Bonne nouvelle 13e Note Editions – la bonne fée des lettres américaines – propose à nouveau Né un 4 juillet en librairie. C’est une réédition bienvenue et somme toute logique après la parution chez le même éditeur d’autres écrits de vétérans de la Guerre du Vietnam comme Tim O’Brien (« Si je meurs au combat ») et Ken Anderson (« Pas de saison pour l’Enfer »).
« How many roads must a man walk down
Before you call him a man ?
Yes, ‘n’ how many seas must a white dove sail
Before she sleeps in the sand ?
Yes, ‘n’ how many times must the cannon balls fly
Before they’re forever banned ?
The answer, my friend, is blowin’ in the wind,
The answer is blowin’ in the wind. »
Extrait Blowin’ in the wind (1962) de Bob Dylan
Il est fort probable, du moins en France, que la majorité des personnes ayant vu Né un 4 juillet l’adaptation, au demeurant plutôt fidèle d’Oliver Stone, du récit de Ron Kovic (interprété par Tom Cruise dans le film de 1989), n’aient jamais lu le texte d’origine. Je crois aussi que le livre n’était plus disponible, à part d’occasion et encore, depuis plus de 20 ans… ce qui n’aide pas. Bonne nouvelle 13e Note Editions – la bonne fée des lettres américaines – propose à nouveau Né un 4 juillet en librairie. C’est une réédition bienvenue et somme toute logique après la parution chez le même éditeur d’autres écrits de vétérans de la Guerre du Vietnam comme Tim O’Brien (Si je meurs au combat) et Ken Anderson (Pas de saison pour l’Enfer)*.
Ron Kovic est né en 1946, très précisément un 4 juillet comme la fête nationale qui célèbre l’Indépendance en 1776 des Etats-Unis par rapport au Royaume-Uni. Ce hasard du calendrier semble le prédestiner, au sein d’une famille américaine comme il y en a tant au sortir de la Seconde Guerre Mondiale et de la glaciation des relations Est-Ouest, à devenir le prototype même du patriote us. L’idéologie hollywoodienne du combattant à la John Wayne et le culte de la compétition que l’on retrouve dans le sport (le petit Kovic est évidemment féru de baseball) achèveront de le convaincre qu’il doit lui aussi – comme l’exhorte le Président J.F. Kennedy dans un discours célèbre à la nation – faire quelque chose pour son pays, être utile.
En conséquence, et comme bien d’autres jeunes gens de sa génération, il rentre dans les Marines en 1964, alors que les forces américaines sont présentes au Vietnam depuis 1961. En 1965, Ron et son idéalisme chevillé au corps, se retrouvent à des kilomètres de la mère patrie pour ne revenir à la maison familiale qu’en 1967. Au bout de quelques mois et à sa demande Ron Kovic rempile pour le front du conflit vietnamien. C’est là que son destin bascule : il y a d’abord cet épisode traumatisant où, alors que sa section est prise en embuscade et sous le feu ennemi, que la confusion règne et que la peur brouillent tous repères, le sergent Kovic tue accidentellement un des marines sous ses ordres. Puis en 1968, lors d’une mission de reconnaissance, tandis qu’il est à découvert, Ron Kovic reçoit d’abord deux balles, l’une dans le pied et l’autre dans l’épaule, puis enfin une troisième qui touche cette fois-ci la moelle et sera cause de sa paralysie. Sauvé in extremis, rapatrié d’urgence dans un hôpital de campagne, puis en terres américaines dans un établissement médical indigent du Bronx où s’entassent les vétérans qu’on préfère oublier, il découvre brutalement la triste réalité du retour à la vie civile et le peu de valeur que son pays donne à son engagement et à son sacrifice. En gros, merci pour vos jambes et votre pénis désormais inutiles, voici une médaille, ainsi que le document officiel pour vos proches, et bon vent. Signé la Patrie reconnaissante mais pas trop.
A la lecture de Né un 4 juillet, on s’aperçoit bien que plus encore que les horreurs de la guerre et son infirmité, c’est véritablement la prise de conscience difficile du sort réservé aux vétérans du Vietnam de retour au pays, mais aussi le sentiment d’appartenir à une génération sacrifiée par le gouvernement américain et ses intérêts politiques et stratégiques d’alors, qui poussent Ron Kovic à devenir un des plus acharnés activistes pour la paix. Si le livre à la manière d’un reportage vécu de l’intérieur, décrit les prises de position publiques et les manifestations anti-guerre (y compris cet épisode fameux où Ron Kovic vient perturber le discours d’investiture du Président Richard Nixon), le texte comporte au final très peu de passages sur le théâtre des opérations au Vietnam, si ce n’est dans les derniers chapitres qui sont pour le coup tétanisant de violence crue. D’abord parce qu’on peut se douter que l’auteur a repoussé un maximum l’instant d’exprimer de tels souvenirs, ensuite parce que le combat s’est déplacé et que l’ex-soldat Kovic aspire à faire passer son message envers et contre ses propres démons.
En définitive on a jamais l’impression que l’homme rejette définitivement son pays, mais au contraire qu’il lui demande des comptes, qu’il souhaite par là-même alerter ses contemporains sur la profonde injustice faite aux vétérans, à tous les vétérans de toutes les guerres (comme dans ce passage à l’hôpital où il observe les oubliés de la Seconde Guerre Mondiale, déjà fantômes d’un conflit précédent). Le livre est un texte essentiel pour plusieurs raisons et on ne peut que se réjouir de cette réédition via 13e Note : Rédemption personnel par l’écriture mais aussi témoignage historique d’un vétéran américain sur l’après-Vietnam, hymne à la paix exempt de tout cynisme et propagande (notamment anti-vietnamienne), Né un 4 juillet, s’il est d’une parole parfois difficile à entendre est surtout une voix totalement libre et sans concessions, à l’assaut du silence des blessures, de toutes les blessures.