Au-delà du succès désormais mondial de la romance « After », le récit d’Anna Todd jette un coup de projecteur sur le phénomène fanfiction. Egalement source de débat, et de nombreuses querelles financières comme morales, autour notamment des notions de droits d’auteur, de licence et de cohérence des œuvres, le phénomène fanfiction annonce les enjeux futurs de la création culturelle et de sa diffusion dans un monde toujours plus interconnecté.
Mais concrètement la fanfiction c’est quoi ?
L’imagination sans limites…
Autrefois réservé majoritairement aux fanzines papiers – ces publications amateurs souvent hyper spécialisées et à diffusion restreinte – les fanfictions explosent et s’exposent désormais avec l’essor de la technologie et des réseaux associés. Qu’il s’agisse de roman, de bande dessinée ou manga, de cinéma, de jeux vidéo, et même de personnages publics, certains fans reprennent à leur compte des créations et personnages existants (Harry Potter et Twilight en tête !). Dans un esprit de gratuité et de partage entre passionnés, via des sites et des plateformes internet dédiées, les fans peuvent écrire et proposer à la communauté leurs propres histoires dérivées, et même parfois collaborer (allant du simple sondage lecteurs qui décidera de la tournure de l’histoire jusqu’à des formes parfois complexes de cadavres exquis en mode 2.0). Écrire une fanfiction permet aussi au lecteur ou au spectateur de mettre en scène ce qu’il aurait souhaité trouver dans l’œuvre d’origine. A l’heure où l’on parle enfin d’un Star Wars Episode VII officiel, il y a déjà longtemps que les « fanfictioners » du monde entier ont abordé la fameuse saga au gré de suites, de préquelles et même d’aventures parallèles à la chronologie, sans même parler des univers alternatifs et autres cross-overs1, avec pour seuls limites celles de l’imagination. Aucune limites non plus dans les formats (d’un paragraphe à des romans complets, selon l’humeur et l’investissement des passionnés), dans les genres2 ou encore dans les rapports (sexués ou non) entre les personnages. C’est à la fois un réservoir à fantasmes (ré)créatifs où tout devient possible, à l’instar d’Anna Todd qui s’inspire de Harry Styles, un membre du groupe One Direction, pour son personnage de Hardin dans After, et la réappropriation dans une certaine mesure de la culture populaire cannibalisée par l’entertainment et le marketing. Ce sont aussi peut-être les prémisses d’une révolution dans l’écriture où les auteurs de demain se feront initiateur, puis chef-d’orchestre de leurs propres œuvres, influencées, partagées, étendues, par les lecteurs.
Les limites de la fanfiction ?
Dès le moment où la fanfiction devient un succès au-delà des initiés et que le grand public se tourne de plus en plus vers elle, l’essor croissant et l’engouement créatif pour ce mode d’expression pose bien évidemment des problèmes de droits d’auteurs et de licences. Le débat qui fait rage est sans doutes parti pour durer : certains auteurs se prononcent même sans détours contre les fanfictions concernant leurs œuvres (Anne Rice, Terry Goodkind, Nora Roberts, etc.), tandis que d’autres y sont favorables, à tout le moins bienveillants (Neil Gaiman, Joss Whedon, Stephenie Meyer, etc.) Outre la sanction juridique pure et dure, l’autre réponse que semblent proposer désormais le monde des ayants droits c’est de récupérer le phénomène, et l’effet caisse de résonance supplémentaire pour les oeuvres.
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En dehors de la problématique de l’appartenance légitime de ces contenus (l’éternelle querelle du ménage à trois : auteur-éditeur-lecteur !), c’est aussi la cohérence globale des œuvres utilisées qui inquiète les créateurs et les ayants-droits : comment concilier l’imagination débridée des fans qui produisent de la fanfiction au kilomètre à partir d’univers souvent ultra-codifiés sans se faire déborder ? A terme et par exemple, quelle impact aurait sur le l’avenir d’une série le fait qu’une fanfiction rencontre plus de succès que son modèle ? Dès lors la tentation est grande de vouloir suivre le sens du vent, au gré de la vox populi en somme et contre les créateurs originaux. Car que l’on ne s’y trompe pas, si la succes-story d’Anna Todd, cette jeune femme et son smartphone en guise de machine à écrire, a tout du conte de fée postmoderne dont raffolent les grands médias (de la desperate housewive du Texas à la romancière internationale !), c’est véritablement le genre fanfiction et sa mise en lumière accélérée qui risquent de secouer le petit monde de l’édition, plus largement des auteurs, et par effet dominos le statut même des œuvres.
Première fanfiction à connaître un succès largement au-delà de la sphère internet (on est déjà bien au-delà de 20 millions de lecteurs), After trouve aujourd’hui de nouveaux lecteurs par le biais logique de l’édition papier, et ouvre une brèche pour l’ensemble de la production amateur. D’ailleurs certains n’hésitent pas à parler d’une revanche de l’écrit sur l’audiovisuel, tant on ne compte plus le nombre de textes dérivés de films ou de séries. Suite à l’aventure d’Anna Todd, mais aussi sous la pression des fans qui n’hésitent plus désormais à faire savoir aux professionnels de l’édition ce qu’ils aimeraient voir publié, on peut s’attendre à une déferlante de fanfictions en tous genres. Que l’on s’en réjouisse ou s’en inquiète, vraie-fausse révolution ou pas, ce sera en définitive, et toujours, au lecteur de trancher.
« La logique vous mènera d’un point A à un point B. L’imagination vous mènera partout »
Albert Einstein
Notes fanfictives :
1 – Très connu des amateurs de comic book, et dans une certaine mesure également utilisé dans les séries TV, le cross-over consiste en une histoire faisant intervenir des personnages d’univers différents et qui, le temps d’un arc/épisode, vivent des aventures communes. Même si la notion d’univers partagé (comme pour les super-héros Marvel) aide au développement des cross-overs, ce n’est pas une donnée obligatoire.
2 – Comme toute communauté très active la mouvance fanfic génère ses propres usages, codes et vocabulaires. Partant de la liberté de création très vite des genres sont apparus hors de la classification courante chez les professionnels : ainsi il existe la « Darkfic », où un personnage donné est du côté des méchants, à tout le moins on y explore sa part sombre, ou encore la « Songfic » qui se base sur une chanson précise…
Enregistré par FnacTV le 09/01/2015 à l’Hotel Beauséjour Montmartre, Paris
Captation : Samuel Dollé et Laure Bourru
Montage : Samuel Dollé