Après le fabuleux « Fun Home » paru en 2006 qui mettait en image son enfance, l’histoire de son père gay refoulé, et de son propre coming out, Alison Bechdel signe ici un nouvel album personnel et très touchant qui s’articule autour du personnage de sa mère cette fois-ci. Alison Bechdel se centre, une fois encore, sur la famille, et met le propos psychologique au cœur même de son roman graphique.
Ce roman, centré sur le personnage de sa mère et de leur relation au quotidien, apparaît comme une belle déclaration d’Alison Bechdel à sa mère. Dans C’est toi ma maman ?, elle entreprend le très délicat (et douloureux parfois) projet de raconter sa mère. Elle décrypte comment celle-ci a réagi tout au long de l’écriture du livre Fun Home sur son père. Elle y pose aussi ses théories psychologiques sur cette relation qui lui est chère, et y mêle ses propres relations amoureuses.
Chaque chapitre (dont le titre invoque une théorie psychologique) commence toujours par l’évocation d’un rêve raconté en détail puis analysé ensuite dans ses séances de psychanalyse (dont nous sommes les témoins indiscrets) avec Jocelyn puis Carol (ses deux psys). Alison Bechdel se livre totalement, mais toujours avec une pudeur émouvante, et nous emmène avec elle en son fort intérieur où se mélangent toutes ses inspirations : Virginia Woolf, Adrienne Rich, et le psychanalyste britannique Donald Winnicott (théoricien de la relation mère-enfant) dont elle dira même: « Je voudrais qu’il soit ma mère ! ». Le livre est truffé d’extraits de romans, de théories, d’informations biographiques sur Woolf ou Winnicott dont Bechdel ne cesse de se nourrir pour trouver, dit-elle, un sens à sa vie.
C’est cette relation mère-enfant qui est au coeur du propos de ce livre et comment cette relation nous construit ou nous déconstruit. Alison Bechdel avoue que dans sa famille on ne parlait pas vraiment de ses sentiments, il y avait une certaine distance, et peu de contact physique, de marque d’affection.
C’est toi ma maman ? (Extrait) d’Alison Bechdel © Denoël Graphic 2013
Alison Bechdel raconte qu’à sept ans sa mère a cessé (sans explications) de l’embrasser pour lui souhaiter bonne nuit. Et depuis cet événement, elle n’aura de cesse de vouloir expliquer l’attitude de sa mère, sa distance tout en cherchant inexorablement son attention, un lien, et son approbation quant à ses projets.
« La seule chose dont elle avait besoin de ma part c’est que je n’aie pas besoin d’elle. »
Alison Bechdel capte l’intime. Elle est une auteure du sentiment, du doute, du questionnement de l’identité, de l’appartenance, du manque. Elle fait parler l’intérieur comme un sublime haut-parleur vers l’esprit et le cœur du personnage principal en l’occurrence : elle. Elle sait peindre des portraits criant de vérité sur les liens familiaux. Intriguée par le fonctionnement-même d’une famille et les liens qui s’y tissent, Bechdel détricote les mailles de ses pensées et les pose à plat sur la planche à dessins.
On constate différentes strates à l’intérieur de certaines images, un peu comme plusieurs calques posés les uns sur les autres et qui, comme notre pensée, seraient tout à la fois : l’image racontant une situation que l’auteur commente dans un texte apposé au dessus. Et ainsi on touche du bout des doigts la complexité et la profondeur du propos d’Alison Bechdel. Comme tout est méticuleusement pensé chez Bechdel, le livre est en noir et blanc avec seulement quelques touches de rouge qui, précise-t-elle, rappellent les menstruations, le sang lié à l’accouchement (lien direct avec la mère.)
Partant de sa propre histoire, elle universalise son propos sur la famille et nous pouvons chacun y reconnaitre un peu de notre propre histoire. Raconter les liens pour s’en libérer et construire de nous–même cet autre qui sera nous indépendamment de la place que les autres nous donnent.
Le roman graphique C’est toi ma maman ? comme Fun Home se révèlent de purs bijoux de lecture d’où l’on ressort touché, questionné, grandi, et surtout impressionné de la totale maîtrise de Bechdel pour construire et mener son histoire au coeur de l’émotion.