Critique

Qui a tué mon père d’Édouard Louis : au nom du père

09 mai 2018
Par Melanie C.
Qui a tué mon père d'Édouard Louis : au nom du père

Après un brillant premier roman signant l’acte de naissance d’un nouveau prodige de la littérature française et une autofiction intense révélant l’extrême désarroi d’un homme brutalisé, Édouard Louis retourne sonder son histoire familiale pour un nouveau récit confession à la fois douloureux et politique. Qui a tué mon père, se demande Eddy Bellegueule qui n’hésite pas à nommer les coupables.

edouard louis

Vie de malheur

En finir avec Eddy Bellegueule était un cri du cœur, celui d’un jeune homme revenu de l’enfer, tentant désespérément de comprendre les raisons profondes de son enfance de malheur. Ostracisé, traîné dans la boue, humilié à cause de son homosexualité dans une famille et un environnement gangrénés jusqu’à la moelle par les effets destructeurs d’une misère sociale endémique, Édouard Louis trouvait déjà matière dans sa propre histoire à esquisser en filigrane les contours d’un discours plus politique.

Toujours adepte de l’autofiction cathartique, il revenait deux ans plus tard avec Histoire de la violence sur la terrible agression qu’il a subie un soir de Noël pour sonder à travers une forme inattendue et ambitieuse, notamment en faisant parler sa sœur dans un patois picard restitué, les sentiments et les réflexions contradictoires que ce drame lui a inspirés. Dans ce récit sincère, poignant, parfois déstabilisant, la dimension politique trouvait toute sa place quand il justifiait la violence physique de son agresseur ou celle morale dont il a été victime depuis l’enfance, par un déterminisme social savamment cultivé et entretenu par des élites qu’il n’hésite pas à mettre nommément en cause dans son nouveau récit confession.

Retrouvailles avec un homme broyé

Troisième volet d’un profond travail introspectif débuté il y a six ans, Qui a tué mon père est, comme l’avoue Édouard Louis dès les premières pages, un livre « qui ne répond pas aux exigences de la littérature mais à celles de l’urgence, de la nécessité et du feu ». Comme s’il devait rétablir une forme de justesse – à défaut de justice – à sa propre histoire. En partant à la rencontre d’un père mourant et vulnérable qu’il se sent coupable de haïr, il remonte le fil d’un rapport filial complexe où le virilisme est imposé jusqu’à la caricature par une figure paternelle prisonnière d’une culture de classe interdisant et réprimant dans la brutalité toute fantaisie tendancieuse. Pourtant, ce père un peu trop raciste, alcoolique, homophobe, un peu trop beauf qui a toutefois toujours refusé la violence envers ses enfants mais qui se fait dérouiller jusqu’au sang par son fils aîné toxicomane, ce père au corps définitivement détruit par un accident d’usine aurait sans doute secrètement rêvé d’une autre vie, impensable et inavouable pour tous ceux de son origine sociale.

Lettre politique


Et c’est justement à travers cet acte de résilience ultime, pardonnant tout le mal que ce père imparfait lui a fait, qu’Édouard Louis propose une foudroyante lecture politique de l’existence douloureuse et humiliante d’un homme cassé. À la différence de Ken Loach qui dans Moi, Daniel Blake fustige avant tout un système prédateur fonctionnant grâce à son armée de petits soldats déshumanisés, il n’hésite pas dans un final plein de fureur contenue, et malgré quelques approximations historiques, à nommer précisément ceux qu’il juge responsables de la déchéance sociale de ce père programmé pour mourir dans l’indignité. En lâchant ses coups contre les gouvernants qui se sont succédé à la tête de l’État français armés de leurs politiques destinées à ceux qui n’en ont pas besoin, Édouard Louis réactive avec une bouleversante sincérité une lutte des classes qui n’a finalement jamais disparu.

Parution le 3 mai 2018 – 80 pages

Qui a tué mon père, Édouard Louis (Seuil) sur Fnac.com

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Article rédigé par
Melanie C.
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