Entretien

Expliquer l’histoire avec Assassin’s Creed

03 février 2022
Par Alexandre Manceau
Devenue une référence du jeu vidéo, la saga “Assassin's Creed” fêtera cette année ses 15 ans.
Devenue une référence du jeu vidéo, la saga “Assassin's Creed” fêtera cette année ses 15 ans. ©Ubisoft

Professeur d’histoire et spécialiste du jeu vidéo, William Brou nous explique ce que la saga d’Ubisoft nous apprend de l’histoire.

En 2007, le public adepte du jeu vidéo découvrait Desmond Miles, jeune homme kidnappé par une organisation mystérieuse pour mener à bien une mission secrète. Fantasme de nombreux fans de science-fiction, la mission consiste à revivre les souvenirs d’un ancêtre lointain. Les différents épisodes plongent donc le joueur dans diverses époques historiques, de la Renaissance italienne à l’âge d’or des pirates, en passant par les révolutions française et américaine. Outre le gameplay, qui parle aux fans d’action et de parkour, cette plongée dans l’histoire avec un grand H est indéniablement ce qui fait le succès de la saga. Professeur d’histoire-géographie et créateur de la page YouTube Histoire en jeux, William Brou utilise les jeux vidéo dans le cadre de ses cours. Ayant pu s’entretenir avec de nombreux historiens qui ont collaboré avec Ubisoft, il n’a évidemment pas pu passer à côté d’Assassin’s Creed.

Peut-on dire qu’Assassin’s Creed a révolutionné notre rapport à l’histoire ?

Le premier opus, sorte de Prince of Persia historique, était une véritable expérience et le galop d’essai a finalement fait des petits. Au fil des épisodes, on est passé d’un jeu hyperdrivé et hypernarratif à des mondes ouverts gigantesques. En 2014, avec Unity, c’est la première fois qu’Ubisoft [actuellement en pleine tourmente, ndlr] reproduisait une ville aussi vaste que Paris et, désormais, nous avons la Grèce antique en entier. Ces prouesses en font l’une des franchises historiques d’aventure les plus connues. Les titres historiques sont souvent cantonnés aux jeux de stratégie (Total War, Crusader Kings), mais, en termes de jeux d’aventure, il n’y avait pas de titres comme Assassin’s Creed. Depuis que le jeu vidéo existe, l’histoire a toujours passionné et les développeurs ont plongé dans une brèche un peu vide.

L’aspect historique est-il la principale raison du succès d’Assassin’s Creed ?

Oui, notamment du point de vue de la communication, de ce message qui dit « le passé est notre terrain de jeu ». Mais, en faisant cela, l’éditeur se tire une balle dans le pied : le moindre anachronisme va être considéré comme un mensonge ou le signe d’un travail ma fait. Quand on discute avec l’équipe recherche d’Ubisoft, on voit une vraie volonté de rechercher les sources, mais le but n’est pas de faire un jeu d’histoire. L’histoire est chiante par définition, alors il faut ajouter un petit truc, comme le font les auteurs d’heroïc-fantasy ou de romans historiques. Quand on visite Alexandrie, on a vraiment l’impression d’être dans une ville mi-égyptienne mi-grecque. L’idée est de rendre crédible une immersion dans le passé, pas de faire une thèse.

En 2020, on dénombrait pas moins de 155 millions de jeux Assassin’s Creed vendus depuis le premier épisode.©TomS

La saga d’Ubisoft a-t-elle relancé un besoin de se plonger dans l’histoire, de coller à l’authenticité ?

Quand on prépare un blockbuster, on est obligé de faire des choix et d’aborder des thèmes qui vont parler au grand public. L’épisode 3, pendant la révolution à Boston, est un de ceux qui ont le moins bien marché, car ce n’est pas un événement mondialement connu. La Renaissance parle un peu plus, l’opus sur la Révolution française a profité du bad buzz avec Jean-Luc Mélenchon, et Origins est un des plus gros succès parce que l’Égypte antique continue de passionner. Ce qui me fascine surtout, c’est le nombre de communautés qui se sont créées. Ubisoft inonde le marché grâce aux produits dérivés, mais il y a aussi des groupes Facebook, sans parler des fan arts et fan fictions.

En quoi ces titres peuvent-ils être considérés comme des outils pédagogiques ?

Ce qu’il faut savoir, c’est qu’il est incompatible de jouer avec l’histoire. On ne peut pas sauver Louis XVI, ce dernier doit mourir, tout comme Périclès. Ezio est une pure fiction, mais rien ne nous interdit de penser qu’il ait existé dans ces entrailles de l’histoire qui nous sont inconnues. En tant que professeur, ça me permet d’expliquer ce qu’est l’histoire : les grands personnages n’ont pas pu vivre sans les petites mains qui les ont aidés à côté. Cléopâtre n’a par exemple pas repris le pouvoir toute seule. Dans Assassin’s Creed, on joue les sidekicks de l’histoire. 

En quoi ces jeux peuvent-ils être enrichissants pour des amateurs d’histoire ou des experts ?

Ce qui est fascinant, c’est que ces jeux nous mettent dans la réalité sociale d’une époque. Dans Origins par exemple, on doit aider le petit Ephibie qui avait volé un livre à la bibliothèque d’Alexandrie et sa mère nous demande de le retrouver. À la fin, on lui explique qu’il ne pourra jamais accéder à la bibliothèque parce qu’il n’est pas grec. Les Grecs étaient xénophobes et ne voulaient pas d’Égyptiens dans la bibliothèque, parce qu’ils considéraient que ce n’était pas leur place. Quand j’utilise Origins avec les étudiants, je leur fais visiter la pyramide de Gizeh, la ville de Memphis et le Nil, avec les champs à côté. Je fais la comparaison avec les représentations que l’on peut trouver dans les manuels scolaires. Elles sont toutes différentes et, lorsque je pose la question à mes collègues de savoir laquelle est la plus crédible, la réponse est “aucune”. On demande toujours à critiquer Assassin’s Creed, mais jamais les manuels scolaires. 

Quelle est la part de fiction et de réalité dans un jeu aussi vaste qu’Assassin’s Creed ?

Il y a des questions que l’on se pose : l’univers dans lequel j’évolue est-il réaliste ? Les personnages que je rencontre sont-ils crédibles ? De mon point de vue, je trouve que oui. Dans Unity, lorsque l’on se balade dans les rues de Paris et qu’on voit le peuple protester contre le pouvoir, c’est crédible d’un certain côté. Les tracts révolutionnaires et les caricatures de Louis XVI sont des documents qui ont réellement existé. Dans Odyssey, Périclès est accompagné par deux hommes qu’il faut aider dans des quêtes secondaires. En fouillant dans les sources, il s’avère que ces deux hommes étaient les deux bras droits de Périclès, deux citoyens qui faisaient voter des lois en son nom. Un détail que personne ne va jamais remarquer, mais Ubisoft profite des trous de l’histoire pour mettre de la fiction et imaginer des histoires.

Y a-t-il des époques qui mériteraient d’être à l’honneur dans les prochains opus ?

À titre personnel, j’aimerais beaucoup avoir un épisode en plein Moyen-Âge occidental, par exemple à l’époque de la guerre de 100 ans. Il y a tellement de clichés à détruire, mais il faudrait mettre en place d’autres gameplays, notamment pour la gestion de places fortes, qui est une thématique importante de cette époque. Pour ce qui est du contemporain, je reste persuadé qu’un opus en pleine guerre froide serait intéressant. De toute façon, pour un épisode crédible, il faut prendre un moment où il y a un gros conflit entre des civilisations, avec un grand méchant au milieu : qu’il s’agisse de Cortès ou de Jeanne d’Arc, ça fonctionne.

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Alexandre Manceau
Alexandre Manceau
Journaliste
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