Comédie musicale au succès planétaire, Les Misérables entre dans la capitale et prend le Châtelet, où résonne désormais À la volonté du peuple, dans la langue de Victor Hugo. Le librettiste Alain Boublil, le compositeur Claude-Michel Schönberg et toute la troupe de cette nouvelle production s’y installent pour 52 représentations dépoussiérées. L’Éclaireur a eu la chance d’assister à la première qui s’est clôturée par une standing ovation bien méritée.
« Émouvant », « Captivant », « Bouleversant » ! Peu avare en termes de superlatifs bienveillants, le public venu nombreux à l’avant-première tant attendue de la nouvelle production des Misérables au Théâtre du Châtelet, a rendu son jugement. La salle a salué les artistes, debout, par une clameur enthousiaste et rare. « Dès le début, j’ai été emporté par la musique, la mise en scène et l’histoire que je connaissais pourtant bien. Le fait que le texte ait été en français a beaucoup joué. La diction est excellente. Inutile de lire les sous-titres. J’ai pu donc concentrer mon regard sur la scène », confie Gilles, un spectateur venu assister la première de la comédie musicale culte. Un point fort que beaucoup ont d’ailleurs tenu à souligner.
« Les Misérables fait écho à l’actualité : aux soulèvements du peuple ! »
ArianeUne fan de comédie musicale
Musicien venu de Ville-d’Avray, Sacha a, lui, particulièrement vanté la bonne tenue du rythme : « Trois heures ! Ça aurait pu être long, mais non ! C’est prenant de bout en bout. » Cette version lui a même donné envie de se (re)plonger dans le chef-d’œuvre de Victor Hugo, « dont la portée était éminemment politique et fait tristement écho à l’actualité : aux soulèvements du peuple », rappelle, quant à elle, Ariane, une fan de comédie musicale exigeante, mais ravie.
Enfin, Rémy Batteault, co-auteur de J’avais rêvé… Une amitié en musique, d’après une conversation avec Alain Boublil et Claude-Michel Schönberg, nous a confié que pour l’occasion « Alain Boublil a aménagé environ 15% du texte, non pas pour le moderniser, mais pour l’améliorer, encore et encore, avec la volonté d’atteindre la perfection. »
Un jeu d’équilibriste
Si pour l’auteur l’objectif est atteint, pour L’Éclaireur, cette version n’est effectivement pas loin de la perfection. Elle a été taillée dans un diamant âpre, soit l’œuvre d’Hugo, pour visiblement plaire au plus grand nombre. Un pari risqué, pourrait-on penser, puisqu’à ce jeu-là, Alain Boublil, Claude-Michel Schönberg ainsi que le metteur en scène, Ladislas Chollat, auraient pu perdre une partie du public.
Au contraire, chacun y trouvera sa scène d’anthologie : bataille, amour, séquence comique, politique ou mélodramatique, tout s’équilibre, à l’unisson. Bien sûr, le mélange parfait entre fresque sociale et conte choral est dû au génie d’Hugo, mais Alain Boublil s’est autorisé quelques libertés et fantaisies bienvenues. Sous sa plume, les Thénardier revêtent un tout autre rôle : celui de bouffons. Grâce à cette astuce scénaristique, le couple d’aubergistes vient égayer ce récit particulièrement sombre.
Dans la lignée du romantisme noir
Pour donner vie à cette histoire publiée pour la première fois en 1862, Ladislas Chollat est resté dans cette tonalité, soit des couleurs ternes, des bruns, des taupes, d’où chaque faisceau de lumière sortant évoque une apparition divine. Rien n’a été laissé au hasard.
Inspiré d’une gravure de Gustave Doré, illustrant L’Enfer de Dante et publiée la même année que Les Misérables, le décor minimaliste et modulable représente la rédemption de Jean Valjean, son chemin de croix pour quitter l’ombre et s’élever vers la lumière. Une richesse de mise en scène qui repose sur l’utilisation pertinente et aboutie de la vidéo.
Projetée sur trois niveaux de toiles transparentes, elle renforce la perspective et procure même une sensation d’immersion. La plupart du temps, elle révèle davantage des ambiances poétiques que des lieux, grâce à des images évanescentes réalisées à l’encre en mouvement. De l’apparition de Cosette sous la neige, enfermée par un mur étonnamment infini, aux barricades – formidable clin d’œil à La Liberté guidant le peuple d’Eugène Delacroix –, chaque tableau s’inscrit dans la lignée du romantisme, même si, petit bémol, la scène des barricades, justement, aurait mérité un peu plus de chaos et de violence.
Un concentré d’émotions
Dans ces Misérables, on meurt beaucoup, mais point de sang ! Cosette prend ainsi des allures de princesse attendant son prince charmant sur des airs un brin Disney, tandis que les Thénardier amusent la galerie. Certes, Alain Boublil et Claude-Michel Schönberg ont édulcoré le roman, mais avec subtilité et sans le trahir. Toute l’émotion, tout le romantisme, tout l’aspect social et philosophique de ce monument de la littérature de plus de 1500 pages ont été ici savamment conservés et concentrés.
Un casting hors pair
Côté casting, c’est un sans-faute ! S’agissant d’une comédie musicale entièrement chantée, le spectacle peut être qualifié d’opératique. Chaque interprète a droit à son moment de gloire, à sa chanson seul face au public. Dans ce registre, Sébastien Duchange en Javert se démarque dans la scène grandiose et poignante de son suicide du haut d’un pont, parfaitement mise en images, une fois de plus, grâce à des effets vidéo.
« Maestra ! » et non « Maestro ! » comme s’écrient les Thenardiers lors d’un banquet dévoilant l’orchestre en fond de scène. Avec humour, la cheffe d’orchestre, Alexandra Cravero, les corrige et sublime la partition flamboyante de Claude-Michel Schönberg qui prend aux tripes et nous embarque dans cette aventure humaine dantesque. Une réussite totale !
Les Misérables, au Théâtre du Châtelet, à Paris, jusqu’au 2 janvier 2025. Billetterie par ici.