Entretien

Interview de Valentine Goby : « Écrire donne une forme et du sens à mon existence »

25 octobre 2019
Par Anastasia
Interview de Valentine Goby : « Écrire donne une forme et du sens à mon existence »
©dr

Les romans de Valentine Goby explorent la notion de métamorphose et interroge la place des invisibles dans la société contemporaine. Son dernier roman, Murène, finaliste du Prix du Roman Fnac 2019, ne déroge pas à cette règle et tisse un portrait somptueux d’un jeune homme amputé dans les années 1950. Rencontre avec l’une des voix de la nouvelle génération littéraire française.

Quand avez-vous commencé à écrire ? 

Valentine Goby : Je ne me souviens pas, j’étais trop petite. J’ai probablement écrit beaucoup dans ma tête, j’aimais la musique des mots. Après, j’ai appris cette chose qui est la technique d’écriture avec un stylo et une feuille et ça ne s’est plus arrêté. Je n’ai pas de souvenirs de début, d’événement déclencheur, je pense que ça devait déjà être dans mon ADN.

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Quel souvenir gardez-vous de votre première publication ?

C’était vraiment extraordinaire ! C’est un conte de fées de bout en bout. J’écrivais depuis longtemps et je rentrais de 4 ans d’humanitaire. Mes amis m’ont encouragé à envoyer un manuscrit en prétendant que j’écrivais depuis des années, sans fournir de preuves. Je finis par le faire, un petit peu vexée qu’on puisse se dire que j’ai pu avoir peur de le faire avant, sans encouragement. Contre toute attente, je reçois une réponse positive de Gallimard, ce qui était énorme pour moi, qui ne connaissais pas du tout le milieu de la littérature ! C’était presque trop. Je dois dire que je n’osais pas tout à fait y croire. Chaque étape entre cette réponse et la publication était une sorte de surprise supplémentaire. C’était une confirmation. Tout me paraissait à chaque fois comme une surprise. La surprise d’être reçue chez Gallimard, la surprise de rencontrer une éditrice, la surprise de travailler avec elle sur le texte, la surprise de signer un contrat, de voir arriver un livre avec mon nom dessus, d’être invitée dans des librairies… C’était une espèce de cadeau qui n’en finissait pas, c’était une grande joie ! J’ai réalisé que je devais probablement en rêver sans oser me l’avouer et que ce pari que mes amis avaient fait pour moi était finalement une chance. Ensuite, ça a été un immense trac, parce que je me suis rendue compte que j’avais envie d’écrire pour être lu et pas seulement pour écrire. Cela voulait dire aussi, désormais, avoir un regard qui pouvait être dur et m’obliger à être à la hauteur d’autre chose que simplement mes propres attentes. Une espèce de grand tract qui ne s’est jamais démenti depuis. 

« Je cherche la position d’inconfort dans l’écriture. Être dérangée, c’est continuer à se questionner, douter, grandir. C’est déjà être en mutation soi-même. »

Qu’est-ce qui vous pousse à écrire un roman ? Et quelles sont vos habitudes de travail ? 

Ce qui me pousse à écrire un roman, c’est un petit peu mystérieux, mais si je me retourne, je constate que j’ai des sortes d’obsessions intimes, personnelles, qui rejoignent parfois certaines images et sons qui me viennent de l’extérieur. C’est cette rencontre-là, cette espèce de synergie entre le dedans et le dehors qui me donne envie d’écrire un livre. Le dehors étant une espèce de façon de m’appuyer sur des éléments du réel pour explorer ou continuer d’explorer la voie qui est la mienne. En l’occurrence, je travaille énormément autour de l’idée de métamorphose, de transformation profonde des êtres qui passe souvent par le corps me concernant, à partir des obstacles et des empêchements que la vie nous impose. Dans ces empêchements, il y a la maladie, le chagrin, la tristesse, les événements extérieurs (la guerre, la déportation), l’enfantement… J’ai aussi travaillé sur la filiation, avec son pendant, l’avortement. L’idée pour moi, c’est toujours d’essayer de travailler cette matière-là, comme une opportunité de transformation intime, de mutation. 

J’ai lu un jour un article dans un journal qui parlait de Marie-Louise Giraud, guillotinée à la prison de la Roquette à Paris pour avortement, j’ai eu envie d’explorer cette question à travers ce fait divers, dans Qui touche à mon corps je le tue. Une autre fois, j’ai découvert l’existence hallucinante d’une pouponnière dans le camp de Ravensbrück et de ces mères qui ont radicalement changé leur rapport les unes aux autres et au monde parce qu’il y avait des nourrissons à sauver : ça a été le prétexte de Kinderzimmer.

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Le roman que je viens de publier, Murène, m’a été inspiré par l’image d’un nageur paralympique très mutilé, Zheng Tao. L’idée était vraiment d’aller au-delà de la résilience et d’essayer de travailler sur la mutation intime : cela passe par le corps, mais au fond l’enjeu est intime. Cest un peu ça l’histoire de mes romans à chaque fois : comment cette question-là, rencontrant des événements extérieurs qui la stimulent et qui la questionnent autrement, m’oblige à aller plus loin, sur d’autres chemins pour continuer ce travail de réflexion sur nos mutations. 

Murène dépeint le bouleversement de la vie d’un jeune homme après avoir été amputé des deux bras. C’est un sujet très difficile. Comment l’avez-vous abordé  ?

La question de la difficulté se pose, je pense, à tous les gens qui sont dans un métier pour lesquels ils ont une forme d’ambition. Dans la création aussi, évidemment, la question se pose. Si vous entendez par difficile que les sujets sur lesquels je travaille peuvent en effet me mettre dans une position d’inconfort, je dirais presque : «  C’est la position que je recherche ! » Être dérangée, être en position d’inconfort, c’est continuer à se questionner, douter, grandir. C’est déjà être en mutation soi-même. Cet inconfort-là est nécessaire pour continuer à être vivant, c’est l’idée même du mouvement. Alors oui, bien sûr il y a des moments rudes ! La littérature est à la fois l’expérience de l’altérité et l’expérience de la ressemblance : il y a chez ce personnage, comme chez d’autres personnages qui traversent des tragédies dans mes romans, quelque chose de moi, mortel dans ma condition humaine, voué à mourir. Moi aussi finalement, je cherche des raisons de me tenir debout. Ce n’est pas que c’est difficile, c’est que c’est humain, et vivre n’est pas une chose facile. 

« La littérature est à la fois l’expérience de l’altérité et l’expérience de la ressemblance »

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Si vous pouviez être un personnage de roman qui seriez-vous ?

Je crois que je suis plein de personnages de roman ! Je pense que je suis le personnage de tous mes romans ou, du moins, que tous les personnages de mes romans sont des parties de moi. Si vous me demandez une incarnation tout à fait extérieure, j’ai envie de dire que ça dépend des moments de mon existence. J’ai pu me sentir adolescente un peu Madame Bovary, parce que j’ai connu cette expérience de l’éloignement des centres de mouvement, de bouillonnements, cette envie d’être ailleurs, d’appartenir à un autre milieu, d’avoir la chance de s’incarner autrement. Le Grand Meaulnes, c’est la même chose, c’est l’idée de quelqu’un qui veut s’échapper et partir à l’aventure, qui veut sortir de son milieu. Il y a plein de personnages de romans merveilleux dont j’envie le parcours sans forcément avoir envie d’épouser leur existence. On s’éparpille un peu dans tous les livres qu’on lit et écrit. J’ai envie d’être tous les personnages des Misérables. Tous, parce qu’ils sont tellement humains que je ne vais pas choisir plus Jean Valjean que Fantine, ou même Javert, cet homme-là qui est façonné par la loi et par les exigences radicales de la loi. Son métier est obéir. Voilà un type qui, un jour, va désobéir et transgresser. Il va faire quelque chose que, peut-être, moi, je n’ai jamais vraiment accompli. Il va en mourir, mais il est libre !

Avez-vous un conseil de lecture pour quelqu’un qui lit peu, voire pas du tout ?

Le conseil de lecture que je donne toujours, parce que depuis qu’elle est entrée dans ma vie, je sais qu’elle peut faire lire n’importe qui… J’en ai l’expérience, j’ai fait lire des adolescents de milieux très différents, des gens qui ont un rapport compliqué à la langue et la littérature, dans des filières scolaires, professionnelles, qui sont souvent alimenté par une population de jeunes gens qu’on ne pense pas forcément capables d’aller vers des études générales, de la lecture… J’ai fait lire des personnes âgées, des gens de ma famille de tout âge qui ne lisent pas du tout. Ce conseil de lecture que je fais, c’est la trilogie Auschwitz et après de Charlotte Delbo. Ce n’est pas très gai comme ça – et en effet, ce n’est pas un livre de plage – mais Charlotte Delbo a cette capacité extraordinaire, avec très peu de mots, et des mots très simples, de créer des images d’une poésie, d’une intelligence que j’ai rarement croisée en littérature. Et ce, à partir d’une expérience qui pourrait nous rebuter, puisque c’est quelqu’un qui s’est échappée d’Auschwitz et de Ravensbrück. Il y a dans ces livres une expérience du monde extrêmement douloureuse, mais elle en fait de la poésie, de la littérature à l’état pur. Elle a choisi la littérature, et pas le témoignage. Elle a choisi d’inventer une langue pour nous dire ce que c’est que le corps dans tous ses états et de raconter son expérience de la déportation à partir de ce que nous avons en commun : la chair, la peau, le muscle. C’est une langue dans laquelle nous pouvons tous nous projeter parce que nous avons tous un corps, de la chair et du muscle. Charlotte Delbo est quelqu’un qui peut nous réconcilier avec la littérature, la mémoire et l’histoire avec une facilité déconcertante. Allez lire, par exemple, le premier tome : Aucun de nous ne reviendra. C’est une expérience de la littérature et de la poésie très fondatrice, très constructive et très facile. 

« Nous vivons de plus en plus dans des grandes villes, avec une agitation et un fond sonore permanent, ce qui est très néfaste pour cette intimité que réclame la littérature. Mais les gens lisent quand même  ! »

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Comment voyez-vous la littérature aujourd’hui ?

Ce n’est pas un mystère, la littérature doit un peu se battre aujourd’hui pour avoir une place : elle demande un peu de solitude et du temps. C’est à peu près tout ce que nous n’avons pas, d’autant plus que nous vivons de plus en plus dans des grandes villes, avec une agitation et un fond sonore permanent, ce qui est très néfaste pour cette intimité que réclame la littérature. Mais visiblement les gens lisent quand même ! Les jeunes en particulier. Les études du Centre National du Livre (CNL) le montrent. Je crois qu’il ne faut pas juste envisager la littérature aujourd’hui comme le livre. C’est un univers dans lequel existe des gens qui portent un outil et une langue et qui fabriquent du vivre ensemble. Des auteurs, des éditeurs, des libraires, des bibliothécaires constituent une sorte de lieu immatériel dans lequel nous pouvons projeter sur l’autre des histoires qui au fond ne nous appartiennent pas. L’auteur écrit un roman qui n’est pas le reflet de son existence directe. Le lecteur y entre alors que ce n’est pas non plus son histoire, mais il y a là un miroir dans lequel nous pouvons nous reconnaître et réfléchir au sens strict du terme, c’est-à-dire douter tout en traversant ensemble des expériences communes. Je crois que la littérature et les livres en général restent une expérience du commun, qui passe par une forme de retrait, presque une éducation. Je crois encore beaucoup à l’école évidemment pour ça, et à toutes les structures éducatives. Il semble qu’il y ait des livres pour chacun, ce qui est assez beau. On a vu beaucoup se développer le roman graphique, le manga, la BD et des genres comme la science-fiction, la fantasy qui ont aussi donné de très grands auteurs. Je ne suis pas du tout désespérée sur la littérature dans le monde d’aujourd’hui. Elle s’adapte, comme nous. Nous aussi nous nous adaptons. 

Pourquoi écrire ?

J’écris parce que, sinon, j’ai l’impression d’être morte. Il y a plein de choses que j’adore faire : randonner en montagne, me baigner dans un lac d’eau froide, regarder un film avec ma fille en mangeant un plateau-repas, mais tout ça prend du sens parce que je peux le transformer, et pas forcément directement, mais parce que ça forme une matière sur laquelle je vais pouvoir, avec des mots et de la langue, essayer de donner du sens. Cela donne une forme à mon existence.

Photo : Renaud Monfourny

Article rédigé par
Anastasia
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