Critique

Fauve d’or 2019 : Emil Ferris, monstre sacré de la bande dessinée

28 janvier 2019
Par Lucas

Une première bande dessinée à 55 ans, c’est rare. Une première bande dessinée qui est certainement le meilleur roman (graphique a minima) de l’année 2018, c’est exceptionnel. Moi, ce que j’aime, c’est les monstres, livre somme, chef-d’œuvre immédiat, aux éditions Monsieur Toussaint Louverture.

Une première bande dessinée à 55 ans, c’est rare. Une première bande dessinée qui est certainement le meilleur roman (graphique a minima) de l’année 2018, c’est exceptionnel. Moi, ce que j’aime, c’est les monstres, livre somme, chef-d’œuvre immédiat, aux éditions Monsieur Toussaint Louverture. Fauve d’or 2019.

Les créatures de Windy City

Fin des années 1960. Karen Reyes, dix ans, vit avec sa mère et son grand frère Deeze, féru de dessins et de tatouages, à Uptown. Dans ce quartier populaire de Chicago déambulent laissés-pour-compte, gueules cassées et prostituées. Pour échapper aux gamines de sa classe, à la dureté de la vie à Uptown, à l’absence de père, Karen se rêve loup-garou. Elle rêve des fantômes qui peuplent les rues et ne demandent qu’à surgir. Un jour, la voisine du dessus, la tendre Anka, belle femme abîmée au passé trouble, meurt. Suicide ou assassinat ? Karen se lance sur les traces d’Anka et se frotte à des humains bien plus monstrueux que les loups-garous et autres créatures des comics horrifiques qu’elle lit.

Une œuvre d’art

Impossible de parler de l’histoire de Moi, ce que j’aime, c’est les monstres, sans parler du dessin si particulier et fabuleux de l’auteur. Le trait d’Emil Ferris fait ressortir les émotions des personnages, la noirceur d’une ville et d’une époque. Construit comme le journal intime de Karen, l’ouvrage mêle textes à la poésie enfantine macabre et illustrations qu’on voudrait croire hasardeuses si la maîtrise visuelle n’était pas aussi absolue. Car ce premier roman graphique fantastique et social, à l’immense inventivité, confine à l’art, celui, pop, qui commence à trouver sa place dans les musées. Et pour cause : Emil Ferris a mis six ans à l’écrire. Chaque page est un tableau qui pénètre dans le cerveau des personnages – et hante durablement celui des lecteurs. Pour preuve, la multitude de prix qui pleuvent sur l’ouvrage depuis sa sortie outre-Atlantique en 2017, et la consécration par l’immense Art Spiegelman, qui tient Emil Ferris pour « l’une des plus grandes artistes de bande dessinée de notre temps ». Ca tombe bien, Moi, ce que j’aime, c’est les monstres aura bientôt une suite.

Moi ce que j'aime c'est les monstres 1

Moi ce que j'aime c'est les monstres 2

Moi ce que j'aime c'est les monstres 3

Moi ce que j'aime c'est les monstres 4

Emil Ferris : talent monstre 

Délicat de ne pas aborder la genèse de Moi, ce que j’aime, c’est le monstres sans évoquer la biographie de l’auteure. Jusqu’en 2002, Emil Ferris gagnait sa vie en dessinant des jouets et en participant à la production de films d’animations. Lors de la fête de son quarantième anniversaire, elle est piquée par un moustique et tombe dans le coma : elle est atteinte d’une méningo-encéphalite qui la prive de ses mouvements, et de sa capacité à dessiner. Mais elle ne lâche pas pour autant le crayon : la rééducation est longue, et Emil Ferris va jusqu’à se scotcher un stylo à la main. Elle retrouve peu à peu sa motricité, s’inscrit au Chicago Art Institute et commence dans la foulée la réalisation de son premier roman graphique. Six ans plus tard, après avoir obtenu son diplôme et s’être vu refuser son manuscrit par 48 éditeurs, elle est enfin publiée par l’éditeur indépendant Fantagraphic. L’oeuvre est saluée immédiatement. Emil Ferris est adoubée. 
Emil Ferris par Mathieu Gervaise

Angoulême – Fauve d’or 2019

Parution le 23 août 2018

Livre premier – 416 pages

Traduit par Jean-Charles Khalifa 

Moi, ce que j’aime, c’est les monstres, Livre premier, Emil Ferris (Monsieur Toussaint Louverture) sur Fnac.com

Photographies d’Emil Ferris © Mathieu Gervaise
Article rédigé par
Lucas
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