Trump, armée, FBI et autres agences prennent en charge le problème et les passagers, avec l’aide d’un panel de scientifiques, mais aussi des psychologues, des philosophes et des responsables religieux.
Le doute
Si les lecteurs comme les protagonistes sont tentés de chercher l’origine de ce phénomène chez Einstein, des extraterrestres ou une intelligence artificielle supérieure, L’anomalie n’est pas un roman de science-fiction mais tiendrait plutôt du conte philosophique.
Hervé Le Tellier (d’ailleurs mathématicien de formation) étudie avec beaucoup d’humour et de tendresse les réactions des « dupliqués » et celle des scientifiques. Les premiers souhaitent surtout reprendre le cours de leur existence. Les seconds cherchent des réponses convaincantes.
Les réponses
Les scientifiques ont des hypothèses… Au lecteur de trouver s’il le souhaite la réponse qui lui convient. Une chose est sûre : les « dupliqués » ne pourront pas vivre comme avant, chacun devra trouver une façon de s’accommoder ou non de son double, à l’amiable ou dans le conflit, et cette expérience particulière sera vécue comme source de problèmes ou au contraire d’enrichissement.
La morale du conte : humaine trop humain
C’est peut-être la partie la plus touchante de cette fable : sa conclusion ou son absence de conclusion. Car l’auteur choisit d’évoquer avec justesse notre faculté bien humaine à savoir nous passer de réponses et de certitudes, pour pouvoir tout simplement continuer à vivre. Mais n’est-ce pas le propre de tout conte philosophique qui se respecte, de poser des questions plutôt que d’apporter des réponses ?
Ce titre est retenu dans les premières sélections des prix Goncourt, Renaudot, Médicis et Décembre
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Paru le 20 août 2020 – 336 pages