Être « malin comme un singe », « doux comme un agneau »… Nous reconnaissons aux animaux certaines qualités humaines. Dans La Dernière Étreinte, Frans de Waal va plus loin : les animaux ressentent des émotions. Empli d’une grande tendresse, il raconte ses relations avec les grands singes et prouve qu’ils sont bien plus proches de l’homme que ce que nous croyons.
« La dernière étreinte »
Cette étreinte est celle qu’ont partagée Jan van Hooff, professeur de biologie, et Mama, chimpanzé femelle de la colonie du Burgers’ Zoo à Arnhem, aux Pays-Bas. Respectivement âgés de 79 et 59 ans, ces deux hominidés ont échangé cet acte de tendresse comme un adieu, Mama étant très malade. Les deux êtres se connaissaient depuis 40 ans et la matriarche avait une profonde sympathie pour le chercheur. Quelques semaines après cette scène qui a été filmée et partagée sur Internet par de nombreuses personnes, le singe est mort.
Frans de Waal, émérite éthologue et primatologue américano-néerlandais, ouvre La Dernière Étreinte sur cette rare et émouvante scène. Pourtant, il n’y a rien de surprenant à ce qu’elle se soit produite. Oui, les animaux s’attachent, ressentent de l’affection, aiment. Toute personne en contact avec eux de manière régulière en est consciente. Cette affirmation est pourtant niée par une grosse partie de la communauté scientifique qui refuse d’accorder aux animaux ce genre d’émotion.
Le propre de l’homme
La Dernière Étreinte est le compte-rendu d’une vie passée à observer les animaux dans toutes les situations. Entre récits d’expériences effectuées sur les singes, et relations d’observations, Frans de Waal donne à voir la complexité des rapports sociaux entre les animaux, plus particulièrement les primates. En empiriste, l’auteur raconte la manière dont les grands singes montrent leurs émotions, comment ils sont capables de rire lorsqu’un soigneur leur fait une farce, comment ils se réconcilient après un affrontement, comment ils sont déprimés après la perte d’un être cher, pleins de gratitude après avoir reçu de l’aide, pleins de sollicitude envers leurs semblables et les humains en détresse, et la liste est encore bien longue. Le primatologue revient sur toute une tradition scientifique et philosophique à chercher ce qu’est le propre de l’homme et la remet en cause. Les animaux entretiennent des amitiés et des relations qui peuvent durer jusqu’à la mort, comment peut-on limiter leur vie intérieure à la seule satisfaction de leurs besoins vitaux ? Il est bien temps que l’homme redescende de son piédestal et admette l’intelligence sociale et émotionnelle des animaux.
Les sentiments se disent, les émotions se voient
Sous-titré « Le monde fabuleux des émotions animales… et ce qu’il révèle de nous », le livre a pour objectif de témoigner que les animaux ressentent des émotions, y compris celles que les hommes considèrent comme les leurs. Une émotion est un état du corps et de l’esprit qui induit un certain comportement. Elle se repère par l’expression du visage, la teinte de la peau, le timbre de la voix, les gestes, les odeurs… le corps en général. Dès lors que l’on prend conscience de ses émotions, elles deviennent des sentiments. Le sentiment est un état intérieur subjectif qui n’est connu que de la personne qui le ressent. Il se communique uniquement par le langage. De manière implicite, les hommes ont toujours considéré qu’ils étaient les seuls êtres vivants à ressentir des sentiments et des émotions, car – disons-nous – les animaux n’ont pas de conscience morale, de conscience d’eux-mêmes, bref : une vie intérieure très limitée et relative à leur survie. Cet état des lieux est très significatif, il implique que les hommes étudient les animaux en comparaison d’eux-mêmes et non pas pour ce qu’ils sont. Les scientifiques sont anthropocentrés, ce qui conduit à une forme de dédain envers les animaux.
L’anthropodéni
L’éthologie est la discipline qui consiste à étudier les comportements animaux et humains dans des conditions naturelles ou expérimentales. De sa longue expérience en tant que scientifique, Frans de Waal révèle au lecteur nombre d’anecdotes quant à la communauté scientifique, l’actualité de la recherche, la manière dont les expériences sont perçues. Il témoigne d’une grande résistance de son auditoire dès qu’il affirme que les animaux rient, sont dégoûtés, ressentent de l’orgueil, se réconcilient, etc. Ce frein est historique, il réside dans la crainte de l’anthropomorphisme. Décrire les animaux en se fiant uniquement sur le comportement humain est effectivement une approche biaisée. Mais analyser les animaux en partant du principe qu’ils ne ressentent rien, que leurs actions sont uniquement motivées par des besoins vitaux serait également faux, Frans de Waal qualifie cette attitude d’anthropodéni. La démarche de l’auteur est inductive : quand les animaux montrent des signes d’émotion semblables à ceux des hommes, dans des situations où les hommes ressentiraient de telles émotions, pourquoi ne pas supposer qu’ils les ressentent également ?
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Parution le 14 novembre 2018 – 400 pages