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Hugo, Nebula, Locus : La Guerre éternelle, un lauréat d’exception !

15 mai 2012
Par Gerald
Hugo, Nebula, Locus : La Guerre éternelle, un lauréat d'exception !
©TDR

Ce bouquin est tout simplement l’un des meilleurs romans de SF jamais écrit. A sa sortie, il rafla le Hugo ET le Nebula, laissant ses lecteurs ébahis d’admiration. On a là un peu le Full Metal Jacket de la science-fiction : un requisitoire contre la guerre et une formidable aventure humaine.

Hugo, Nebula, Locus, quid ?

Aujourd’hui, je vous propose un rendez-vous. Je vais vous emmener à la découverte des meilleurs bouquins de science-fiction de tous les temps, rien de moins. Et attention, pas seulement un avis personnel, avec tous les risques de subjectivité inhérents – non, non, ces bouquins dont je vais vous parler ont été consacrés par leurs pairs et par le public.

Il y a aux Etats-Unis trois grands prix, annuels, récompensant LE meilleur roman de science-fiction de l’année. Ce sont les prix Hugo, Nebula et Locus.

Le prix Hugo (Science Fiction achievement award) doit son nom à Hugo Gernsback, fondateur du mythique magazine de science-fiction, Amazing Stories. Il y a plusieurs catégories, dont le prix du meilleur roman de l’année. C’est un collège de fans de science-fiction qui élisent les lauréats.

Le prix Nebula est décerné par une association, la Science Fiction and Fantasy Writers of America. Encore une fois, plusieurs catégories, dont celle qui nous occupe, le meilleur roman de science-fiction.

Le prix Locus, enfin, est décerné chaque année par les lecteurs du magazine du même nom.

Et, tenez vous bien, certains romans ont raflé, la même année, les trois prix ! 23 romans ont fait le doublé, d’abord – Hugo et Nebula. Quelques uns ont obtenu le Locus (qui n’est décerné que depuis 1980, de toute façon).

Alors, évidemment, certains de ces romans ont pris un coup de vieux, mais force est de constater que la plupart ont formidablement bien vieilli. Ils ont marqué l’année de leur parution en même temps que des millions de lecteurs, avec parmi eux un bon nombre de spécialistes du genre.

Si vous voulez commencer une collection, découvrir la science-fiction, ou même rattraper quelques lectures à côté desquelles vous seriez passé, ces 23 romans sont des jalons, des temps forts du genre, et les auteurs de science-fiction contemporains leur doivent à peu près tout.

On commence avec…

La guerre éternelle, par Joe Haldeman

  •  Le Full Metal Jacket de la science-fiction !

Joe Haldeman est l’un des quatre auteurs de science-fiction, avec Ursula Le Guin, Arthur Clarke et Orson Scott Card, qui ont réussi un « doublé-doublé » – La guerre éternelle rafle le Hugo et le Nebula en 1975, la suite, la paix éternelle, emporte les deux Prix 23 ans plus tard. Inutile de vous dire que ces deux romans sont des bijoux.

Je le dis sans hésitation : la guerre éternelle est tout simplement l’un des meilleurs romans de SF jamais écrit. A sa sortie, il laissa ses lecteurs ébahis d’admiration. On a là un peu le Full Metal Jacket de la science-fiction : un requisitoire contre la guerre et une formidable aventure humaine.

La guerre éternelle (The forever war) parait en 1975, dans une Amérique encore sous le choc de la Guerre du Vietnam. L’histoire se place dans le genre « science-fiction militaire » et on a parfois vu dans l’anti-militarisme de Haldeman une réponse à Etoile, garde-à-vous ! de Robert Heinlein (dont une adaptation cinéma, que vous avez sans doute vu, a été faite par Paul Verhoeven, Starship Troopers). En réalité, dans La guerre éternelle, c’est sa propre expérience de la guerre du Vietnam que Haldeman met en scène, sorte d’allégorie hallucinée d’une tragédie personnelle. C’est définitivement un réquisitoire.

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Les années 80, une science-fiction renouvelée par de nouveaux thèmes

La guerre éternelle s’intègre dans ce renouveau de la science-fiction des années 70, où de jeunes auteurs décident de tordre le coup aux postulats de leurs parrains de « l’âge d’or » des années 50, coupent le cordon et décident d’investir dans une science-fiction régénérée, abordant des thèmes inexplorés avant eux – sexualité, surpopulation, manipulations, choc du futur, satire sociale.

Avec cette nouvelle génération d’auteurs, l’avenir s’assombrit, mais la science-fiction entre dans la maturité. C’est ainsi une science-fiction « sociologique » que celle d’Haldeman. Expliquer ses postulats scientifiques l’intéresse définitivement moins qu’explorer la psyché de ses personnages principaux.

C’est aussi une science-fiction « réaliste » – on n’est pas dans le space opera. Pas de propulsion hyperluminique, pas de pistolets lasers – Haldeman fait dans le crédible et respecte, dans une certaine mesure, les postulats de l’univers « einsteinien ».  

Le temps subjectif de la guerre au coeur de la narration de Haldeman

Vous allez être invité à suivre un soldat, William Mandela, qui va vivre près de 1200 ans d’une guerre du futur, entre 1997 (ça vous fait rire, hein, mais n’oubliez pas que le bouquin a été écrit en 1978-1980) et 3143. Le roman est écrit à la première personne et on s’attache dès les deux premières pages à ce pacifiste raté, ce garçon brillant en décalage total avec sa nouvelle vie de soldat. Son regard décalé sur cette effroyable expérience participe pour beaucoup à la réussite du roman. Le texte est chapitré selon l’évolution hiérarchique de Mandela – de soldat à commandant, 12 ans de sa vie, 1200 ans de la Terre.

Un bon tiers du bouquin est consacré à l’entrainement des recrues – et les connaisseurs remarqueront que ces pages n’ont rien à envier au chef d’oeuvre de Kubrick, Full Metal Jacket.

Le postulat de départ, absolument renversant, c’est d’adapter à ce conflit du futur, entre une Terre militarisée et une espère extraterrestre dont on ne sait rien, le « paradoxe des jumeaux » d’Albert Einstein.

Vous ne connaissez pas ? Selon la Théorie de la relativité, lorsqu’un vaisseau approche de la vitesse de la lumière (barrière absolue de 300 000 km/s), le temps se dilate pour ses occupants. Cela signifie, par exemple, que si les occupants du vaisseau allant à la vitesse de la lumière vieillissent de 6 mois, il pourra s’être écoulé 50, 60 ou 120 ans quand ils reviendront sur Terre. Concept familier des lecteurs de science-fiction, jamais cette théorie n’avait été si bien intégrée à la narration d’un roman.

Loin d’être un artifice, cette double temporalité, celle que vivent les héros, et l’évolution de la Terre, qui se fait sans eux, est au cœur du bouquin – elle permet à Haldeman de montrer à quel point la guerre fait déconnecter ses personnages de la réalité, quand le conflit se prolonge sans qu’on puisse jamais imaginer qu’il puisse se terminer, quand le vétéran, de retour du conflit, a l’impression de ne plus rien comprendre à la société dans laquelle il tente de se réintégrer.  

C’est cela, la « guerre éternelle » selon Haldeman – celle qui transforme des jeunes gens, qui n’ont rien demandé, en soldats ne vivant plus que pour accomplir les ordres, qui vivent désormais ce « temps de la guerre », qui n’est plus le temps des civils.

Un bouquin formidable… Et court !

La narration de Haldeman est tout simplement brillante – entre scènes d’actions anthologiques, drames intimes et satire sociale, dans un myriade de décors inoubliables, avec son ton si particulier, entre ironie, humour noir et sarcasme, il nous propose d’accompagner ses personnages principaux, William Mandela et Marygay Potter, dans l’une des meilleures histoires de science-fiction de tous les temps.

Rien de moins. 

Le bouquin est assez court – on est bien loin des monumentaux pavés que les auteurs contemporains nous assènent depuis quelques années, comme s’ils avaient tous été formés à l’école Stephen King et estimaient que leurs lecteurs n’avaient que leur livre à lire dans l’année qui vient. A l’époque d’Haldeman, on savait encore faire d’excellents bouquins de 300 pages.

L’art de l’éllipse, sans doute, définitivement perdu aujourd’hui, Haldeman le possédait au plus haut degré.

Et puis c’est quand même l’une des meilleures fins jamais écrites pour un roman de science-fiction. J’en pleure encore de bonheur 20 ans après l’avoir lu.

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 Tous droits réservés © Dupuis, Marvano.

P.S. A noter que Dupuis a publié une adaptation en bande dessinées de la Guerre Eternelle, dessinée par Marvano, ma foi plutôt réussie.

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Article rédigé par
Gerald
Gerald
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