Il est considéré comme le père de la dystopie technologique, de la science-fiction noire et du cyberpunk. Laissez-moi vous présenter Philip K. Dick, grand écrivain de ce monde, dont l’influence pour le cinéma de genre s’étend d’Inception à Matrix en passant par Fight Club et Ghost in the Shell.
Qui était Philip K. Dick ?
Philip Kindred Dick (1928-1982) est un auteur américain de science-fiction, couramment abrégé en Philip K. Dick. Reconnu comme un auteur majeur de la science-fiction d’anticipation, et plus particulièrement la dystopie ultra-technologique, Dick passe son enfance à dévorer des ouvrages de fantastique et d’horreur, en particulier Lovecraft et Poe. Très vite, il se fait remarquer pendant son parcours académique par ses opinions très engagées à gauche et ses tendances paranoïaques, voire schizophrènes, qui imprégneront toute son œuvre.
Ses premiers écrits sont politiques et s’intéressent à la géopolitique mondiale en période de guerre froide, que n’aide pas sa paranoïa, lui faisant croire qu’il est sans cesse épié par ses pairs et le gouvernement. Alternant entre périodes d’écriture et grosses phases de dépression, Dick connaît une vie personnelle tumultueuse, entre divorces, jalousie profonde de ses épouses et addiction aux amphétamines.
Il parvient tout de même à connaître un premier succès avec son roman d’anticipation Le Maître du Haut Château (1962) sur une histoire alternative dans laquelle l’Axe aurait gagné la guerre. Il continue sur sa lancée avec Les androïdes rêvent-ils de moutons électriques ? et Ubik, deux romans de SF écrits en 1966 et considérés comme ses chefs-d’œuvre. À partir de là, sa vie devient de plus en plus chaotique et la paranoïa généralisée prend le pas sur sa santé mentale. En plein boom hippie, il écrit Substance Mort (1977), inspiré de ses affres avec les drogues dures. Les dernières années de sa vie se partagent entre prise de LSD, cures de désintox et fuite dans son propre univers mystique. Terrassé en 1982 par un arrêt cardiaque, sa popularité commence à grandir dans les cercles littéraires SF mondiaux, alors même que Philip K. Dick a passé la plus grande partie de sa vie dans la pauvreté et l’anonymat. Aujourd’hui, son héritage est d’une importance telle que tous les cinéastes, de Cronenberg à Nolan en passant par Gondry et Ridley Scott, reconnaissent son apport.
L’influence dickienne dans le cinéma de science-fiction
Telle une Cassandre, Philip K. Dick a eu le malheur d’être très en avance sur son temps, et de parler de futurs dystopiques dominés par la technologie, à une époque d’après-guerre où les Américains voulaient s’évader dans la littérature, et par là, ne pas songer à l’ingérence du gouvernement dans leur vie et les autres nations.
Ce n’est que dans les années 1980 que sa notoriété commence à grimper en flèche, alors que sort la toute première version cinéma d’une de ses œuvres, Blade Runner (1982) de Ridley Scott. Dick sera très fier de cette adaptation. Il dira à son propos que « sa vie et son travail créatif sont justifiés et complétés par Blade Runner ». Rien que ça !
Plus généralement, le succès des œuvres de Philip K. Dick au cinéma peut se comprendre eu égard à leur double tour de force. À la fois œuvres d’anticipation sur les dérives du progrès technologique et son usage à des fins totalitaires, ce sont aussi d’impressionnantes fresques questionnant la nature humaine. Dick met en avant des personnages non-héroïques, emplis de défauts, confrontés à un monde complexe où le concept d’humanité ne se limite pas à ceux faits de chair et les autres. Largement inspirés par ses expériences de dissociation de la personnalité, ses ouvrages montrent que les illusions nous englobent et que la « réalité » est subjective et toujours changeante.
L’héritage de Philip K. Dick à travers des films cultes
Les adaptations directes des romans et nouvelles de Philip K. Dick ont donné quelques-uns des grands succès du cinéma SF. Blade Runner et sa suite Blade Runner 2049, Total Recall, Minority Report et A Scanner Darkly ont donné vie à l’univers dickien avec brio.
Au-delà, de nombreux cinéastes se sont inspirés des thèmes fréquents chez Dick, proposant une libre relecture de son œuvre. Ainsi, des réalisateurs majeurs du XXe et XXIe siècle ont tous eu en commun une remise en question totale de ce qui fait l’Homme, pris entre sa perception de la réalité et des simulacres de réalité, sous forme de réalité virtuelle, de psychédélisme et d’humanoïdes. Certains de ces films ont explosé le box-office :
La trilogie Matrix
Les films qui ont propulsé les sœurs Wachowski au rang des réalisateurs visionnaires de notre siècle peuvent remercier Philip K. Dick. Avec son esthétique cyberpunk et son monde dominé par l’IA, Matrix est la saga de sci-fi anarchiste par excellence. Neo, homme ordinaire d’un monde et prophète d’un autre, découvre un jour qu’il existe un nouveau sens de la réalité en dehors de sa perception. Trinity et Morpheus, deux rebelles qui luttent contre l’empire des machines, ont pour mission de l’en convaincre…
Vidéodrome
Sorti en 1983, Vidéodrome est le film de la révélation pour David Cronenberg, alors l’un des réalisateurs de la nouvelle vague de SF canadienne aux côtés de John Carpenter. Max Renn, un programmateur de télévision sensationnaliste, cherche la prochaine émission qui procurera à ses spectateurs des sensations extrêmes. C’est alors qu’il entend parler de Vidéodrome, un enregistrement clandestin, qui va bouleverser sa perception de la réalité et l’entraîner dans un cauchemar sans fin…
The Truman Show
Peter Weir et son Truman Show illustre la paranoïa rampante dans toute l’œuvre de Dick. Sous une apparence de tranquillité, l’anodin Truman se révèle être une superstar de télévision épiée chaque jour par des millions de téléspectateurs. Jim Carrey oblige, on reste un peu sur le terrain de la comédie loufoque, mais la satire amère de la société du spectacle et du Big Brother n’est jamais loin.
Bienvenue à Gattaca
Vincent et Jerome sont deux jumeaux un peu particuliers : l’un a un patrimoine génétique parfait, grâce à une naissance in vitro, tandis que l’autre est né naturellement. Mais le frère imparfait se révèle meilleur que son frère parfait, et bientôt un jeu de faux-semblants s’installe dans la course à la réussite. Qu’est-ce qui fait de nous des humains ? Y a-t-il un sens à vouloir être plus que cela ? Autant de questionnements centralisés par Bienvenue à Gattaca, dystopie signée Andrew Niccol.
Looper
Dans Looper, réalisé en 2012 par Rian Johnson, le voyage temporel a été rendu possible mais déclaré illégal. Utilisée clandestinement par la mafia, cette technologie sert à un mafieux tyrannique à liquider ses rivaux, en les faisant exécuter dans le passé (qui est notre présent). Bruce Willis, version vieillie de Joseph Gordon-Levitt, est envoyé dans le passé et fuit ses assassins, mettant en danger mortel son double du passé… en croisant la dystopie et le film noir, Looper est un brillant exemple de film « tech-noir », puisé dans l’imaginaire dickien.
