Tout sujet peut être traité en manga, même le plus dur : j’en veux pour preuve ce « A Silent Voice » de Yoshitoki Oima (Ki-oon Edtions), mettant en scène une jeune fille sourde de naissance. Brimades, incompréhension mutuelle, leçons de vie… Un manga touchant, je dirais même plus : important.
L’histoire commence comme une comédie romantique. Shoya Ishida, un lycéen de 16 ans, vient chercher Shoko Nishimaya, « juste pour lui parler ». Passé l’étonnement de le revoir après plusieurs années, elle lui adresse un sourire timide… et s’enfuit en courant. Oui ? Un petit flash-back pour nous permettre de comprendre, s’il vous plaît ? Ah, il vient : merci. C’est ainsi que nous apprenons que le turbulent Shoya et la douce Shoko étaient dans la même classe en dernière année de primaire. On s’attend à un shôjo classique, et on guette l’arrivée du troisième élément (féminin ou masculin) perturbateur de cette idylle de jeunesse. Mais encore une fois on se trompe lourdement !
Yoshitoki Oima, l’auteure, nous montre le quotidien de Shoya, alors jeune garçon d’une dizaine d’années, pour qui le terme « turbulent » ne serait pas encore assez fort. Bien intégré à un groupe de copains, ils font ensemble les 400 coups, dont des « tests de courage » improbables (ça doit être rigolo de sauter dans la rivière depuis le pont !). Elevé par une mère célibataire un peu dépassée par les évènements, Shoya est le cancre, l’élément perturbateur de la classe. Mais il le vit plutôt bien ! Jusqu’au jour où…
La classe accueille aujourd’hui même une nouvelle élève ! Et voici que Yoshitoki Oima nous présente Shoko. Mignonne, réservée, un cahier à la main, la jeune Shoko est malentendante de naissance, et aucun appareil ne réussit à corriger cette infirmité. Les enfants ne sont pas tendres entre eux à cet âge-là, et Shoya s’amuse de cette fille handicapée, qui fait pourtant tout son possible pour chercher à s’intégrer à cette nouvelle école. Mais à force de pousser le bouchon toujours trop loin, les rappels à l’ordre des enseignants – eux aussi dépassés, il faut le dire – pleuvent, ses camarades s’éloignent… Et voilà que le joyeux Shoya devient le mouton noir.
Yoshitoki Oima est une jeune auteure qui mène son lecteur par le bout du nez pour l’emmener à travers une œuvre maîtrisée, tant sur le plan graphique que narratif. A travers des scènes aussi crues que réalistes, elle ne nous épargne aucun détail des sévices subis par Shoko. Et le lecteur assiste, impuissant, à la métamorphose de cette classe apparemment soudée, qui se délite peu à peu suite à l’arrivée de Shoko…
Ecrite alors qu’elle n’avait que dix-huit ans, cette histoire est initialement un one-shot (i.e. en un seul volume). La dureté du sujet abordé fait hésiter les éditeurs, mais l’ouvrage est finalement publié, puis décliné en série après un succès aussi fulgurant qu’inattendu. A Silent Voice, du haut de ses sept volumes, détrônera ainsi la meilleure vente japonaise du moment qu’est L’Attaque des Titans ! C’est dire si l’engouement fut général. Et mérité.
Le manga A Silent Voice est une œuvre courte (7 volumes) au ton doux-amer, et importante pour sa capacité à aborder le sujet du handicap infantile avec tant de justesse. Importante, cette série l’est aussi pour sa portée sociale. Car si on suit Shoya, qui ne comprend pas (ou fait semblant de ne pas comprendre ?) ce qui se passe autour de lui, on observe attentivement les détails en arrière-plan, tels le comportement des professeurs et des parents, mais aussi et surtout celui des autres élèves. Et on réfléchit à notre comportement de quand on était gamin…