Décryptage

Contre-ténors : un album céleste ?

07 mars 2013
Par Frédérique
Contre-ténors : un album céleste ?
©dr

La voix de contre-ténor regroupe plusieurs types propres à des époques, des pays et à des répertoires différents. Ces voix sont à la mode en ce moment, on les dit célestes. Mais on a un peu tendance à confondre les contre-ténors et les castrats de l’opéra italien. Normal, de nos jours les chanteurs abordent indifféremment tous les répertoires en fonction de leur moyens vocaux. Cette compilation proposée par Naïve vous donnera un aperçu des principaux répertoires…

La voix de contre-ténor qui passait souvent pour bizarre voire anormale, a pris de plus en plus de place. Elle est maintenant admise et appréciée. Elle fascine, on la dit céleste. Si on adopte communément l’appellation « générique » de contre-ténor, le terme regroupe en fait plusieurs types de voix et de techniques propres à des époques et à des répertoires différents et on a parfois tendance à les confondre. Les counter-tenors anglais diffèrent des haute-contre français et des castrats de l’opéra italien. La confusion vient peut-être du fait que de nos jours les chanteurs abordent indifféremment l’un ou l’autre répertoire en fonction de leur goûts et de leurs moyens vocaux. Cette compilation proposée par Naïve vous donnera un aperçu des principaux répertoires. Essayons de démêler, très schématiquement (mais pas trop j’espère), ce que renferme l’appellation de contre-ténor.

Les français, les anglais et les allemands

L’erreur fréquente est de rechercher de la musique « pour castrat » et de se retrouver avec un CD de John Dowland ou les Leçons des Ténèbres de François Couperin par Alfred Deller. Dans les répertoires anglais du Moyen-âge à nos jours, les chanteurs utilisent une technique « de voix de tête » qui n’a jamais nécessité aucune mutilation. Cette voix de counter-tenor est encore utilisée dans les pupitres d’alto des chorales anglaises traditionnelles et des compositeurs comme Benjamin Britten, Michael Tippett ou plus récemment Thomas Adès ont composé pour elle. C’est la voix légère et délicate des Lute songs de John Dowland, des opéras de Henry Purcell, des oratorios de Haendel. C’est Alfred Deller qui, dans les années 50, remit cette voix au goût du jour accompagné par Gustav Leonhardt et Nikolaus Harnoncourt.

Avec une technique du même type et toujours sans mutilation, les voix françaises de contre-ténor et de haute-contre (ténor à la voix aigüe) sont en usage du Moyen-âge au 18e siècle en soliste et en chœur. Louis XIV, grand mécène, avait catégoriquement proscrit le recours aux castrats, trouvant cette pratique barbare. Certaines chansons de troubadours ou de trouvères, les airs de cours du 17e siècle (Michel Lambert, Antoine Boesset), les musiques de Charpentier, Lully puis Couperin par exemple utilisent ces voix. Le rôle de Bellérophon dans l’opéra éponyme de Lully est ainsi chanté par un haute-contre Cyril Auvity.

En Allemagne, ces voix se retrouvent chez les minnesanger du Moyen-âge, les partie d’alto des cantates de Jean-Sébastien Bach ou de ses précurseurs comme Schütz ou Buxtehude, des oratorios de Haendel sont aussi pour des altos masculins.

Les castrats dans l’opéra italien

La pratique remonterait à l’Empire Byzantin et fut surtout utilisée dès la Renaissance dans les chapelles des cours italiennes y compris bien sûr celle du pape (et ce jusqu’au début du 20e siècle). L’opération avait lieu avant la puberté afin de préserver la voix aigüe du jeune garçon. Sachant, comme l’album Sacrificium de Cecilia Bartoli le mentionne, que tous les enfants « opérés » ne gardaient pas une voix suffisamment belle pour faire une carrière de chanteur. Immense et douloureux gâchis ! Ces voix étaient plus amples, plus puissantes que celles des falsettos anglais ou français et possédaient une large tessiture (du contralto au soprano). Hormis le répertoire religieux, ces voix firent la gloire des opéras napolitains et romains au 18e siècle (le pape avait proscrit les voix féminines des scènes romaines). En témoigne le récent enregistrement d’Artaserse du napolitain d’adoption Leonardo Vinci. De nombreux compositeurs non italiens s’illustrèrent également dans ces styles comme Haendel ou Hasse.

Quelques petites nuances à apporter : toutes les scènes d’opéra n’étaient pas forcément interdites aux femmes. Suivant les lieux, les compositeurs et les œuvres, les distributions étaient mixtes, totalement masculines (ou féminines). En ce qui concerne le chant à Venise, par exemple, la tradition des ospedale où les jeunes filles pauvres pratiquaient le chant, a laissé plus de place à la voix féminine.

De nos jours

Grâce à des précurseurs (James Bowman, Paul Esswood, Henri Ledroit ou Rene Jacobs) dont Alfred Deller fut le grand initiateur, ces voix et leurs répertoires ont retrouvé une audience. Si Gustav Leonhardt peut être considéré comme le « père » des clavecinistes modernes, le « père » des contre-ténors est sans conteste Alfred Deller. Depuis les techniques ont évolué, ces voix ont trouvé leur place dans l’enseignement « académique », certains blocages ont sauté aussi bien chez les interprètes que chez le public. Résultat : les chanteurs qui ont commencé par ressusciter les répertoires anglais, français et allemands, ont aussi pris possession du répertoire des castrats, en partage avec les voix féminines. On ne saura jamais si les voix des chanteurs actuels se rapprochent un peu ou pas du tout de celles des « vrais castrats ». Qu’importe, ils ont contribué à exhumer de nombreuses œuvres parfois merveilleuses et si le résultat n’est pas « à l’identique » il est de mon point de vue magnifique.

La compilation de Naïve propose un panorama de tous ces répertoires. L’édition spéciale Fnac comprend également la bande originale du film de Gérard Corbieau Farinelli, libre évocation du destin d’un des grands castrats du 18e siècle, Carlo Broschi dit Farinelli, élève de Porpora et célèbre dans toute l’Europe. Signe des temps : pour ce film qui date de 1994, on avait mixé deux voix (celles du contre-ténor Derek Lee Ragin et de la soprano Ewa Małas-Godlewska) pour reconstituer la voix et surtout la tessiture du castrat. De nos jours, Max-Emanuel Cencic ou Franco Fagioli auraient fait merveille !

Article rédigé par
Frédérique
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