
Quelques semaines après avoir reçu le Goncourt du premier roman pour Photo sur demande, rencontre avec un jeune écrivain plein d’avenir qui a marqué la première partie de l’année littéraire.
Escort-boy sensible, un peu paumé, qui se débat avec sa masculinité autant qu’avec l’agonie de son père, ce narrateur qui ressemble comme deux gouttes d’eau à l’auteur voit dans une photo troublante et provocante du peintre de l’underground new-yorkais, Peter Hujar, un sens à donner à sa vie. Amants et tourments d’un garçon d’aujourd’hui.
Quelques mots sur votre parcours, pour commencer : qu’est-ce qui vous a amené vers l’écriture ?
Au départ, je me destinais à être prof d’anglais dans le secondaire. J’ai abandonné ce projet à peu près à peu au moment où le Covid est arrivé. Puis, avec le confinement, je me suis retrouvé un an enfermé chez ma mère. C’est là que j’ai commencé à écrire. Au même moment, j’ai découvert un article dans Le Parisien, une interview ou une critique, je ne sais plus, de Shane Haddad alors qu’elle venait de faire paraître son premier roman, Toni tout court. Dans l’article, elle racontait l’enseignement qu’elle avait suivi au sein du master de création littéraire au Havre. J’ai eu comme une illumination. Ça m’a tout de suite intéressé. J’ai envoyé des échantillons de textes avec mon dossier et j’ai été sélectionné.
On parle beaucoup de ce master, aujourd’hui. C’est devenu une pépinière de nouveaux talents. Quels souvenirs gardez-vous de cet enseignement ?
Il y a quand même une grande partie fac, avec des études de lettres classiques et, en parallèle, un atelier d’écriture qui s’étale sur toute l’année. La particularité, c’est que notre mémoire de fin d’année est une œuvre de littérature, de théâtre, de poésie ou de roman, qu’on construit petit à petit, sous la supervision d’un directeur ou d’une directrice de mémoire, pour la plupart des écrivain·es déjà publié·es. Ça crée une grande solidarité parmi les élèves, tout le monde connaît la galère de l’écriture et s’arrache pour y arriver. On se partage nos textes, on suit de près ceux qui ont réussi à publier, on essaie d’aider ceux qui n’y sont pas encore arrivé.
Photo sur demande est-il né sur les bancs du master de création littéraire ?
Oui, c’était mon sujet de mémoire. C’est au Havre que j’ai posé les bases du récit et du style. Mais il y a eu beaucoup de retravail par la suite, presque six mois quand même. J’ai perdu un éditeur en route, puis deux, et finalement j’ai fait la rencontre de mon éditrice chez Stock qui, pour la petite histoire, était membre de mon jury de mémoire.
Dès votre premier roman, vous utilisez la première personne du singulier, un “je” qui donne la parole à un garçon qui vous ressemble, titulaire d’une licence d’anglais, comme vous. N’était-ce pas intimidant de jouer d’emblée la carte du mimétisme ?
Pas du tout, au contraire même ; l’essentiel du retravail sur le texte a été d’injecter plus de fiction, de s’éloigner du récit brut de ma vie pour ne pas verser dans le témoignage. Au départ, il n’y avait presque que mon itinéraire amoureux et sexuel, mon expérience d’escort. Les seuls endroits où je me livrais à un exercice d’imagination, c’était les clients. J’en ai inventé certains, j’en ai fusionné d’autres, j’ai changé des rencontres ou des adieux. Là, j’avais un terrain de jeu. Mais ce n’est que dans un deuxième temps que j’ai musclé le lien au père, la question du deuil et le côté plus enquête du roman pour creuser le secret de la photo de Peter Hujar qu’on trouve en couverture.
Justement, parlez-nous de ce cliché emblématique.
Je suis vraiment tombé sur la photo chez un garçon, comme je le raconte dans le livre. Pendant mon master, j’ai dû rendre un texte, un essai consacré à une œuvre d’art, n’importe laquelle, et j’ai choisi celle-là. Je ne connaissais rien de Peter Hujar, si ce n’est à travers sa relation avec David Wojnarowicz dont j’avais lu et relu Au bord du gouffre. Tout m’intriguait dans ces portraits d’hommes très vulnérables, mais dont se dégage une force étrange. Et puis, cette photo pose la question de l’identité. Elle a été exposée partout dans le monde, mais on ne sait rien du modèle, à part son nom, Daniel Schock. Il est immensément connu et en même temps inconnu. Il n’y a aucune trace de lui sur Internet. Est-il mort ? Une obsession était née.

On peut voir ce texte comme les fragments d’un nouveau discours amoureux. Croyez-vous encore en l’amour ?
Aujourd’hui, oui, parce que j’ai un garçon dans ma vie. Mais, à l’époque, je pense que je n’étais pas dans le même état d’esprit. Avec le confinement, en plus, les applications vous rentrent dans la tête. C’est un peu vertigineux cette idée d’interchangeabilité permanente. À la moindre petite contrariété ou petit défaut, on passe à autre chose sans persévérer. Et ce n’est pas que les gays, chez les hétéros aussi il y a cette idée d’un amour qu’on consomme, la collision entre l’amour et le sexe. Dans ce roman, je voulais tirer le fil du désir, explorer comment il s’immisçait dans mes relations. J’avais l’impression qu’il y avait une espèce de pattern, de motif qui se répétait sans cesse et que j’avais du mal à briser. En lisant d’autres romans queer, français et étrangers, je me suis rendu compte que c’était une question qui revenait souvent.
L’escorting est devenu omniprésent dans la fiction, les artistes y projettent plus ou moins de fantasmes. Souhaitiez-vous raconter ce monde de l’intérieur, sans fard ?
Derrière l’escorting, je voulais parler de précarité. Comment il arrive parfois qu’on se retrouve à faire des choix qui ne sont pas forcément ceux auxquels on s’attendait. Très vite dans cette expérience, je me suis rendu compte que les rencontres payées et non payées se confondaient. La finalité, ce n’était pas d’assouvir des pulsions, mais d’avoir un contact humain.
Avec, en miroir deux épidémies, le sida et le Covid…
J’aime l’idée que le narrateur ait davantage peur d’une épidémie qui est né dans les années 1980 et qui est en partie maîtrisée que d’un mal mystérieux qui met le monde à l’arrêt pendant des mois. Je voulais parler du VIH parce que c’est une inquiétude qui est familiale. Dès que mes parents ont compris que j’étais gay, peut-être même avant, on a beaucoup parlé de la maladie. Pour eux, c’était le danger omniprésent, plus encore que les menaces ou la discrimination. J’ai voulu retranscrire cette angoisse en quelque sorte.
Guillaume Dustan est-il l’ombre qui plane sur votre roman ?
Il compte beaucoup pour moi, mais surtout du point de vue de la forme. Dans ma chambre ou Je sors ce soir, ce sont des romans libres, non conventionnels, qui explosent les codes de la narration tout en gardant une direction très précise. Photo sur demande est une succession d’instantanés, mais en travaillant la structure du texte pour qu’une tension existe.
Un style d’ailleurs travaillé à l’os, très épuré, avec des phrases qui claquent…
Je voulais d’abord éviter à tout prix que le roman soit “psychologisant” ou même trop théorique. Il y a des auteurs qui le font très bien, mais moi, ce n’est pas mon truc. Le flux de conscience, par exemple, ça ne marchait pas. Donc j’ai joué à fond la carte de l’identification, j’avais aussi envie que le lecteur se mette dans la peau du narrateur et émette ses propres impressions en suivant ses gestes et ses actions.
Auriez-vous un livre à nous recommander pour l’été ?
Alors, je vais tricher, ce sera plutôt un livre pour la rentrée. Je vais mettre en avant une camarade de master, forcément. Diplômée l’année dernière, elle publie un livre chez Corti fin août. Elle s’appelle Julia Sintzen, son livre s’intitule Sporen. C’est un grand roman qui questionne notre rapport à la mémoire.