Avec plus de 3 millions de joueurs actifs et des ventes cumulées dépassant les 40 millions d’exemplaires, Farming Simulator s’est imposé comme un jeu vidéo incontournable. Derrière cette licence se cache une communauté passionnée et une entreprise, Giants Software, qui a su construire un véritable empire du gaming agricole. Retour sur les temps forts d’un véritable phénomène culturel.
Les jeux Farming Simulator ne sont pas les plus connus du paysage vidéoludique. Pourtant, peu de licences peuvent se targuer d’afficher le même succès et la même pérennité. Commençons par faire notre mea-culpa : avons de nous lancer dans l’écriture de cet article, nous pensions qu’il s’agissait d’un genre de jeu de niche, ne s’adressant qu’à une toute petite communauté. Quelle ne fut pas notre surprise de découvrir que le dernier titre en date de la série, Farming Simulator 25, avait écoulé 3 millions de copies en à peine trois mois après son lancement en novembre 2024. Un score assez incroyable, que ne parviennent pas à atteindre bien des jeux vidéo à gros budgets, dits « AAA ».
Comment un jeu de simulation d’agriculture a-t-il pu se hisser si haut ? C’est ce que nous avons cherché à comprendre en visitant l’un des bureaux de son éditeur Giants Software, à Erlangen, une petite ville allemande située en banlieue de Nuremberg.
L’histoire de Farming Simulator débute au début des années 2000 en Suisse, lorsque les fondateurs de Giants Software, alors étudiants, développent un moteur de jeu dans le cadre d’un projet étudiant. Martin Rabl, directeur marketing de l’entreprise, raconte :
« Un ami des fondateurs leur a demandé de créer un jeu qui couvrirait tous les aspects de l’agriculture. À l’époque, il n’existait rien de tel sur le marché. Ils ont lancé un forum en ligne pour recueillir des idées et ont rapidement constaté que l’intérêt était énorme.«
Le premier opus, sorti en 2008, connaît un succès immédiat de l’autre côté du Rhin, où il se hisse à la première place des ventes. Cet excellent démarrage a permis à Giants Software d’envisager d’emblée une stratégie à long terme. Aujourd’hui, le jeu est particulièrement populaire aux États-Unis (premier marché), en Allemagne, en France, au Royaume-Uni et en Pologne.
Une gestion exemplaire
L’entreprise emploie aujourd’hui une centaine de personnes réparties sur quatre sites : Zurich (siège), la République tchèque, Chicago et l’Allemagne. Contrairement à beaucoup d’acteurs du secteur vidéoludique touchés par des vagues de licenciements depuis 2023, l’entreprise suisse a su maintenir une croissance maîtrisée.
« Nous avons toujours opté pour une gestion raisonnée, » explique Martin Rabl. « Cela nous permet de rester stables, y compris dans un contexte économique difficile pour l’industrie. »
Un réalisme poussé à l’extrême
Cette approche prudente n’a pas freiné son ambition, puisque Giants Software continue d’innover tout en restant fidèle à sa philosophie : offrir une expérience réaliste et amusante. Ainsi, l’authenticité est au cœur de Farming Simulator. De nombreux employés ont eux-mêmes grandi dans des environnements agricoles ou possèdent une expertise dans ce domaine. Cette connaissance se reflète dans le niveau de détail impressionnant du jeu.
Stefan Maurus, Senior Gameplay Designer et ancien moddeur devenu employé chez Giants Software, décrit le processus méticuleux derrière la modélisation des véhicules :
« Pour les nouvelles machines, nous obtenons généralement des données CAO directement des constructeurs, ce qui est extrêmement précis. Pour les véhicules historiques, nous utilisons des scanners 3D et recréons tout à partir de zéro sur notre propre moteur« .
Jusqu’à 25 artistes travaillent parfois en même temps sur la création des machines. Toutefois, si le réalisme des graphismes est total, Stefan Maurus confie tout de même que pour la dynamique et la physique, l’équilibre est un peu plus délicat à trouver, car cela reste un jeu vidéo et il ne faut donc pas proposer une jouabilité trop punitive ou déplaisante.
Le réalisme ne se limite pas au graphisme. Nils Heine, Lead Audio Designer, souligne l’importance du son dans l’immersion :
« Plus de 80 % des sons sont enregistrés directement sur le terrain. Mais nous avons aussi développé un outil qui simule les bruits réels des tracteurs en fonction des environnements du jeu. »
Des partenariats solides avec les fabricants
Au fil des ans, la relation entre Giants Software et les fabricants d’équipements agricoles a évolué. Si au départ il fallait convaincre ces derniers d’intégrer leurs machines dans le jeu, la situation s’est inversée : aujourd’hui, ce sont les marques qui sollicitent l’éditeur de jeu.
« Nous collaborons avec tous les grands noms du secteur » explique Martin Rabl. « Certains constructeurs nous partagent même leurs projets avant leur lancement officiel afin que nous puissions intégrer leurs machines simultanément dans le jeu.«
Ces partenariats renforcent grandement le réalisme du titre, tout en assurant une visibilité mutuelle pour les deux parties.
Une communauté très engagée
L’une des grandes forces de Farming Simulator réside dans sa communauté dynamique. Les moddeurs jouent un rôle central dans l’écosystème du jeu. Giants Software a toujours soutenu cette scène en mettant à disposition des outils adaptés et en organisant des événements dédiés comme la FarmCon.
« Lors de la FarmCon 2024, nous avons accueilli 3 500 participants« , se félicite Martin Rabl. « C’est incroyable quand on pense que la première édition comptait seulement 250 personnes.«
Les mods permettent aux joueurs d’ajouter du contenu personnalisé au jeu : nouvelles machines, cartes ou fonctionnalités inédites. Depuis la sortie de Farming Simulator 25 en novembre dernier, plus de 800 mods ont déjà été validés par Giants Software. Un nombre astronomique, qui en dit long sur la popularité du jeu.
Entre réalisme et accessibilité
Si Farming Simulator est reconnu pour son réalisme, il reste avant tout un jeu accessible à tous. Martin Rabl insiste sur cet équilibre :
« Nous ne voulons pas que le jeu devienne trop complexe pour les non-initiés. Par exemple, avec le DLC Precision Farming, nous avons ajouté des fonctionnalités avancées comme l’analyse des sols ou la gestion précise des ressources agricoles… mais cela reste optionnel.«
Cette flexibilité permet au jeu de séduire un public varié : agriculteurs passionnés comme joueurs cherchant une expérience nouvelle, instructive et relaxante.
Des innovations constantes
Vous l’aurez compris à la lecture des lignes précédentes, Giants Software gère son affaire en bon père de famille, ne cherche pas à brûler les étapes et ne s’éparpille pas en prises de risque inconsidérées. Pourtant, l’éditeur n’hésite pas à enrichir l’univers de sa franchise quand cela lui semble pertinent. On en veut pour preuve la sortie récente de Farming Simulator VR, une version spécialement adaptée à la réalité virtuelle donc. Martin Rabl précise que « dans le jeu VR, vous pouvez interagir directement avec les machines, cela permet aux joueurs de mieux apprécier l’échelle impressionnante des équipements agricoles.«
En parallèle, un nouveau DLC introduit un concept très impressionnant, avec une machine agricole géante capable de minimiser l’impact sur le sol grâce au positionnement de ses roues.
Au-delà du virtuel, un impact réel
Le succès de Farming Simulator dépasse aujourd’hui largement le cadre du divertissement numérique, comme l’illustre cette anecdote amusante confiée par Martin Rabl :
« Une mère nous a écrit pour nous remercier : son fils citadin a décidé de devenir agriculteur après avoir joué à notre jeu pendant plusieurs années.«
Il ne s’agit que d’un exemple, mais il apparaît assez évident que Farming Simulator peut inspirer des vocations tout en sensibilisant un large public aux réalités du monde agricole. Car le titre s’est imposé depuis longtemps comme bien plus qu’un simple jeu vidéo : c’est un phénomène culturel qui continue d’évoluer tout en restant fidèle à ses racines agricoles.
