Critique

Nous nous verrons en août, de Gabriel García Márquez : un roman posthume parcouru par le désir

14 mars 2024
Par Thomas Louis
Nous nous verrons en août, de Gabriel García Márquez : un roman posthume parcouru par le désir
©Palomares

C’est un événement mondial. Nous nous verrons en août, le roman posthume de Gabriel García Márquez (traduit par Gabriel Iaculli), paraît enfin en librairie. Notre critique.

À l’approche du dixième anniversaire de la mort de l’auteur colombien, la sortie du roman posthume Nous nous verrons en août (Grasset) a de quoi nous réjouir. Un livre qui prend forme à travers la figure d’une héroïne qui, chaque année, se rend sur la tombe de sa mère sur une île des Caraïbes. 

Une sortie très attendue 

Parmi les auteurs de langue espagnole, Gabriel García Márquez fait naturellement partie des plus célèbres, le romancier ayant par ailleurs dépassé Cervantes parmi les écrivains hispaniques les plus traduits au monde. Et si le prix Nobel de littérature 1982 s’est éteint le 17 avril 2014, son œuvre reste plus que jamais présente dans l’imaginaire collectif. C’est la raison pour laquelle l’annonce de la parution de Nous nous verrons en août est un événement dans le milieu littéraire.

Ce roman posthume est traduit de l’espagnol (Colombie) par Gabriel Iaculli, qui avait déjà eu l’occasion de s’attaquer à la langue de l’auteur avec Le Scandale du siècle (Grasset, 2018), qui regroupait les écrits journalistiques de Márquez. Et si la sortie française a été fixée au 13 mars (le 20 mars en anglais), le livre figure déjà dans les librairies espagnoles depuis le début du mois de mars, sous le titre En agosto nos vemos, publié par Random House.

Si aujourd’hui cette publication crée l’événement, celui que l’on surnomme « Gabo » en Amérique latine n’était pourtant pas convaincu par sa publication. En effet, Nous nous verrons en août est un court roman, que les fils de l’auteur, Rodrigo et Gonzalo, ont pu rassembler à travers des fragments. Gabriel García Márquez – qui souffrait de problèmes de mémoire à la fin de sa vie – en avait déjà fait une première lecture publique en 1999, dévoilant le premier chapitre. Toutefois, l’ensemble semblait ne pas le satisfaire. Si la décision a été prise de le publier malgré tout, ce roman posthume reste probablement le dernier texte dont on dispose de l’auteur de Cent Ans de solitude(Seuil, 1965), l’un des meilleurs livres du XXe siècle.

Une femme éprise de liberté 

Nous nous verrons en août commence par une description. Celle d’une femme, de ses gestes, à la manière d’un plan de cinéma. Peu à peu, on en découvre certains détails. Elle s’appelle Ana Magdalena Bach, elle a 46 ans. Et on comprend pourquoi elle est ici. Chaque année, au mois d’août, elle se rend sur cette île des Caraïbes, elle achète des glaïeuls et va fleurir la tombe de sa mère. 

« C’était l’unique endroit solitaire où elle ne pouvait se sentir seule.» Gabriel García Márquez

Sur cette île, l’ambiance est tropicale, à la limite de la moiteur. Les « grandes chaleurs » font place aux « averses torrentielles » et ne sont pas sans rappeler certaines atmosphères propres aux livres de Gabriel García Márquez, à l’instar de L’Automne du patriarche (Grasset, 1977).

Le récit continue. On suit Ana Magdalena Bach au bar de l’hôtel. Et puis, il y a cet homme, sur fond de Debussy (la musique est omniprésente dans le roman), avec qui elle passe la nuit. Au réveil, la culpabilité retient tout ce qu’il y a de vie en elle. Car Ana Magdalena Bach a un mari, dont l’auteur nous dresse le portrait, enfin. Un chef d’orchestre de 54 ans, bien sous tous rapports, dont l’une des armes semble être la séduction. La question du soupçon est alors soulevée, avant d’être retournée complètement.

« Il la souleva par la taille et la suffoqua de baisers.» Gabriel García Márquez

L’année suivante, l’héroïne retourne sur l’île et rencontre un autre homme. De la même façon que le premier, leur lien est charnel, rien de plus. C’est la raison pour laquelle Ana Magdalena Bach découvre parfois leur vie le lendemain, comme elle le fait avec l’évêque.  

Un style au service de l’histoire 

À la manière de L’Amour aux temps du choléra (Grasset, 1987), le style de Nous nous verrons en août est plus que jamais poétique. Il s’envole, parfois, et atterrit simplement, comme chez les grands auteurs. Ici, pas de réalisme magique auquel on aurait pu s’attendre ; quelques incohérences, même, qui ne retirent rien au souffle de cette histoire, très vite marquée par la question de la confiance dans un couple. Car, année après année, le mari d’Ana Magdalena Bach a des soupçons quant à sa fidélité. 

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Dans un tour de force très subtil, Gabriel García Márquez retourne la situation et disserte sur la question globale de la confiance. Comme si l’héroïne voulait se persuader que son mari la trompe. Pour se dédouaner, à son tour.  

On comprend alors que ces voyages sur l’île sont non seulement l’occasion de visiter la tombe de sa mère, mais aussi d’explorer une certaine facette de ses désirs. Comme si cette île des Caraïbes était l’île de la réinvention, pour un soir. La forme courte semble ici tout indiquée pour rendre compte de cette sorte de liberté.

« Quand elle sortit du cimetière, Ana Magdalena Bach était une autre femme.» Gabriel García Márquez

De façon un peu précipitée, on découvre que ces périples insulaires sont peut-être davantage portés par une question de transmission que par l’envie de liberté profonde. Mais les deux seraient-ils liés ? 

Nous nous verrons en août, de Gabriel García Márquez, Grasset, 144 p., 16,90€, depuis le 13 mars 2024 en librairie.

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