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Le cycle du A : Le monde selon non-Aristote

10 août 2012
Par Khalo
Le cycle du A : Le monde selon non-Aristote
©DR

A la fois roman de science-fiction, récit initiatique et conte philosophique, le monde des Ā (prononcé non-A) est sans aucun doute un des romans majeurs du XXème siècle. Paru en 1945 aux Etats-Unis, traduit en 1953 par Boris Vian et révisé par son auteur en 1970, ce roman hors du temps à marqué son époque et le petit monde de la Science-fiction.

A la fois roman de science-fiction, récit initiatique et conte philosophique, le monde des Ā (prononcé non-A) est sans aucun doute un des romans majeurs du XXème siècle. Paru en 1945 aux Etats-Unis, traduit en 1953 par Boris Vian et révisé par son auteur en 1970, ce roman hors du temps à marquer son époque et le petit monde de la Science-fiction.

Basé sur une théorie philosophique que nous évoquerons plus loin, ce roman tient le lecteur en haleine par sa forme scénaristique à la fois complexe et inéditeMultiplication des personnages et des intrigues, renversement de situations, héros central à la fois monsieur tout le monde au début du récit puis être aux aptitudes sensorielles démentielles capable même de se réincarner, le monde des Ā constitue une pièce maîtresse (fondatrice ?) du roman de fiction-réflexion.

Au XXVIème siècle, la Terre s’est fondue dans l’immensité de l’Empire galactique. Une élite politique régit la vie selon des principes philosophiques évolués non-aristotélicien. La machine des Jeux règne sur la population et participer à cette compétition est synonyme, pour qui réussit, de richesse et vie facile, voire même d’un voyage sur Vénus, la planète des nantis… Après la mort de sa femme, Gilbert Gosseyn décide enfin de quitter son petit village natal de Floride pour tenter sa chance.

Le récit démarre ici, lorsque Gosseyn observe la tour de la machine de sa chambre d’hôtel. Il retrouve alors les nouveaux candidats au jeu pour une réunion. Il croise un homme de son village, un de ses voisins, qu’il salue amicalement. Ce-dernier le regarde, étonné, sans réactions, comme un étranger… De nombreux éléments particuliers vont venir mettre la puce à l’oreille à notre héros, et finalement, il s’apercevra que toute sa vie n’était qu’illusion: il n’a pas perdu sa femme, il n’a pas été marié ; et ses souvenirs ne sont pas les siens… Grâce à ces capacités intellectuelles hors-normes, il parvient à déjouer les machinations, à sauver sa vie, et se rend compte qu’il n’est qu’un pion sur un échiquier galactique. Et même la mort ne pourra plus l’arrêter dans sa recherche du meneur de jeu…

Deux niveaux de lecture se côtoient.

Tout d’abord, l’histoire de Gosseyn en elle-même constitue un bon roman de Science-fiction.

Mais l’intérêt principal réside dans la doctrine philosophique qui apparaît en arrière-plan du récit principal. Van Vogt s’inspire d’un ouvrage philosophique de Korzybski paru en 1933 (Science and Sanity: An Introduction to Non Aristotelian Systems and General Semantics). Sous ce titre barbare se cache plusieurs idées déroutantes. Ici, on va faire simple. Il y développe un modèle de pensée basé sur la physique quantique et les travaux d’Einstein, en opposition à la pensée classique sous le signe d’Aristote et Newton. D’où le titre de l’œuvre de Van Vogt, Ā signifiant non-aristotélicienCe qu’il faut retenir, c’est que la connaissance de l’homme ne peut-être qu’imparfaite, dû à la perception qu’il a de son entourage. Soumis au filtre neurologique et à tous les éléments extérieurs venant polluer la perception, le résultat n’est qu’une interprétation de la réalité, une portion de vérité que l’homme tente d’appréhender. Tout comme dans la théorie de la relativité, il faut prendre en compte l’observateur, et une vérité pour nous n’est pas forcément la même que pour notre voisin.

Pour finir, citons Van Vogt lui-même dans sa préface à l’édition de 1970 :« La Sémantique générale traite du sens des significations. De ce fait, elle transcende la linguistique. Son idée essentielle est qu’une signification ne peut être comprise que si l’on tient compte du système nerveux et du système de perception humains qui en ont été les vecteurs et les filtres.« 

Le roman permet à Van Vogt de mettre en scène ces idées au travers de son personnage amnésique, qui se construit au fil du récit par ses perceptions du monde extérieur. Toujours soumis aux filtres humains, Gosseyn finit par recréer son être qui devient indissociable de sa mémoire. Ce qui le constitue c’est ce dont il se souvient et il n’est rien en soi sans ses expériences et ses souvenirs. Cela nous amène une autre idée de base du livre: la mémoire et l’identité sont une seule et même chose

Voilà de quoi nourrir beaucoup de réflexions et c’est ce qui a fait le succès du livre. Malgré ces notions parfois abstraites, Van Vogt maîtrise totalement son récit et prend en main son lecteur, au sens propre du terme, pour lui faire découvrir cet univers et cette pensée unique et originale.

Encensé et aussi fortement critiqué à sa sortie, on peut placer le monde des Ā parmi les ouvrages polémiques. Il reste aujourd’hui encore un incontournable de la littérature moderne, et probablement un des romans les plus marquants du XXème siècle.

Article rédigé par
Khalo
Khalo
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