
Xavier de Moulins, Ambre Chalumeau, Sidonie Bonnec : un auteur confirmé et deux débutantes pour une famille à part dans le paysage littéraire français, celle des écrivains de la télé.
Évoquer les relations entre petit écran et littérature, c’est décortiquer une tendance éditoriale aussi vieille que le tube cathodique : les rêves d’écrivain des stars de la télé. Malgré les efforts qu’elles déploient souvent pour le faire oublier qu’elles ne sont pas que des romancières, les plumes que nous nous apprêtons à vous présenter appartiennent une tradition à part dans notre paysage littéraire, celle des auteurs qui bénéficient d’une aura avant même d’être publiés.
Depuis l’avènement de la télévision en France dans les années 1960 et 1970, les grandes figures du poste se sont presque toutes, à un moment ou un autre, piquées d’écriture sous quelque forme que ce soit : fiction, témoignage, autobiographie ou récit de soi. De Pierre Bellemare – légende du petit écran, pionnier de l’ORTF et grand conteur de faits divers – à Panayotis Pascot, en passant par Laure Adler, du parangon réactionnaire Éric Zemmour aux voix féministes éclatantes de Flavie Flament et Marie Portolano, la télévision est un incessant pourvoyeur de best-sellers, mais aussi le catalyseur de grands talents qui éprouvent, pour beaucoup, le besoin de s’ancrer dans l’actualité ou une réalité personnelle pour écrire.
1 Refaire l’amour, de Xavier de Moulins
Déjà 12 romans en 14 ans pour Xavier de Moulins. Depuis la parution de son premier livre, Un coup à prendre, en 2011, l’animateur star du 19:45 de M6, également aux manettes de l’émission culturelle de RTL Au cœur de la création, est devenu un habitué des librairies avec une œuvre romanesque protéiforme, traitant aussi bien de la paternité dans Que ton règne vienne (2014), du deuil animal dans Le petit chat est mort (2020) ou de sa passion débordante pour les chevaux dans La nuit des purs-sangs (2023).
Avec son nouveau roman, inspiré en partie d’une histoire vraie, celle d’une amie croisée des années après, le journaliste s’empare cette fois d’une grande cause de société, un sujet d’actualité qu’il n’a malheureusement que trop raconté dans son JT : le féminicide.
Pour ce faire, il choisit d’adopter un angle original, peu traité jusque-là. Pas question ici de pénétrer, à la première personne du singulier, dans la psyché dérangée du monstre. À la manière de Philippe Besson dans l’excellent Ceci n’est pas un fait divers (2023) – qui racontait le drame du point de vue des enfants, avec cette première phrase comme un constat cinglant : « Papa a tué maman » –, Xavier de Moulins braque sa caméra sur celles qu’on n’entend jamais, les victimes collatérales du féminicide.
Il se glisse avec talent dans la peau d’une femme qui se considère à la fois comme une survivante et une responsable : l’ex-épouse du meurtrier et mère de leurs trois filles, Eloïse, Clémence et Margot. Alternant entre le passé et le présent, mêlant pur récit et extraits de l’ordonnance de mise en accusation du tribunal judiciaire de Nanterre, le roman met en scène une femme détruite par sa relation, en colère contre elle-même et doute insidieux : aurait-elle pu enrayer ce cycle infernal ? Mais, en filigrane, Xavier de Moulins laisse passer la lumière et offre à son personnage une voie vers la rédemption, la reconstruction et le bonheur. Un hymne à la vie juste et bouleversant.
2 Les vivants, d’Ambre Chalumeau
Il suffit de se replonger dans les différentes chroniques écrites depuis cinq ans par Ambre Chalumeau dans l’émission Quotidien ou d’écouter son podcast Liste de lecture consacré aux œuvres cultes qui composent sa bibliothèque idéale pour savoir que la littérature tient une place à part dans la vie de la journaliste de 27 ans. À la suite de son père, Laurent Chalumeau, lui aussi journaliste devenu écrivain, avec notamment des romans pulp savoureux comme V.I.P (2017) ou Vice (2021), elle se frotte aujourd’hui pour la première fois à l’écriture avec un drôle d’objet littéraire, sorte de récit d’initiation kaléidoscopique, mâtinée d’autofiction.
« Un livre que l’auteur portait en lui depuis longtemps. » Si c’est souvent par facilité d’analyse critique qu’on utilise l’expression, il semble qu’elle soit ici particulièrement fidèle à la genèse de ce premier roman. Le drame qui sert d’élément déclencheur au récit d’Ambre Chalumeau est ainsi directement inspiré d’une histoire vraie, une maladie rarissime qui a touché son ami d’enfance, le plongeant dans le coma alors qu’elle n’avait que 17 ans. Depuis, le livre s’est écrit au fil de l’eau, relatant le drame, ses répercussions, devenant une sorte de carnet littéraire où coucher ses émotions, où mettre des scènes de la vie en fiction. Cette mosaïque d’instantanés, étalée sur plusieurs années, elle l’a aujourd’hui reconstituée pour bâtir une œuvre sensible sur la jeunesse qui s’enfuit et l’innocence qu’on achève.
Dans Les vivants, le coma de Simon est le point de départ d’une déflagration intime qui va toucher de plein fouet tout son entourage. Ses amies d’abord. Diane, la khâgneuse, surchargée de travail, angoissée par le futur, qui ne parvient pas à trouver sa place dans les jeux de séduction à l’œuvre chez les ados de son âge ; et Cora, celle qui au contraire attire tous les regards, notamment ceux des hommes et qui a déjà subi leur violence sans véritablement parvenir à poser des mots sur son agression. Mais aussi sa famille. Céline, la mère qui se réfugie dans l’alcool, Yves, le père préférant la fuite et Thomas, le petit frère, victime lucide et silencieuse du chaos ambiant.
En multipliant les focales avec ingéniosité avant de faire surgir dans les dernières pages un « je » aussi brutal qu’inattendu, Ambre Chalumeau fait, un peu à la manière de la série The Leftovers (2014), le récit d’une absence qui secoue au plus profond de leur âme ceux qui sont restés et bouleverse les certitudes qu’ils avaient érigées. Avec, en prime, une radioscopie générationnelle savoureuse. Les confessions des enfants du siècle.
3 La fille au pair, de Sidonie Bonnec
Pour son premier roman, l’ancienne présentatrice des Maternelles sur France 5, d’Enquêtes criminelles sur W9 et depuis 2017 du jeu télévisé Tout le monde a son mot à dire avec Olivier Minne sur France 2 a décidé de puiser dans son histoire personnelle et de faire d’une expérience traumatisante, qui a marqué son adolescence au fer rouge, la matière première d’un thriller étouffant. Après l’obtention de son bac, mais surtout à la suite d’un drame personnel, Emmylou, double de papier de l’autrice, décide de quitter sa Bretagne natale pour l’Angleterre. Dans le quartier huppé et ultrasécurisé de Hidden Grove, à Londres, elle a trouvé un emploi de jeune fille au pair chez les White. Ils ont tout de la famille idéale de l’upper class, mais, très vite, le vernis se craquèle et la jeune fille entrevoit, par bribes, des failles dans ce petit théâtre des apparences.
Pourquoi toutes les maisons de la résidence se ressemblent-elles si parfaitement ? Pourquoi toutes les familles, même celles qui n’ont pas d’enfant, ont recourt à des jeunes filles au pair calquées sur le même modèle ? Que signifient ces réunions secrètes et silencieuses entre voisins ? Quels secrets cachent les deux enfants de la famille White, alors qu’ils semblent contaminés par un mal obscur et silencieux ? Quelle est cette présence qui semble l’observer et la suivre ?
Tiraillée entre l’urgence de fuir un danger qui se matérialise un peu plus chaque jour et le besoin de comprendre le mal qui rôde en ces lieux, Emmylou devient une enquêtrice en sursis. Et ce qu’elle s’apprête à découvrir dépasse l’entendement. Avec un appétit pour la narration et un talent certain pour le suspense et les rebondissements, Sidonie Bonnec façonne un roman d’atmosphère particulièrement réussi. Une catharsis entre réalité et fiction qui nous offre une sacrée dose de frisson.