Coup de cœur – Un amour exemplaire, une véritable bulle de bonheur !

BANDE DESSINÉE – Quand deux auteurs, maîtres de leur art respectif, se rencontrent pour livrer une histoire d’amour pas banale dans le fond comme dans la forme, le résultat a quelque chose de réellement jubilatoire.

À ma gauche et à l’origine du projet, il y a Daniel Pennac, brillant écrivain touche-à-tout, qui sait autant s’adresser aux enfants (Le Roman d’Ernest et Célestine) que collaborer avec des dessinateurs de BD (Jacques Tardi pour La Débauche, Achdé pour Lucky Luke). Il a souhaité confier son récit au trait de Florence Cestac, figure historique de la BD féminine et féministe et, excusez du peu, lauréate du Grand Prix du Festival d’Angoulême en 2000.

À eux deux, ils racontent à leur manière l’histoire d’amour entre Germaine et Jean Bozignac, un couple « en marge » que Daniel Pennac a personnellement connu dans son enfance et qui a, on comprend aisément pourquoi, forgé sa personnalité fondamentalement humaniste et tolérante. De cette histoire, Daniel Pennac aurait pu en tirer un livre, il a préféré en faire une BD, avançant qu’« une planche équivaut à cinquante pages de roman ».

© Rita Scaglia 2015

Ancré à La Colle sur Loup, en face de Saint-Paul de Vence, le couple Bozignac, aussi discret qu’extravagant, s’est bâti sur un amour inconditionnel qui a su braver tous les préjugés sociaux et autres médisances de voisinages pour s’épanouir de la plus pure des manières. Ces vieux amoureux ne payent pas de mine, traînent une réputation d’êtres oisifs et vivent tranquillement dans une discrétion suspecte, nourrissant les fantasmes méprisants du quotidien. Et pourtant, leur histoire est éminemment spectaculaire, toujours motivée par un amour fusionnel sur lequel ni le temps ni la bêtise des gens n’ont eu d’emprise. C’est que Jean et Germaine ont su transformer les événements hautement dramatiques traversés en une formidable carapace nourrie de poésie et d’indépendance.

Évidemment, la faconde de Daniel Pennac et le dessin expressionniste de Florence Cestac subliment le récit de ce destin singulier. Chaque planche et chaque case recèlent son enchantement, son autodérision, son trésor de dialogue ou son dessin qui fait mouche ! Commençant comme une autofiction où Pennac invite Cestac dans un resto typiquement parisien pour la convaincre de mettre en images son histoire, le récit se veut drôle, léger et profond à la fois. Cestac se moque de son style (« c’est toujours comme ça que j’ai dessiné les nez, je ne ferai aucune concession » !) et Pennac parvient en quelques mots à nous faire soupeser le poids de l’amour. Comme lorsque Germaine clame avec fierté : « C’est mon mari, chère Camille, n’est-ce pas qu’il est vilain ? »

Un amour exemplaire © Dargaud – 2015

Les deux auteurs laissent progressivement la place aux protagonistes de cette histoire d’amour tout sauf commune, qui tire son caractère exemplaire du fait qu’elle est insubmersible. Le lecteur revient ponctuellement dans le bistro pour constater que ce récit raconté « en direct », qui prend vie sous nos yeux, fascine autant le lecteur que les clients alentour et le serveur, qui n’hésitent pas à mettre leur grain de sel.

Tour à tour drôle et touchant, même dans les situations les plus dramatiques, Un amour exemplaire est un chef-d’œuvre de narration, une sorte de cocktail idéal entre la joie de raconter et le plaisir de dessiner. Pour ce moment hors du temps et des conventions, ce pur plaisir de lecture et d’émotions, ce cadeau à offrir à qui de droit les yeux fermés, on remerciera les deux auteurs très chaleureusement.

Un Amour exemplaire, Daniel Pennac, dess. Florence Cestac (Dargaud) sur Fnac.com