Après avoir évolué du côté des séries avec notamment Un couple parfait, Nicole Kidman est de retour au cinéma dans Babygirl. Réalisé par Halina Reijn, le film, imprégné de l’ère post #MeToo, inverse les rapports de pouvoir entre les genres. Libérateur !
En septembre dernier, Nicole Kidman recevait le prix d’interprétation féminine à la Mostra de Venise pour son rôle dans Babygirl, renouant ainsi avec un rôle sulfureux devant la caméra d’Halina Reijn. Il faut dire que la dernière fois que l’actrice australienne s’était essayée à ce sensuel exercice, c’était chez Stanley Kubrick dans Eyes Wide Shut, en 1999. Or, les temps ont changé et plutôt que d’assister aux divagations new-yorkaises de son mari incarné, à l’époque, par Tom Cruise, Nicole Kidman devient le centre de l’attention dans Babygirl.
Derrière cette Babygirl justement se cache Romy, la PDG d’une grande entreprise de robotique qui va entamer une relation extraconjugale avec un stagiaire (Harris Dickinson) afin de satisfaire ses fantasmes de domination. Mariée et mère de deux enfants, Romy va ainsi céder à ses désirs au contact du troublant Samuel en inversant les relations de pouvoir. La dominante le jour devient ainsi une dominée la nuit.
Pour autant, Babygirl ne tombe jamais dans le piège d’une représentation sadomasochiste clichée ou romantisée – comme ont pu le faire les films de la sagas comme 50 nuances de Grey –, mais tend davantage à questionner les fantasmes d’une femme de pouvoir et à interroger ses paradoxes afin de mettre en lumière la complexité féminine d’un personnage.
Sujet versus objet
De ce point de vue, Babygirl apparaît vertigineux, sondant ainsi le consentement dans une ère hollywoodienne post #MeToo en redonnant le pouvoir aux femmes qui assument la nature de leurs désirs les plus inavouables face à un compagnon plus jeune. Il en ressort un film terriblement féministe, jouant sans arrêt sur les contrastes de forme et de fond.
Ainsi, pour pallier l’objectification attendue du corps de Nicole Kidman, Halina Reijn impose un female gaze à toute épreuve. Si cela peut parfois édulcorer une certaine tension charnelle graphique, ce regard, encore trop inédit dans le cinéma contemporain, permet à son sujet d’affirmer sa volonté propre et de s’abandonner. Un mécanisme qui offre au film une certaine puissance et donne à voir une forme de cinéma érotique plus moderne, à l’opposé de celui souvent dominé par la représentation toxique qu’offrait dans les années 1980 un long-métrage comme 9 semaines ½ (1986) d’Adrian Lynn.
Pourtant, ces années 1980, Nicole Kidman les a expérimentées. Mais grâce à Babygirl, la comédienne prend sa revanche sur une représentation unique, souvent machiste, et un Hollywood qui baigne dans le sexisme. Si l’actrice avait déjà affirmé sa volonté d’en finir avec le système patriarcal hollywoodien en jouant dans Scandale (2019) – drame post #MeToo évoquant l’affaire Roger Ailes, patron de Fox News accusé en 2016 d’agressions sexuelles par plusieurs femmes de la chaîne –, elle réitère l’expérience avec Babygirl en se lançant corps et âme dans une interprétation habitée.
Mais plus que le corps de son actrice, c’est son visage qui est filmé sous tous les angles, souvent à coups de gros plans léchés. L’actrice délivre ainsi des séquences de jouissance extrême, sans avoir peur de se lâcher, et n’a pas peur, non plus, de montrer son visage botoxé, assumant dans un contexte presque méta être passée par le cabinet du chirurgien esthétique. Un propos qui rappelle l’exercice auquel s’est livré il y a quelques mois Demi Moore dans The Substance (2024) et qui lui a offert le Golden Globe de la meilleure actrice dans un film musical ou de comédie, cette rentrée.
Face à Nicole Kidman, deux hommes : l’époux dévoué, incarné par l’excellent Antonio Banderas, et l’amant salvateur, campé par le ténébreux Harris Dickinson, que l’on avait pu découvrir dans la Palme d’or Sans filtre (2022).
Si le premier délivre une partition pleine d’émotion à la fois habitée et nuancée, on regrette cependant l’aspect déconnecté de l’interprétation du second. Un constat décevant malgré le propos charnel du long-métrage. Sans arrêt placé à distance de toute émotion, on ne rentre jamais vraiment dans la psyché de Samuel et on ne comprend pas vraiment les motivations de cet homme fatal.
Il faut dire que le sujet (et non l’objet) dans Babygirl est véritablement Nicole Kidman/Romy. En filmant le parcours d’un personnage aux désirs primitifs, Halina Reijn prouve que le cinéma moderne est capable de réinventer le thriller érotique et d’en faire un outil d’émancipation féministe. En inversant les rapports de force et de pouvoir, la réalisatrice offre un raisonnement sur la frustration féminine (entre charges maritales, familiales et professionnelles) et cette envie de liberté presque sauvage. Non sans dangers, cette relation – sur laquelle Halina Reijn ne pose, par ailleurs, jamais de jugement – est avant tout une façon pour Romy de se sauver et pour Nicole Kidman de s’offrir encore un très beau rôle, plus engagé qu’il n’y paraît. La revanche d’une blonde sur Hollywood !
Babygirl, d’Halina Reijn, avec Nicole Kidman, Harris Dickinson et Antonio Banderas, 1h48, au cinéma le 15 janvier 2025.