Critique

Une brève histoire de Mai 68 avec Ludivine Bantigny

25 avril 2018
Par Mathilde1
Une brève histoire de Mai 68 avec Ludivine Bantigny

Mai 68 fête ses 50 ans ! 50 années de pavés lancés dans les rues, de « il est interdit d’interdire », de bouleversement des mœurs et d’avènement d’une nouvelle ère. Mais, plutôt que d’y voir (seulement) une révolution culturelle, l’historienne Ludivine Bantigny publie un essai qui s’intéresse à la dimension politique et collective de l’événement.

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Mai 68 en bref

Le 22 mars 1968, 150 étudiants occupent le dernier étage de la faculté de Nanterre. Entre revendications touchant à la vie quotidienne (possibilité pour les garçons d’aller dans les chambres des filles !) et opposition à la Guerre du Viêt Nam, cet événement est considéré comme déclencheur de Mai 1968. Le manifeste rédigé par ces étudiants contestataires donnait déjà le ton et la tenacité des élèves : « à chaque étape de la répression nous riposterons d’une manière de plus en plus radicale ».

C’est lors de la traditionnelle marche syndicale du 1er mai, jour de la Fête du Travail, que l’esprit de Mai 68 s’embrase. La suite, on la connait : grèves et occupations étudiantes parcourent le pays jusqu’à mi-juin. 

1968 se comprend avec 1967

Historienne de formation, Ludivine Bantigny publie son Habilitation dirigée de recherche sur 1968, De grands soirs en petits matins. Son approche historique plonge les origines de Mai 68 dans l’année 1967, voire dans le massacre de Charonne en 1961, répression policière d’une manifestation d’Algériens organisée par le FNL. En effet, Mai 68 n’est pas une insurrection passagère de quelques étudiants de Nanterre ou la Sorbonne, mais bien un mouvement social aux racines profondes, qui s’étend à toute la France, et ne se limite certainement pas à Paris.

De Besançon, à Lyon, à Caen… nombreuses sont les grèves et les manifestations d’ouvriers qui, en 1967, avaient pour devise « Nous sommes des hommes, pas des robots ! ». Les premiers pavés lancés contre les CRS ne sont pas ceux du quartier latin, mais ceux d’agriculteurs de Quimper en octobre 1967. Pour Ludivine Bantigny, Mai 68 se comprend comme la réactivation d’un passé proche, presque immédiat, une concentration subite de toutes les luttes sociales.

Ainsi, malgré un sentiment de prospérité partagé par le pouvoir en place qui considère seulement, à l’époque, la modernité économique, la croissance de 5% et de meilleures conditions de vie comme des preuves de richesse et d’apaisement, les années 1960 étaient profondément inégalitaires. 5 millions de Français vivaient sous le seuil de pauvreté et 2 millions avec l’équivalent actuel de 500€ par mois.

Un mouvement collectif

On considère souvent Mai 1968 comme le début de la société individualiste, préjugé que Ludivine Bantigny conteste fermement. Au contraire, Mai 68 est un mouvement collectif qui a brassé des populations hétéroclites. Les ouvriers, les agriculteurs, les étudiants (qui ne constituaient à l’époque que 12% d’une classe d’âge, et donc une classe privilégiée) mais aussi chauffeurs de taxi, plongeurs, coursiers, employés de bureau, cheminots… : ils se sont tous rencontrés, mélangés, se sont émus face à la violence des événements, et ont fait converger leurs volontés individuelles.

Au-delà d’un mouvement collectif national, Mai 68 est également un mouvement collectif mondial et internationaliste. Guerre du Viêt Nam, Cuba, Printemps de Prague, dictature franquiste : les revendications et l’ampleur de ce souffle révolutionnaire allaient bien au-delà des intentions premières des étudiants de Nanterre !

Ainsi, Ludivine Bantigny soutient que Mai 68 n’aurait jamais pu devenir un tel raz-de-marée sans ce regroupement d’intérêt. En 1968, le gouvernement du Général de Gaulle se savait capable de maîtriser des manifestations ouvrières ou des mouvements étudiants, mais incapable de faire front aux deux combinés ensemble. Mai 68, c’est bien, avant tout, une pensée du collectif, qui, in fine, aboutit à la libération individuelle.

De grands soirs en petits matins a à cœur de montrer que Mai 68 est plus politique que culturaliste et évite l’écueil de réduire cet événement à un jeu d’étudiants pleins de fougue – voire de fils à papa, militant pour la libération sexuelle. Qu’est-ce qui fait cité ? Comment se construit le commun ? Autant de question qu’il s’agit aujourd’hui de réactiver…

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La Brèche, Edgard Morin

Le discours de Ludivine Bantigny vient nuancer celui d’Edgard Morin développé dans son essai sur Mai 68, La Brèche, publié au lendemain des événements. Suivi de Vingt ans après (publié en 1988), qui dresse un bilan a posteriori, cet essai est nourri des témoignages, pris sur le vif, d’Edgard Morin, Claude Lefort et Cornelius Castoriadis.

Le philosophe et essayiste voit dans cet événement une révolution culturelle, le point de basculement de notre civilisation actuelle.

Cette brèche, c’est une ouverture vers un monde nouveau, le nôtre, avec ses valeurs et aspirations propres et, au cœur, l’individualisme trimphant et la rupture du lien social. 

Parution le 4 janvier 2018 – 464 pages

1968, De grands soirs en petits matins, Ludivine Bantigny (Seuil) sur Fnac.com

Aller + loin : Une brève histoire de…

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