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Après la mort, l’IA ? Devenir un immortel numérique grâce aux chatbots et au métavers

14 juin 2022
Par Marion Piasecki
Après la mort, l'IA ? Devenir un immortel numérique grâce aux chatbots et au métavers
©JLStock/Shutterstock

Télécharger sa conscience dans un ordinateur ou un robot pour vivre éternellement, ça ne reste possible que dans la science-fiction. Fiction dont la réalité commence néanmoins à se rapprocher dangereusement : des entreprises pourraient bientôt utiliser vos données pour en faire un chatbot ou un avatar après votre mort.

La série Black Mirror avait déjà annoncé ce type de service : dans le premier épisode de la deuxième saison, intitulé Bientôt de retour, une femme discute avec un chatbot créé à partir de l’historique internet de son petit-ami récemment décédé. Aujourd’hui, plusieurs entreprises réfléchissent à des moyens de paraître éternellement en vie grâce à l’intelligence artificielle, pour transmettre ses souvenirs aux générations futures ou pour aider des proches à faire leur deuil.

Parler aux morts grâce aux chatbots

Ces agents conversationnels, qui fonctionnent grâce à l’intelligence artificielle, sont avant tout utilisés pour répondre aux questions des consommateurs sur les sites de commerce en ligne. Alors qu’ils continuent de se développer et que leur langage devient de plus en plus naturel, prétendre discuter avec une personne décédée devient possible. Joshua Barbeau, un écrivain se remettant difficilement du décès de sa fiancée Jessica huit ans auparavant, en a fait l’expérience.

Il a expliqué au San Francisco Chronicle qu’il était tombé par hasard sur un bot personnalisable. En y ajoutant une présentation de la personne à imiter ainsi que quelques phrases types, le bot a commencé à utiliser des formulations et smileys que la jeune femme utilisait dans ses SMS de son vivant. Autre particularité : ce bot a une utilisation limitée dans le temps avant de « mourir ». Joshua l’a utilisé pour pouvoir dire ce qu’il avait sur le cœur et faire enfin son deuil : « Le fait de pouvoir brièvement m’imaginer ce que ça serait de lui reparler a dévoilé de la tristesse non-résolue, enterrée depuis longtemps par les attentes sociales qui demandaient que je passe à autre chose. » Il estime néanmoins que cette expérience l’a aidé parce qu’il avait du recul sur la situation et qu’il ne la conseillerait pas à quelqu’un dont un proche vient de décéder. Et, malgré les avancées en matière d’intelligence artificielle, l’illusion n’était pas parfaite : « Parfois j’avais l’impression de lui parler. D’autres fois j’avais l’impression de me parler à moi-même ou à un bot quelconque sur Internet. »

Ce bot était l’œuvre du programmeur indépendant Jason Rohrer – qui n’avait pas du tout pensé à une telle utilisation –, mais des entreprises s’intéressent aussi à cette idée de chatbot personnalisable pour parler à une personne décédée. Microsoft en fait partie. Fin 2020, il a été révélé que le géant américain avait déposé un brevet pour la création de chatbots à partir de toutes sortes de données : « Des images, des données vocales, des publications sur les réseaux sociaux, des messages électroniques, des lettres écrites. » Ce brevet a rapidement fait le tour d’Internet, mais l’ancien responsable des programmes d’IA de Microsoft, Tim O’Brien, a calmé les choses en affirmant qu’il n’y avait « aucune intention de le créer » et qu’il trouvait même l’idée « dérangeante ». Preuve que l’utilisation de l’intelligence artificielle à cette fin reste un sujet délicat.

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Quand le métavers veut aller encore plus loin

Si discuter avec un chatbot représentant un proche décédé ne vous fait pas froid dans le dos, une entreprise de métavers veut même proposer de compiler toutes les données d’un utilisateur dans le monde virtuel pour que l’avatar continue de vivre même après sa mort. Ce métavers, c’est Somnium Space. Grâce à la réalité virtuelle, la fonction justement nommée Live Forever enregistrera bien plus que ce que permettent les chatbots, comme l’expliquait le fondateur Artur Sychov au site Vice : « La quantité de données que nous pourrions enregistrer sur un individu est probablement de l’ordre de, soyons réalistes, 100 à 300 fois plus importante qu’avec un téléphone mobile. La technologie de la réalité virtuelle peut recueillir la façon dont vos doigts, votre bouche, vos yeux et votre corps tout entier bougent, pour vous identifier rapidement et de façon beaucoup plus précise que les empreintes digitales. » L’équipement haptique disponible aujourd’hui étant encore relativement sommaire, Somnium Space s’est associé à l’entreprise Teslasuit pour le développement d’une combinaison.

Le fait que « Live Forever » soit une fonction à l’initiative d’une personne encore en vie, et non celle d’un proche d’une personne décédée, pose des questions sur sa raison d’être. Pour cela, il faut regarder du côté de l’histoire personnelle d’Arthur Sychov : son père étant mort alors que ses propres enfants étaient encore très jeunes, il regrettait le fait que ces derniers n’auraient aucun souvenir de leur grand-père. Cette fonction ne serait donc pas un fantasme transhumaniste d’un savant fou à l’ego surdimensionné, mais une volonté de créer des archives familiales aussi complètes et interactives que possible. Encore faut-il que les utilisateurs, à l’instar de Joshua, sachent toujours faire la différence entre la réalité et l’avatar.

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Article rédigé par
Marion Piasecki
Marion Piasecki
Journaliste