Les studios Marvel confirment leur plongeon dans l’univers des multivers. Une exploration particulièrement bienvenue dans une saga devenue routinière.
Spiderman avait brillamment inauguré le penchant multivers de Marvel avec le superbe film d’animation New Generation (2018). Les possibilités fascinantes de cet embranchement narratif ne déçoivent pas dans ce nouveau Doctor Strange, façonné par un maître des idées folles : le réalisateur Sam Raimi.
Le triomphe Marvel
Depuis 2008 et le triomphe au box-office du premier Iron Man, Marvel est devenu l’habituel champion annuel des salles de cinéma. Et même les retours fracassants de franchises comme Star Wars ou Jurassic Park n’auront pas réussi à égratigner la popularité des super-héros. Il est loin le temps du tout premier Batman (1989) de Tim Burton, snobé et moqué par un public français peu enclin à adhérer à un héros en costume de parade faisant justice lui-même. Après 33 ans au cours desquels la pop culture s’est imposée dans le champ culturel, les super-héros sont maintenant les stars de l’industrie hollywoodienne. Marvel a, en ce sens, réussi l’exploit de transformer des personnages destinés à un public de niche, à savoir les lecteurs de comics, en symboles universels du divertissement. Le plan était parfaitement pensé et il s’est déroulé (presque) sans accroc : Marvel domine aujourd’hui l’industrie.
Les années 1970 étaient peuplées d’anti-héros, les années 1980 et 1990 de héros et les années 2000 de super-héros. Les aventures de Spiderman, Iron Man et autres sont également l’évolution naturelle de deux principes modernes de la narration audiovisuelle. Premièrement, l’explosion des effets numériques, qui fait ressembler de plus en plus les films à grand spectacle à du cinéma d’animation, nourri de fantasmes visuels décomplexés. Deuxièmement, la porosité totale entre les différents médias du 21e siècle : cinéma, télévision et Internet. À ce titre, Marvel tient plus de la série aux moyens hors-norme qu’à la saga cinématographique. Pour preuve, l’idée aussi géniale que redoutable de ces petites séquences post-générique qui introduisent les prémices de l’épisode suivant. On peut saluer, quoi qu’on pense de l’entreprise, la cohérence de cet univers ainsi que de ses arcs scénaristiques.
L’étrangeté du docteur
Pour le spectateur non fan, la routine se fait pourtant de plus en plus ressentir au fil des épisodes. Hormis quelques films hors norme (comme Thor : Ragnarok, 2017), la série Marvel semble une interminable suite d’effondrements d’immeubles en numérique, d’éclairs multicolores et de personnages à tiroir dont on oublie trop facilement les ressorts dramatiques. Dans cet océan conformiste, Doctor Strange avait quelque peu pimenté l’univers en 2016 par sa nature même : une sorte de super-magicien, capable de modeler la matière et le temps. Le personnage a apporté beaucoup de fraîcheur à la franchise, car il n’est pas tout à fait un super-héros, et ses exploits ont obligé Marvel à sortir de sa zone de confort. Grâce à lui, les effets spéciaux sont davantage tournés vers l’artistique que vers la surenchère et l’atmosphère générale y est plus mystérieuse. Et avec l’arrivée du multivers dans la série, Doctor Strange prend désormais toute sa valeur. Force est de constater que ce deuxième opus ose des moments surprenants, à l’image d’un plan séquence hallucinant d’une trentaine de secondes au cours duquel le magicien traverse des univers parallèles délirants. Une scène qui fera certainement date dans l’histoire de Marvel.
Sam Raimi, le réalisateur adéquat
Le deuxième épisode de Doctor Strange s’est payé les talents de l’immense cinéaste qu’est Sam Raimi. Pour les fans de fantastique, Sam Raimi a réinventé le cinéma d’épouvante avec le premier Evil Dead, au début des années 1980. Pour les fans de Marvel, il est celui qui a fait basculer les super-héros dans l’ère moderne avec la toute première trilogie des Spiderman, au début des années 2000. Depuis son premier film d’horreur bricolé jusqu’aux blockbusters mondialisés, Sam Raimi garde ce goût salutaire pour une mise en scène juvénile et pleine d’énergie. Il est le roi du cadrage biscornu, des zooms rapides, des idées tordues et de l’inventivité baroque. Loin de l’étouffer sous le poids du consensus industriel, Marvel permet à Raimi de s’exprimer à travers ces folles aventures dans les univers parallèles. Le cinéaste s’amuse, et arrive même à imposer dans cette marque pourtant ultrafamiliale des images d’épouvante dérangeantes. En ce sens, on applaudit un twist rocambolesque autour du personnage de Strange que seul ce réalisateur pouvait filmer sans tomber dans le ridicule. Les admirateurs du metteur en scène y retrouveront même une apparition de son acteur fétiche, Bruce Campbell, ainsi qu’un clin d’œil évident au Necronomicon, le livre démoniaque de la trilogie d’Evil Dead. C’est ainsi avec son audace toujours aussi vivace et sa créativité de vieux punk rigolard que Sam Raimi insuffle à cet énième Marvel un air de renouveau que l’on attendait plus.