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Artaserse, le triomphe des contre-ténors

13 mars 2014
Par Frédérique
Artaserse, le triomphe des contre-ténors
©DR

Plus j’écoute Artaserse, plus j’ai le sentiment que c’est la meilleure production d’opéra de l’année. Sa création le 2 novembre à l’Opéra de Nancy fut un évènement mondial aux dires de certains journalistes, je crois bien qu’ils ont raison ! …

artaserse nancy

Avant Artaserse, il n’existait que très peu d’enregistrements de Leonardo Vinci (1690-1730), compositeur napolitain, très célèbre et apprécié de son vivant mais plus ou moins tombé dans l’oubli après sa mort (par empoisonnement à l’âge de 40 ans). Sa disparition prématurée lui a tout de même laissé le temps d’écrire plus de 30 opéras, et d’inspirer de grands compositeurs tels que Haendel et Vivaldi.

Si Philippe Jaroussky tient le rôle titre du prince perse Artaserse, fils de Xersès et frère de Darius, l’idée de monter cet opéra, créé à Rome en 1730, revient à Max-Emmanuel Cencic après la création de Il Sant’Alessio. Ce drame religieux de Stefano Landi monté à Caen en 2007 par William Christie et Benjamin Lazar bénéficiait déjà d’une distribution entièrement masculine avec la participation de neuf contre-ténors dont Jaroussky et Cencic. Comme pour Artaserse, la raison de cette distribution est à chercher dans les lois romaines du 18e siècle, bannissant les chanteuses des scènes lyriques. Celles-ci étaient donc remplacées par des castrats, qui jouaient aussi bien les rôles titres masculins que les rôles travestis. Si Il Sant’Alessio est un drame religieux, Artaserse est un opera seria (un drame lyrique), une histoire de complot, de trahison, d’amitié et d’amour. Les airs sont tour à tour très virtuoses ou poétiques et mélancoliques, et la très belle écriture des parties d’orchestre ne cantonne pas le Concerto Köln à un simple rôle d’accompagnement.

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Le livret de Metastase, dont Vinci eut la primeure, fut ensuite repris par de nombreux compositeurs dont Hasse et Haendel comme un fil d’Ariane reliant tous ces musiciens jusqu’à Philippe Jaroussky qui en 2002 nomma ainsi son ensemble.

On pourrait craindre la monotonie à cause d’une uniformité de timbres et de tessitures. Il n’en est rien car les cinq chanteurs ont des voix très différentes. Max Emmanuel Cencic déclarait l’an passé dans une interview sur Diapason : « Quand nous serons plus nombreux, on pourra distinguer le contre-ténor drammatico, le spinto sopraniste coloratura… ». La terminologie n’est peut-être plus (ou pas encore) définie, mais les voix sont là avec des possibilités, des personnalités et des qualités très variées qui servent chacune merveilleusement leur rôle.

Si nos deux stars confirmées (Jaroussky dans Artaserse et Cencic dans Mandane, sœur d’Artaserse) comblent nos espérances, ceux qui ne connaissaient pas encore l’argentin Franco Fagioli ont dû avoir un choc. Il interprète Albace (un rôle écrit pour le célèbre castrat Carestini), meilleur ami d’Artasere et amant de Mandane. Franco Fagioli a déjà conquis les scènes allemandes et je faisais partie de ses fans français qui attendaient avec impatience que son talent soit enfin reconnu dans l’hexagone. Il ne m’a pas déçue bien au contraire. Aussi bien à l’enregistrement que sur scène il est tout bonnement époustouflant : une technique parfaite, une voix très large au timbre chaud, une implication, un talent d’acteur, une grande présence. Son aria, Vo socando un mar crudel, est un morceau de bravoure dont je ne me lasse pas.

artaserse nancy

Le maestro italien Diego Fasolis dirige avec élégance et dynamisme un Concerto Köln en tous points parfait. Le seul ténor de l’équipe, Daniel Behle, campe un traitre cruel et inquiétant. Quant aux deux contre-ténors que je n’ai pas encore cités : Valer Barna-Sabadus au timbre clair et délicat est une merveilleuse Semira (sœur d’Albace, amante d’Artaserse), et le nouveau venu, l’ukrainien Yuriy Mynenko, est une découverte pleine de promesses.

Impossible pour ma part de trouver le moindre défaut à cette production hormis deux gros points de frustration auxquels il sera peut-être possible de remédier : la version magnifiquement mise en scène par Silviu Purcărete n’a pour le moment été donnée qu’à Nancy avec une diffusion sur la chaine Mezzo (les autres étaient des versions de concert). 

dvd artaserse

Un peu plus d’un an après le succès de cette production les aficionados ont de quoi se réjouir : homis plusieurs représentations à l’opéra de Versailles une captation faite à Nancy est enfin disponible en DVD chez Erato. Le bonheur !

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Frédérique
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