Critique

Black M révèle pourquoi il a les yeux plus gros que le monde

27 mars 2014
Par Grégory
Black M révèle pourquoi il a les yeux plus gros que le monde
©dr

Rappeur solo à l’origine, Black M est peut-être celui qui avait le plus envie, le plus besoin de s’émanciper, de mettre sur une feuille ce qu’il avait dans la tête, dans un texte entier plutôt quand dans un seize mesures…

On le sait, la Sexion d’Assaut est un collectif talentueux composé de rappeurs aux univers éminemment différents. Alors, après leur immense succès en groupe, il était logique que chacun, un à un, se lance en solo. Après Maître Gims qui a marqué l’année dernière et totalement réussit son passage à l’examen, Black M est le deuxième à se lancer dans l’aventure avec Les yeux plus gros que le monde.

Rappeur solo à l’origine, Black M est peut-être celui qui avait le plus envie, le plus besoin de s’émanciper, de mettre sur une feuille ce qu’il avait dans la tête, dans un texte entier plutôt quand dans un seize mesures. Pour autant, malgré le succès, Black M rentre dans l’arène avec le couteau entre les dents et des envies de prouver et on peut relever, dans plusieurs morceaux, les doutes qui l’habitent parfois et qui l’assaillent souvent. Finalement, même s’il arrive parfaitement à surfer entre gros hits populaires et morceaux plus intimistes, il en dit beaucoup de lui-même, sur ses liens avec les autres, sur la façon dont il voit la vie, sur le soutien indispensable de sa famille.

Malgré l’éclectisme des prods et des sujets, il y a toujours, ça et là, une évidente « Blacklines », aka les punch de Black M, qui en dit long sur sa personnalité ou sur son parcours. Sans jamais tomber dans l’egotrip pur, il cherche malgré tout à se différencier du game, se voyant trop loin, trop différent. De fait, il faut bien reconnaître que la Sexion a apporté quelque chose au rap français, une fraîcheur, une candeur qui se retrouve évidemment ici comme dans le morceau  Ailleurs où Black M devient Black Shady, rappant à toute vitesse tout en expliquant qu’il est trop haut pour que l’on aille le chercher.

Mais derrière cette assurance, se cache un artiste, un homme avec ses doutes et ses failles. Cela se ressent particulièrement dans des titres comme Pour oublier où il explique que chanter lui permet de s’évader d’un monde parfois difficile et de fuir les problèmes en cherchant dans la musique quelque chose de meilleur. Artiste à succès, il est confronté à la notoriété parfois difficile à gérer et cela l’entraîne à faire des choses qu’il regrette par la suite. C’est ce que l’on trouve dans le diptyque  A force d’être qui explore la face cachée de la célébrité avec ce qu’il y a de violence, de sorties la nuit, de femmes, d’ego et C’est tout moi qui prend un peu la suite et où Black M exprime ses regrets quant à ses erreurs et au comportement qu’il a parfois. On le sent obligé de lutter contre tout ce qui est décrit plus haut et la partie n’est pas si simple.

Dans un élan de sincérité, il évoque une histoire d’amour contrariée par tout ce qui entoure désormais sa vie d’artiste. Mais, alors qu’on le croit bien dans ses baskets et en passe de livrer un album conquérant, on s’aperçoit que le cheminement n’est pas si simple. Black M se pose beaucoup de questions dans une Interlude criante de vérité, il se demande ce qui restera de lui quand il aura disparu dans La légende black et a peur de finir seul comme il l’exprime dans Solitaire. Evidemment, ces titres s’accompagnent de prods plus mélancoliques, concoctées par Stan-E et Renaud Rebillaud, des habitués de la Sexion, et Skalp.

Il parle aussi beaucoup des femmes qui accourent en même temps que la célébrité comme sur Je ne dirais rien. Plus flippant, un morceau sur une fan, qui de simple spectatrice se transforme en groupie totalement dingue qui s’introduit chez lui, bâillonne sa femme et kidnappe son fils. Jessica est un morceau éprouvant où l’angoisse monte à chaque lyrics. C’est aussi une sorte d’ovni dans de ce disque, mais surtout une vraie belle réussite. Autre très beau résultat, le titre Le regard des gens sur le thème de la différence. L’écriture est précise et les mots font mouche, à tel point qu’on se demande si nous aussi, on est bien aussi ouvert qu’on veut bien le faire croire, le tout dans une ambiance reggae qui sied particulièrement bien à cet ancien toaster.

Enfin, il y a les morceaux plus dansants, plus clubs, plus légers comme Casse Pas Ton Dos, Qataris, A la vôtre et l’évident Mme Pavoskho dans lequel beaucoup se reconnaîtront. Mais, même sur certains tracks que l’on pourrait qualifier de dansants, il y a de la réflexion. C’est notamment le cas de Spectateur où le beat incite à se remuer, mais où les lyrics poussent plutôt à réfléchir puisque Black M y développe ce qu’il voit du monde, ce qu’il a vu, ce qui en fait un spectateur désabusé, l’évolution de nos sociétés et des affres dans lequel le monde se débat. L’exemple est parfait pour expliquer la force de Black M, qui réussit une synthèse quasi parfaite entre richesse mélodique et thématique, entre ancien et moderne, entre nostalgie et avant-gardisme, entre conscient et dansant. Un état d’esprit qui semble parfaitement le résumer.

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Grégory
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