Avec son film attendu ce mercredi 11 décembre en salle, Noémie Merlant signe une fresque féministe brillante et décoiffante. Un pied de nez sans concession à la société patriarcale.
C’est l’histoire d’une révolution de l’intimité féminine face à un patriarcat qui étouffe la société. Marseille, 46 degrés. La planète suffoque et le cœur d’Élise (Noémie Merlant), de Ruby (Souheila Yacoub) et de Nicole (Sanda Codreanu), les trois personnages principaux, aussi. Ensemble, elles vivent en colocation. Élise est actrice et entretient une relation chaotique avec un avocat, Ruby est camgirl et Nicole est aspirante écrivaine. Le voisin d’en face, Magnani (Lucas Bravo), est le sujet de ses fantasmes et de ses tentatives d’écritures. Un soir, les trois jeunes femmes acceptent l’invitation de ce dernier à passer une soirée arrosée en sa compagnie, chez lui. Dès lors, tout bascule. Le rêve vire au cauchemar.
Avec Les Femmes au balcon, Noémie Merlant signe un deuxième long-métrage absolument remarquable et explosif. Les cinq premières minutes un peu tarantinesques posent immédiatement le ton. Denise (Nadège Beausson-Diagne), la voisine violentée par son mari, le tue. Le sang jaillit à l’écran.
Comique, farce, action, horreur et drame s’entremêlent de suite. On comprend que l’œuvre jouera sur tous les registres pour embrasser et embraser pleinement son propos. Le personnage de Denise, quant à lui, est primordial, bien que secondaire. Il est, « face à des héroïnes qui se choisissent et qui gagnent », tel que le souligne Sanda Codreanu, ce rappel à la dure réalité et au triste sort qui est bien trop souvent réservé aux femmes au sein de la société quand elles se plaignent de violences conjugales.
Une radicalité libératrice
Le parti pris par Noémie Merlant est radical. Son propos est tout sauf effleuré. Et c’est vivifiant. Enfin, un film d’action de femmes qui empoignent le patriarcat et lui tordent le cou en l’éprouvant constamment. La mise en scène est théâtrale, presque à contre-courant du minimalisme tant recherché au cinéma. La réalisatrice rebat les cartes du jeu et luxe les codes des genres cinématographiques, notamment ceux de la comédie romantique, qu’elle inverse pour laisser entendre des mots qu’on prononce encore trop peu souvent au cinéma.
Les gros plans sur les visages des actrices sont nombreux et leur jeu est très explicite, sans demi-mesure. Le travail autour de la façon dont ces corps féminins se meuvent est à souligner. Sanda Codreanu, véritable révélation de ce long-métrage, se souvient ainsi d’un « tournage éprouvant physiquement ». En effet, on a l’impression d’assister au déploiement en direct d’une foisonnante chorégraphie cinématographique.
Selon l’actrice, Noémie Merlant a puisé ses inspirations dans le 7e art coréen. Un mot d’ordre : ne pas chercher à plaire. « Ces femmes sont belles parce qu’elles sont vivantes », explique Sanda Codreanu. Vivantes, ça oui, elles le sont plus que jamais. Bouillonnantes même, à l’instar du temps caniculaire dans lequel évolue l’entièreté de l’œuvre. Une œuvre dont le propos devrait concerner tout le monde. « Les hommes n’aiment pas qu’on se moque d’eux et c’est précisément ce que fait le film, souligne Sanda Codreanu. Mais ils devraient comprendre qu’ils seront les premiers perdants à ne pas rejoindre la lutte féministe. » Quand on rappelle à l’actrice l’argument peut-être le plus facile qu’on pourrait reprocher au film, à savoir un possible manque de nuances dans le traitement du sujet, elle répond immédiatement : « Et alors ? Moi, je suis aussi une grande consommatrice de films de mecs qui braquent des banques et qui sont des super-héros, donc merci de vous concentrer deux secondes sur ce qu’on a à dire, nous qui représentons la moitié de la planète. »
Nicole, “l’œil du spectateur”
Sanda Codreanu campe d’ailleurs avec brio son premier rôle principal sur grand écran, celui de Nicole, autour duquel gravite le film. Dans celui-ci, la jeune femme est pétrie de complexes et de paradoxes. Elle admire autant qu’elle envie ses amies : l’une est une actrice accomplie, l’autre accepte complètement son corps. Tout l’inverse de Nicole qui tente tant bien que mal d’écrire un roman. Pourtant, sans elle, véritable figure de sororité, il n’y a pas d’histoire. Elle est la voix de la création. « Le livre qu’elle écrit au fil du film, c’est le scénario qui se déploie, relève Sanda Codreanu. Nicole, c’est l’œil du spectateur qui s’éveille et qui prend conscience de la réalité. »
En effet, son personnage n’est pas épargné. Nicole est « ce pont entre le rêve idéalisé et la brutalité de la vérité ». Tout le long du film, elle est hantée par des fantômes d’agresseurs et surtout par celui de son voisin sur lequel elle projetait son idéal de prince charmant, avant qu’il ne révèle son vrai visage.
Une façon pour Noémie Merlant de représenter le pôle intellectuel bourgeois et de montrer à quel point la société est gangrenée par le système patriarcal, selon l’actrice. « Nicole, c’est un peu Blanche-Neige qui se réveille », note-t-elle. Elle a du mal à croire au tournant cauchemardesque que prend son rêve. Pourtant, elle ira jusqu’au bout de ce travail d’éveil, même s’il est douloureux, et c’est elle qui changera le cours du récit. « Le mystère d’une femme, ce n’est pas un choix, c’est une punition », prononce Nicole dans le film. Les Femmes au balcon sont l’incarnation de ces mots.
Les Femmes au balcon, de et avec Noémie Merlant, avec Souheila Yacoub, Sanda Codreanu et Lucas Bravo, 1h43, au cinéma le 11 décembre 2024.